: Portrait "Il est animé par cette rage de protéger le vivant" : Thomas Brail, militant perché dans les arbres et figure de la lutte contre le projet d'A69
Mardi 10 octobre, peu avant 5 heures du matin. Le militant écologiste Thomas Brail, en grève de la faim depuis le 31 août contre le projet d'A69 entre Toulouse et Castres, est transféré après un malaise à l'hôpital Cochin, dans le 14e arrondissement de Paris. Il avait cessé de boire la veille.
Rapidement, les réactions de soutien se multiplient. Les messages qui disent craindre un drame aussi. Quelques heures plus tard, la préfecture d'Occitanie annonce que l'abattage d'arbres sur le tracé de la future autoroute est suspendu jusqu'à vendredi, et une réunion entre le préfet d'Occitanie, celui du Tarn, des élus du territoire et des représentants des associations "concernées par le projet". Dans la foulée, deux autres opposants au projet et Thomas Brail, dont le visage émacié trahit une dizaine de kilos perdus, suspendent leur grève de la faim et de la soif.
Il a conditionné la fin de sa grève à l'arrêt des travaux
Une victoire pour l'activiste ? Le militant écologiste qui proteste contre la construction de cette voie rapide, synonyme d'abattage de centaines d'arbres et de disparition de nombreux hectares de terres et zones humides, a en tout cas obtenu une trêve. L'arboriste-grimpeur de 48 ans, originaire du Tarn, a répété qu'il conditionnait la fin de sa grève de la faim à l'arrêt des travaux et à un moratoire sur le projet. Un chantier jugé anachronique par ses opposants dans le contexte de crise climatique, mais défendu par les autorités qui le jugent indispensable pour désengorger les axes routiers entre Toulouse et Castres.
"Nous sommes mitigés, mais c'est une mini-victoire parce que Thomas a recommencé à manger et à boire. Nous n'étions pas très sereins", avoue Jean-Baptiste Laval, membre du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA), association créée par son ami militant. "Il est déterminé, bourré de convictions. Il est animé par cette rage de devoir protéger le vivant."
Pour s'opposer à ce projet, qu'il combat depuis plusieurs années, Thomas Brail a souvent grimpé aux arbres. En 2019, il s'était perché 28 jours dans un platane en face du ministère de la Transition écologique. Rebelote en 2023, quand il a occupé des platanes le long du tracé, puis à Toulouse, mais aussi à Paris, toujours en face du ministère situé boulevard Saint-Germain.
Entre-temps, il défend d'autres engagements, toujours liés à la biodiversité et à la préservation des arbres. Sa boussole. "Il dit toujours qu'un arbre sauvé, c'est un arbre de plus pour son fils de 6 ans", explique l'un de ses proches lors d'un rassemblement de soutien organisé à Paris, mardi.
"Il est têtu. Il est prêt à assumer toutes les conséquences pour la protection des arbres."
Alexis Boniface, coprésident du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA)à franceinfo
"J'ai toujours eu une connexion forte avec la nature, confirme l'intéressé dans les colonnes de Ouest-France. [Les arbres], j'y passais du temps [plus jeune], c'était un endroit sécurisant". L'homme à la barbe de trois jours se décrit comme un "défenseur" du végétal, plutôt qu'un activiste ou un écologiste. Des termes qu'il juge "trop clivants". S'il est parfois obligé de se justifier, c'est qu'il est devenu le visage du mouvement de contestation de l'A69. Jusqu'à s'inviter au ministère des Transports, mi-septembre.
Reçu par Clément Beaune, qui "respecte son combat"
Le "défenseur des arbres" a rencontré le ministre Clément Beaune et lui a demandé de stopper le chantier et l'abattage des platanes. L'échange n'a pas été concluant, ce qui n'a pas empêché le ministre de saluer sa démarche. "Cet homme est sincère, je respecte son combat, et il défend, à plusieurs reprises d'ailleurs, l'écologie, et notamment la plantation d'arbres", avait-il avancé sur franceinfo.
Plusieurs personnalités de la vie publique sont même montées échanger avec Thomas Brail, dans son arbre en face du ministère. Parmi eux, la secrétaire nationale d'Europe Ecologie-Les Verts, Marine Tondelier, la climatologue Valérie Masson-Delmotte, le mathématicien et ancien député de l'Essonne Cédric Villani, d'abord sous la bannière LREM, puis du Groupe écologie démocratie solidarité et enfin non inscrit.
Tous saluent son combat. "J'ai été marqué par son rapport extrêmement sensible à l'arbre, se souvient Cédric Villani, joint par franceinfo. Mais il avait pleinement conscience qu'au-delà de l'arbre, il avait besoin de faire quelque chose de spectaculaire pour faire avancer sa cause. Certains ont essayé de le dépeindre en fanatique ou en illuminé : c'est tout l'inverse. Cela m'a frappé."
Critiqué pour son engagement
Le Tarnais, devenu une figure politique tout en étant soutenu par de nombreux scientifiques, a aussi essuyé quelques critiques pour son engagement contre l'A69 ou pour l'utilisation de la grève de la faim comme mode de revendication. "Il est sur un parti-pris qui est devenu extrêmement idéologique. Il est presque l'otage de l'extrême gauche", accuse dans Ouest-France le maire de Mazamet (Tarn), Olivier Fabre, qui connaît l'activiste de longue date et défend le projet autoroutier.
"On prend le problème à l'envers. Si les citoyens en viennent à engager leur propre vie, c'est parce qu'il y a un projet destructeur en face", rétorque son ami Jean-Baptiste Laval. "On ne peut pas se réjouir qu'on en arrive là, qu'un citoyen soit obligé de mettre sa vie en danger", tempère le député LFI de Haute-Garonne, Hadrien Clouet, qui s'oppose aussi au chantier. "Après, c'est le choix d'un mode d'engagement d'un militant, et ça lui appartient. Il est le visage qui représente l'opposition au projet. Et cela, ça aide, ça rend plus efficace le mouvement." Sur son arbre perché, Thomas Brail semble avoir été entendu.
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