Réchauffement climatique : dans les Alpes, comment la faune et la flore doivent s'adapter ou trépasser
Des mammifères aux plantes en passant par les insectes et les oiseaux, les écosystèmes sont particulièrement menacés dans les Alpes, où l'augmentation des températures est plus sensible qu'en plaine.
Quand elle se sent en danger, la marmotte fait comme nous : elle hurle. Lorsqu’elle aperçoit un aigle tournoyer dans le ciel ou un renard à l’approche, son cri strident alerte ses camarades. C’est, entre autres, grâce à lui qu’elle a triomphé des menaces qui l’entourent. Mais le rongeur emblématique des Alpes saura-t-il se défendre face à un nouveau prédateur, le réchauffement climatique ? "Les marmottes auront-elles le temps de s’adapter ? Et si oui, comment ? Nous n’avons pas encore de réponse à ces questions", explique à francetv info Dominique Allainé, directeur du projet marmotte alpine.
Il les étudie depuis plus de vingt ans, mais ce n'est que récemment, "vers 2010", estime-t-il, que lui et d'autres chercheurs se sont interrogés sur l'avenir de ces petits mammifères et des autres espèces qu'ils côtoient sur les pentes alpines.
Les Alpes, deux fois plus exposées au réchauffement
Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent au rythme actuel et que la COP21 échoue à limiter l'augmentation des températures à 2 °C, une espèce animale sur six risque de disparaître sous les effets du réchauffement climatique, a mis en garde en avril 2015 une étude américaine publiée dans la revue Science (article en anglais). Ce réchauffement n’est toutefois pas homogène sur le globe. En Europe, la température moyenne a augmenté de 0,95 °C au cours du XXe siècle, tandis que les Alpes se sont réchauffées de 1 à 3 °C (selon les lieux) au cours des cinquante dernières années. Dans cette chaîne de montagnes déjà durement touchée par la fonte des glaciers, et où de nombreuses espèces sont endémiques, il met déjà en péril les plantes, les oiseaux, les insectes et bien sûr, les marmottes.
Au début, les observations réalisées par Dominique Allainé et son équipe dans le parc national de la Vanoise (Savoie) pouvaient laisser penser que la marmotte bénéficierait de ce réchauffement climatique : "Avec la fonte précoce de la neige en altitude, les marmottes, qui sortent d’hibernation de plus en plus tôt, fin mars, début avril, trouvent plus facilement de la nourriture", explique le spécialiste. Mais au fond du terrier, la réalité est tout autre.
Des marmottes transies de froid ?
C'est l'hiver que les effets du réchauffement affectent le plus les marmottes dans les terriers, "ces boîtes noires, inaccessibles à l'homme". "On constate que la couche de neige en surface est de plus en plus fine. Or, la couche de neige joue un rôle d’isolant, qui maintient la température dans le terrier autour de 2, 3 ou 4 °C. Désormais, elle ne peut plus assurer ce rôle, ce qui fait chuter la température" et pousse les marmottes à consommer beaucoup d’énergie pour se réchauffer. En d'autres termes : à cause du réchauffement climatique, les marmottes alpines pourraient paradoxalement mourir de froid.
"Pour les vingt-cinq dernières années, on assiste à une baisse assez régulière de la taille des portées. Les conditions hivernales sont dégradées. Les mères sont dans des conditions corporelles réduites, et ce même si elles ont accès plus vite à de la nourriture au printemps. Elles ont trop souffert pendant l’hiver et donc elles ont moins de réserves et produisent moins de jeunes”, poursuit Dominique Allainé. Moins de jeunes mâles notamment qui, une fois adultes, ne pourront assurer l'une de leur fonction : réchauffer le terrier.
Embouteillage d'espèces au sommet
Contrairement aux marmottes, l’hespérie des sanguisorbes, elle, a déjà commencé la migration nécessaire à son épanouissement. Ce petit papillon brun, aux ailes tachetées de blanc, vivait à 1 500 mètres d’altitude au début du XXe siècle. On le trouve désormais à 2 020 mètres. "Cette observation est liée à la hausse de température depuis cent ans, a expliqué au journal suisse Le Temps l'entomologiste Daniel Cherix. Cependant, il est difficile de dire si la cause est le déplacement de la végétation. L’hespérie ne se développant pas sur une seule espèce de plante, on ne peut que faire des hypothèses."
Selon l’Observatoire régional des effets du changement climatique en Rhône-Alpes (Onerc), quand la température augmente de 1 °C (pour mémoire, les engagements pris par les pays en vue de la COP21 aboutiraient en l'état à une hausse de 3 °C d’ici à la fin du siècle), les espèces doivent se déplacer d’environ 160 km vers le Nord et grimper de 160 mètres en altitude afin de retrouver les conditions de vie idéales. “Le biotope de végétation méditerranéenne devrait à terme devenir dominant dans la majeure partie des plaines de Rhône-Alpes”, prévient ainsi l’Onerc. Mais pour les espèces qui s’épanouissent à flanc de montagne, "au-delà des sommets, il n’y a plus guère que le ciel", écrivait déjà la Commission internationale pour la protection des Alpes (Cipra) en 2002.
A cela, s'ajoute l'arrivée sur cette espace limité d'espèces venues du Sud, à la recherche de leur climat de prédilection, prêtes à entrer en concurrence avec les espèces endémiques des hauteurs alpines. Comme la renoncule des glaciers, une ravissante petite fleur blanche qui s'épanouit autour de 2 600 mètres. D'ici à 2100, elle devra remonter de 1 200 mètres, estiment les spécialistes du Centre de recherches sur les écosystèmes d’altitude (Crea), à l'origine de la création de l'Atlas du Mont-Blanc. L’épicéa, lui, grimpera de 500 mètres, où les températures sont plus clémentes, mais où l'accès à l'eau est plus difficile.
Ainsi, une étude menée sur 150 espèces de haute montagne dans les Alpes européennes prévoit que "la réduction d’habitat pour ces espèces serait de l’ordre de 44 à 50 % pour la fin du XXe siècle."
Un printemps plus précoce
Outre cette crise du logement, le réchauffement climatique, dans les Alpes comme partout ailleurs, bouscule la routine (en terme savant, la phénologie) des êtres vivants. Ainsi, quand le gobemouche noir, un oiseau migrateur au long cours qui voyage chaque année jusqu'en Afrique subsaharienne, revient en Europe du Nord, le pic d'émergence des insectes dont il se nourrit est dépassé. Il a été avancé par le réchauffement climatique. Or, le gobemouche n'écoute que son horloge interne quand, au bout du monde, il décide d'entreprendre son périple. Hélas, ce décallage s'observe partout, y compris dans les Alpes.
Selon le Livre blanc du climat en Savoie, réalisé en 2009, le printemps commence déjà en moyenne de 6 à 8 jours plus tôt en montagne qu’il y a trente ans. En plaine, il n'a avancé que de trois jours. Pour l'instant.
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