Climat : état des lieux, base de débat… A quoi servent vraiment les rapports du Giec ?
Le premier des trois volets qui composent le sixième rapport du Giec, le groupe d'experts internationaux sur le climat, permet de faire le point sur les connaissances scientifiques sur le changement climatique. Mais est-ce suffisant pour faire bouger les choses ?
Des précipitations exceptionnelles en Chine et en Allemagne, des températures hors normes au Canada, des incendies ravageurs dans le sud de l'Europe, mais aussi en Turquie et dans l'ouest des Etats-Unis… La publication, lundi 9 août, de la première partie du sixième rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) intervient au milieu d'une avalanche de catastrophes portant les impacts du dérèglement climatique sur le devant de l'actualité.
Sept ans après la sortie du précédent rapport, le premier des trois volets qui composeront cette nouvelle évaluation – elle sera complète d'ici l'automne 2022 – s'intéresse aux sciences physiques du climat. Des données, des figures, bref, de la science dure pour comprendre l'état de notre planète. Synthèse de milliers d'études publiées par les meilleurs instituts et universités du monde, cette publication ne fait pas de recommandations. Dès lors, comment les rapports du Giec parviennent-ils à appeler à l'action ?
Ils dressent un état des lieux des connaissances scientifiques
Le Giec rassemble des chercheurs, mais n'est pas un organisme de recherche. Ses auteurs (plusieurs centaines répartis sur les cinq continents) ont pour mission de synthétiser des travaux menés dans les laboratoires du monde entier, afin de faire le point sur les connaissances scientifiques sur le climat. Ainsi, participer à la réalisation d'un rapport constitue un "honneur" qui attire des milliers de postulants, relève le climatologue Jean Jouzel. Parce qu'ils proposent "une base commune des connaissances de notre communauté", ces rapports donnent une force inédite au discours scientifique, poursuit celui qui a participé à la réalisation de quatre de ces publications, en tant qu'auteur ou membre du bureau.
Avant de rendre un rapport complet de quelque 2 000 pages, plusieurs dizaines de milliers d'articles scientifiques sont passés au crible. Cela représente sept ans de travail. Faire ainsi le point sur les connaissances à l'instant T permet de dynamiser la recherche, souligne Jean Jouzel. "J'ai beaucoup appris en participant aux rapports du Giec : cela donne des idées, crée des collaborations. Travailler sur ces rapports permet d'identifier les aspects les moins étudiés des sciences du climat. Si le Giec ne fait pas non plus de recommandations en termes de sujets de recherche, il donne lieu à de nouveaux projets", qui font encore avancer l'état des connaissances, souligne-t-il.
Ils garantissent une base commune pour les dirigeants
Si les rapports ne font pas de recommandations politiques, "les Etats s'en servent pour guider leur action", explique Eric Brun, secrétaire général de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (Onerc). L'organisme, qui dépend du ministère de la Transition écologique, participe aux discussions qui précèdent l'approbation du "Résumé à l'intention des décideurs", un texte synthétique d'une trentaine de pages qui accompagne chaque rapport et en propose un aide-mémoire plus digeste pour le commun des mortels. Pendant plusieurs semaines, ce "résumé des résumés" fait la navette entre le Giec et les délégations des Etats signataires afin de se mettre d'accord sur des formulations à la fois compréhensibles par tous et implacables du point de vue scientifique.
Une fois adopté par tous les pays, pendant la semaine qui précède la publication des textes du Giec, ce document constitue "un socle commun, une vérité universelle qui va éclairer toutes les décisions jusqu'à ce qu'un nouveau rapport soit publié", poursuit Eric Brun, scientifique de formation. Chaque ligne fait l'objet d'âpres discussions. "Certains pays veulent atténuer certains messages, notamment sur les causes du changement climatique, et d'autres – comme la France, l'Union européenne, la Suisse, la Norvège, le Royaume-Uni, les Etats-Unis et le Canada – veulent au contraire les renforcer", continue-t-il. Car en peu de mots, cette synthèse envoie aux décideurs "des messages très forts".
Surtout que cette année encore, la publication du premier volet du sixième rapport du Giec intervient avant d'importants rendez-vous diplomatiques, comme l'assemblée générale des Nations unies prévue en septembre à New York ou le sommet du G20 – dont les pays émettent 80% des gaz à effet de serre – en octobre à Rome. En point d'orgue, la COP26 se déroulera en novembre à Glasgow. C'est pourquoi "l'approbation des rapports du Giec [via le "Résumé à l'intention des décideurs"] est une étape cruciale. C'est ce qui fait la force du Giec", martèle Jean Jouzel.
