: Reportage Climat : à Planpincieux, le glacier qui menace de s'effondrer sur le village ne fait ni chaud ni froid aux habitants
Sur le versant italien du mont Blanc, le glacier de Planpincieux menace le village en contrebas. Alors que la hausse des températures accélère sa fonte, les autorités redoublent de vigilance, au grand dam des habitants.
"Le glacier, ça ne nous fait pas peur. Ça fait partie des risques de la montagne." Non loin de l'entrée italienne du tunnel du Mont-Blanc, toute une vallée vit désormais au rythme des alertes liées au glacier de Planpincieux. Laura Bonora a la soixantaine, elle habite le hameau avec son mari depuis de nombreuses années. La dernière alerte remonte au 7 août : la route a été coupée quelques heures, par peur d'éboulements en provenance du glacier. Un scénario loin d'être irréaliste puisqu'en octobre 2020 déjà, un bloc de glace de 15 000 m3 s'est détaché d'un sérac situé au-dessus du glacier de Planpincieux.
Laura est catégorique, "il y a toujours eu des glaciers en montagne, ça ne nous a jamais empêché de vivre sereinement ici !" Un avis loin d'être isolé, dans cette vallée longue de treize kilomètres, latérale au mont Blanc. Ici, seule une dizaine de Valdôtains vivent à l'année. A l'arrivée des beaux jours, la population se partage entre les habitants estivaux et les touristes de passage.
Et les alertes ont tendance à agacer les habitants comme les commerçants du hameau. Marco Belfrond a passé toute sa vie dans le val Ferret. Il vit à quelques kilomètres de là à Courmayeur, dont dépend Planpincieux, et tient l'hôtel Miravalle au centre du village. Accoudé à l'accueil de son établissement, il détaille : "L'an dernier, on a été évacué, et il y a une dizaine de jours il y a eu des restrictions d'accès au niveau de la route. C'est ridicule ! Fermer le chemin pour cinq heures ? Qu'est-ce que ça veut dire ?"
"Ce n'est pas si dangereux"
Le quinquagénaire a du mal à comprendre les décisions des autorités, d'autant qu'à son sens, "c'est normal que le glacier se défasse petit à petit et qu'il y ait des éboulements". "Avant que le glacier tombe et arrive jusqu'ici... Vu le chemin qu'il y a à parcourir, je crois que ça n'arrivera jamais", lâche-t-il. Et de conclure : "Ce n'est pas aussi dangereux qu'ils veulent le faire croire".
Un peu plus haut, le bar Lo Brenlo est installé dans une modeste maison en pierre et bois, caractéristique de l'architecture de la région. Alors que les touristes profitent des rayons du soleil, installés dans les transats du jardin attenant, Nicole Passino raconte que l'établissement appartient à sa famille depuis 35 ans. Elle vit dans un appartement en-dessous du bar depuis quatre ans, sauf lorsque la menace des avalanches est trop forte, "dans ce cas-là, je sais que je dois descendre à Courmayeur", explique la jeune femme, entre deux additions. Visible juste au-dessus du bar, le glacier ne l'inquiète pas.
"Ça ne me fait pas peur du tout. Nous sommes habitués à vivre en montagne, nous savons que les éboulements arrivent parfois."
Nicole Passino, habitante de Planpincieuxà franceinfo
Un discours qui tranche avec celui de la fondation Montagne sûre, créée en juin 2002 à l'initiative de la région de la vallée d'Aoste et de la mairie de Courmayeur. Elle est notamment chargée de la surveillance des glaciers et de la sécurité en montagne dans les Alpes. Leur bureau principal est perché sur les hauteurs de Courmayeur, avec une vue imprenable sur la vallée.
"De grands éboulements pourraient se produire avant qu'il ne disparaisse"
Ici, quatre glaciologues surveillent près de 200 glaciers de la région, notamment à l'aide de radars et de caméras thermiques fonctionnant en permanence. Fabrizio Troilo y travaille depuis 2016. Selon lui, "s'il n'y a qu'un seul glacier parmi ceux sous monitoring qui doit se détacher, ça sera probablement le Planpincieux, et ça peut arriver à moyen terme". Perché à 3 100 m d'altitude, le glacier est tempéré : contrairement aux glaciers polaires encore gelés jusqu'à la roche, les glaciers tempérés sont soumis aux variations de température. En été, le glacier de Planpincieux repose sur une couche d'eau, sur laquelle il peut glisser.
