: Reportage "C'est infernal, on prend cher" : à Lyon, en vigilance rouge, des employés de la restauration épuisés par la canicule
Il est 19 heures et il fait encore 35°C à l'ombre. Eric, tout de noir vêtu, suffoque dans son pantalon. "C'est vrai qu'être en short, ce serait bien. Mais la tenue, c'est la tenue", rappelle le serveur du Café Leffe, un bar qui donne sur la place des Terreaux et l'hôtel de ville, en plein centre de Lyon.
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Alors que la métropole lyonnaise fait face à des fortes chaleurs depuis une semaine et maintenant une intense canicule – le Rhône ainsi que la Drôme, l'Ardèche et la Haute-Loire sont en vigilance rouge à la canicule mardi 22 août – Eric est en souffrance. "C'est infernal, on prend cher et on crève de chaud. La journée, la terrasse est en plein soleil mais il n'y a personne. Heureuseument qu'on peut patienter à l'intérieur dans la salle climatisée", commente le serveur, lundi, alors que sa terrasse se remplit doucement à mesure que le soleil décline enfin. Habitué à travailler souvent en soirée, il ne se souvient pas d'avoir eu "aussi chaud" l'été – le mercure pourrait atteindre les 40°C mardi. Et il peine à récupérer la nuit.
"Je dors très mal. J'ai le ventilo, mais je fais des grosses insomnies. Alors physiquement, je récupère moins et je fatigue plus vite."
Eric Lompre, serveur au café Leffe de Lyonà franceinfo
Paul revient de vacances, "dans le Sud, où il a fait moins chaud qu'à Lyon". Et pour son premier jour de reprise, lundi, certains habitués du café des Jacobins, près de la place Bellecour, étaient là malgré la chaleur, mais pas les touristes. Une vingtaine de couverts le midi, contre une centaine habituellement. "La journée va faire mal au patron", lance le barman, qui explique qu'à Lyon, "l'été c'est l'enfer". "Il y a une chaleur étouffante, un peu humide, et beaucoup de pollution", détaille Paul, qui compare la ville "à une cuvette, un peu comme Grenoble". Le café où il travaille adapte sa carte aux fortes chaleurs. Moins de cafés, "beaucoup de Spritz" et "plus de salades, des niçoises, des grecques, des burratas", détaille Paul.
En cuisine, "on peut vite monter à 50°C"
Tatiana travaille dans le bouchon PraLyon, un restaurant traditionnel situé dans le quartier du Vieux Lyon, de l'autre côté de la Saône. Elle ne fait pas le même constat. "Etonnamment, les gens mangent des gratins de ravioles, de la tête de veau. Je pensais qu'on arrêterait ça en juin, mais les gens en demandent. On pourrait croire que, quand il fait chaud, les client veulent se faire une salade."
Tatiana connaît tout le monde sur la place du Gouvernement, un des endroits les plus cotés de la capitale rhodanienne pour y manger quenelle, cervelle de canut et autres spécialités lyonnaises. Elle constate que les clients arrivent plus tard pour dîner, à l'heure espagnole. "Le service démarre à 21 heures. Quand il fait 40°C, les gens se planquent", explique la serveuse, dont le bouchon arrête la restauration en continu quand les températures s'affolent. "L'après-midi, il n'y a personne, c'est mort".
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La serveuse n'a pas l'air particulièrement affectée par la canicule. "On s'adapte dans la restauration", rigole Tatiana, qui interroge son collègue cuisinier : "C'est quoi nos astuces ?" Le cuistot évoque "les allers-retours dans la chambre froide" pour se rafraîchir et les courants d'air en ouvrant la sortie de secours. "Mais la friteuse, plus la poêle, et tout le reste... On peut vite monter à 50°C", prévient Tatiana, qui bénit la hotte et la climatisation. "Mais parfois, le matos souffre, les frigos tombent en panne et on se retrouve à aller chercher des glaçons chez les voisins", concède-t-elle.
Vigilance accrue sur la chaîne du froid
La chaleur oblige également les restaurateurs à être plus rigoureux face à la chaîne du froid. Wilfried tient un restaurant italien près de la place des Terreaux et redouble de vigilance lors de la livraison des produits. "Je dis à mes équipes d'être présentes à la livraison, parce qu'à 7 heures, il fait déjà 27°C. Et si on laisse les produits dehors...", souffle le directeur du Cavallo.
Ce restaurant tourne avec un sureffectif actuellement, le boss ayant décidé de ne pas limiter le personnel, malgré le faible nombre de couverts. "Ce soir [lundi], j'ai neuf employés mais on pourrait assurer le service à cinq, avec un serveur, un pizzaïolo, un cuisinier, un plongeur et moi. Mais c'est impossible de les faire bosser sous 37°C. Il faut prendre en compte leur fatigue." A ses côtés, le pizzaïolo, un Italien originaire de Naples, prépare une pizza, "un bordel avec cette température". Le four affiche 330°C, la chaleur est difficilement supportable et Nando avoue boire entre "3 et 4 litres" d'eau par soirée
"Beaucoup de gens nous appellent, et la première chose qu'ils veulent savoir, c'est si on a la clim'", raconte Wilfried, qui se refuse pour l'instant à l'installer. "Le restaurant est grand ouvert, il donne sur la rue, alors niveau écologie...", souffle le restaurateur, qui transpire à grosses gouttes et concède être "HS" en ce moment.
Ahmed travaille dans un kebab située dans le quartier de la Guillotière, avec une clim'. "Sans ça, on ne pourrait pas travailler. Ça fait vingt ans que je travaille dans des kebabs, et pour avoir travaillé dans certains sans clim', je peux vous affirmer que c'est juste impossible avec la chaleur de la cuisine et de la broche", explique le restaurateur. Il observe que les gens viennent manger à partir de 20 heures. "Entre 11 heures et 19 heures, on n'a personne. Mais en même temps, qui a envie d'un kebab avec ces températures ? Pas moi en tout cas."
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