"Quand les pays arrivent à une COP, leurs gouvernements sont d'accord sur cette base et on n'a pas besoin de rediscuter de ces points à l'ouverture. S'il n'y avait pas cette dernière étape d'adoption, je pense que le rapport du Giec finirait dans les tiroirs."
Jean Jouzel, climatologueà franceinfo
Pour preuve du poids de ces textes, le climatologue cite l'accord de Paris qui reprend, in extenso, les données mises en avant dans le cinquième rapport du groupe. De même, depuis que le Giec a préconisé, en 2018, de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle, plus de 130 pays ont inscrit dans leurs objectifs d'arriver à la neutralité carbone d'ici 2050, insiste-t-il. "Les décideurs politiques prennent appui sur les rapports du Giec pour définir des objectifs. Du moins, dans les textes. Car toute la question est de savoir s'ils respectent ces objectifs", nuance toutefois Jean Jouzel en déplorant "le fossé qui se creuse entre les engagements et les actions".
Ils animent le débat
En mettant en avant la rigueur des rapports et leur caractère quasi exhaustif, la communauté des sciences du climat a façonné, avec le Giec, un outil de communication efficace pour les ONG, car incontestable aux yeux des politiques, souvent sourds à leurs cris d'alerte. Au sein du Réseau action climat, Aurore Mathieu estime ainsi que les données partagées dans chaque nouvelle production du Giec "renforcent vraiment [leur] plaidoyer".
Le texte met ainsi en lumière certaines thématiques sur lesquelles se positionner. "Quand le rapport met en avant le rôle du méthane dans le réchauffement climatique, nous nous interrogeons sur ce que nous disons à ce sujet, poursuit Aurore Mathieu. Est-ce que ce point était un angle mort de notre discours, ou est-ce que nous le prenons déjà suffisamment en compte ?"
Surtout, si le Giec ne prend pas position, il "nous donne des éléments scientifiques qui fournissent une base solide sur laquelle appuyer nos demandes et nos revendications". Notamment sur des questions qui divisent, comme celle des technologies proposées pour limiter le réchauffement. "Certains pays comptent beaucoup sur des technologies de capture de carbone. Pour nous, les rapports démontrent que leur efficacité n'est pas prouvée, détaille par exemple Aurore Mathieu. Quand les décideurs mettent en avant des solutions simplistes, qui peuvent parler aux électeurs, mais ne sont pas au point scientifiquement, nous pouvons les interpeller sur ces points, avec des faits scientifiques, et non pas des opinions."
Ils témoignent de l'action (ou de l'inaction) des politiques
Alors que la communauté internationale s'apprête à dresser un premier bilan de l'accord de Paris, entré en vigueur il y a cinq ans, le nouveau rapport du Giec constitue enfin une pièce maîtresse pour évaluer ce qui a été fait… ou pas, explique Eric Brun. "C'est une phase extrêmement importante puisque la France – au sein de l'Europe des 27 – demande que ce bilan se traduise en un appel pour relever l'ambition en matière de lutte contre le changement climatique".
Les engagements de 2015 ont-ils été tenus ? Les émissions de gaz à effet de serre ont-elles diminué ? A chaque rapport, le Giec fournit la réponse donnée par la science. Et depuis le premier en 1990, ces faits scientifiques démontrent que le monde politique n'a pas relevé les défis posés par le réchauffement climatique, en dépit de la création des Conventions des Nations unies sur le climat en 1992 ou de la signature du protocole de Kyoto en 1997. A l'aube du sixième rapport, il a même pris "un retard hallucinant", note Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace France.
"Ce qui est alarmant, ce n'est pas le rapport du Giec. C'est l'apathie et le manque de réponses politiques à ces constats qui sont saisissants et unanimes. Et c'est d'autant plus déplorable que ces Etats valident les conclusions du Giec et prennent des engagements au sein de l'accord de Paris."
Clément Sénéchal, porte-parole de Greenpeace Franceà franceinfo
Pour le militant écologiste, "on va vraiment dans le mur les yeux grands ouverts, car on n'a jamais eu autant de données scientifiques unanimes sur un même phénomène". Et, à ses yeux, ces rapports successifs illustrent finalement "une rupture entre le savoir et le pouvoir, notamment le pouvoir politique", sur la question du réchauffement climatique.
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