Jean-Louis Étienne va explorer l'océan Austral du Polar Pod, un "bateau vertical" de 100 m de haut
Cette expédition, prévue pour 2023, a notamment pour objet de mesurer "la performance" de cet océan en matière de captation du gaz carbonique, "que l'on émet en excès".
Entre enjeux climatiques et étude de la faune océanique, le médecin-explorateur Jean-Louis Étienne, 74 ans, devrait partir fin 2023 explorer l'océan Austral à bord du Polar Pod, un bateau "vertical" capable de résister aux mers extrêmement agitées des "Cinquantième hurlants" proches de l'Antarctique. "Le moteur, ce sera le courant circumpolaire qui fait le tour de l'Antarctique et du pôle Sud, et on a six éoliennes", a-t-il expliqué ce mardi sur franceinfo.
franceinfo : Le Polar Pod, c'est un "bateau vertical", une plateforme océanique mobile, une sorte de cathédrale des mers. Vous pourriez nous le décrire ?
Jean-Louis Étienne : C'est un grand flotteur vertical qui fait 100 mètres de haut, dont 80 sous l'eau, et qui pèse 1 000 tonnes. Un bateau, c'est posé à la surface et agité par le mouvement des vagues. Mais comme on va étudier l'océan Austral, les fameux Cinquantièmes hurlants et leurs mers agitées, on va utiliser ce bateau vertical, pour étudier cet océan dans de bonnes conditions de sécurité et de confort.
Il sera ancré profond, jusqu'à 80 mètres sous l'eau, dans des eaux stables. En plus, c'est un treillis, c'est-à-dire trois tubes, et la mer vous passe à travers. On n'est pas percuté par les vagues. Dans tous les essais qu'on a pu faire, on s'est rendu compte qu'il est d'une très grande stabilité. Même sur la vague cinquantennale, une vague d'algorithme de 38 mètres de haut, ça passe bien. Le bateau se couche, puis se redresse. On a aussi de chaque côté deux passerelles assez longues, des "ailes" sur lesquelles on peut mettre des voiles, d'un côté ou de l'autre, ce qui nous permet d'infléchir légèrement notre trajectoire.
On sera totalement autonome en énergie et en motorisation. Il y a un courant qui fait le tour de l'Antarctique, du pôle Sud, qui s'appelle le courant circumpolaire. On va être entraînés par ce courant. Et on a six éoliennes.
Qu'allez-vous chercher dans les eaux du pôle Sud ?
Nous allons parcourir deux fois 22 000 km. On ne se rend pas compte mais l'océan Austral est un immense océan. C'est une courroie de transmission entre les trois océans : l'Atlantique, l'Indien, le Pacifique. Il est loin, il est difficile d'accès, il est encore assez méconnu. C'est pour ça que j'ai lancé ce projet. Et puis cet océan a une particularité, c'est un élément essentiel de la régulation du climat. C'est le principal puits de carbone océanique de la planète dont on ne connaît pas vraiment la performance. Le CO2 que l'on émet en excès et qui est responsable du réchauffement climatique se dissout prioritairement dans les eaux froides. Cet océan austral absorbe la moitié du gaz carbonique qui est absorbé par l'ensemble des océans. Et c'est ça que nous allons mesurer, les échanges entre l'atmosphère et l'océan.
On va également croiser toute une faune de manchots et de baleines, le krill, les orques, les calmars, le calmar colossal peut-être ! Des pêcheurs ont ramené des morceaux de calmars dont les analyses génétiques ont prouvé que ce n'était pas le calmar géant, c'est un colossal, qu'on n'a jamais vu. On va surtout faire un inventaire de la faune par acoustique, parce que le Polar Pod est un navire silencieux. On connaît la signature sonore de toutes les espèces. Cet inventaire permet de gérer la pêche dans ce secteur.
Êtes-vous finalement plus heureux là-bas qu'ici ?
Ça a la force d'attraction des choses inaccessibles. Il y a un challenge. C'est une autre planète. C'est assez fascinant. Ce n'est pas parce qu'on aime le froid [-43°C à -48°C prévus ce mardi à la station d'Amundsen-Scott, à 250 mètres du pôle Sud]. Ce sont de grands déserts. Ce sont des zones que j'adore. J'ai 74 ans et ce que je fais m'amuse. J'ai d'abord été tourneur-fraiseur, puis médecin interne en chirurgie et je me suis consacré à ces choses que j'aime. Je dis à tout le monde : résistez à la tentation de l'abandon. Quand ça devient compliqué, des fois, on dit bof, j'arrête. On ne se construit pas en abandonnant des projets qui font rêver. Le découragement est un test permanent à franchir, sinon rien n'existe.
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