Sans être alarmiste, l'expert explique que tous les paramètres concordent avec des drames arrivés dans le passé, comme en août 1965 avec l'effondrement d'une partie du glacier de l'Allalin en Suisse.
"La pente du glacier, la quantité d'eau qui coule, l'apparition de phases actives, la fracture de certains secteurs du glacier... Tous les signes sont là. Donc il faut prendre des mesures."
Fabrizio Troilo, glaciologueà franceinfo
Actuellement, c'est la déstabilisation de la partie droite du glacier qui préoccupe les glaciologues. "Le pire scénario envisagé est qu'un million de m3 se déverse du glacier. Mais nous n'avons jamais eu d'alerte en ce sens, décrit Fabrizio Troilo. Pour le moment, la plus grande déstabilisation que l'on ait connu était en août 2020, ça concernait 500 000 m3. Mais la situation était limitée, et très monitorée." En 2017, un écoulement de 60 000 m3 a eu lieu, sans atteindre le village.
En été, la période la plus active des glaciers, la fondation édite un bulletin journalier sur l'état de celui de Planpincieux. A partir de ce document, la mairie de Courmayeur et la Protection civile décident des mesures à prendre. C'est l'un de ces rapports qui a provoqué les évacuations en août 2020. Cette fois-là, les autorités avaient même pris des précautions supplémentaires par rapport aux préconisations des scientifiques, en élargissant le périmètre d'évacuation.
Roberto Rota est le maire de Courmayeur depuis novembre 2020, il connaît parfaitement les velléités des habitants de Planpincieux. "Beaucoup vont dire : 'Le glacier n'est jamais tombé'. Donc ils vivent mal ce problème. C'est vrai que les glaciers ont toujours bougé, mais avant il n'y avait pas d'études dessus, expose ce Valdôtain d'origine. Il est aussi assez difficile pour quelqu'un qui n'étudie pas les glaciers de se rendre compte du problème." A terme en raison du changement climatique, et comme de nombreux glaciers des Alpes, celui de Planpincieux pourrait disparaître. Mais "de grands éboulements pourraient se produire pendant une période de dix à cinquante ans avant qu'il ne disparaisse. C'est pour cela qu'on le surveille", affirme Fabrizio Troilo.
"Le glacier fondait avant la pollution"
La population reste hermétique aux préconisations des autorités, considérant que les risques du glacier ne sont pas différents des dangers habituels de la montagne. "Tous les jours depuis des années, des petits morceaux du glacier tombent. Depuis que je suis là, c'est comme ça", argue Caramello Franco, loueur de vélo installé à Planpincieux depuis 1986. D'après lui, si les autorités se préoccupent du glacier, ce n'est pas réellement pour la menace, mais plutôt "parce qu'ils ne veulent pas prendre de risques, ils déclenchent l'alerte pour se déresponsabiliser". L'Italien de 80 ans estime que les alertes ne sont que des "fake news" : "J'habite depuis longtemps dans la vallée, j'ai été moniteur de ski et aspirant guide de montagne, je crois que j'ai un peu d'expérience de la montagne, estime-t-il. Tout cela n'est qu'une farce."
Ludovico Colombati est l'habitant le plus haut perché de Planpincieux, le dernier rempart au glacier. Pas de quoi l'effrayer. Pour atteindre sa maison, il faut serpenter longuement sur les routes sinueuses qui mènent au hameau, puis s'enfoncer dans la forêt. Au bout de quelques minutes, son refuge se dessine : une grande bâtisse des années 1930 dont le menuisier n'est autre que son grand-père.
Lui y habite depuis trente ans, ses deux filles y sont nées. "En hiver, la neige est si abondante qu'elle arrive au niveau du balcon, donc nous vivons au premier étage", explique-t-il en faisant le tour de la maison. En cette saison, Planpincieux devient alors le terminus du val Ferret, la neige recouvrant le reste de la route. Seul le chemin menant à la maison de Ludovico est déblayé. Dans son jardin, on devine le glacier entre les arbres, et on entend le torrent découlant du glacier, à quelques mètres de là. "C'est vrai que c'est très spectaculaire vu d'ici : s'il se détache, il semble inévitable que le glacier arrive immédiatement ici. Mais le glacier bouge très lentement, je le connais parfaitement", assure-t-il.
Le sexagénaire a pris l'habitude de contrôler le glacier tous les jours, à vue d'œil. "Lorsqu'il n'y a plus beaucoup d'eau dans le torrent, il y a un risque de digue intérieure. Si ça rompt, c'est dangereux. Mais le déclenchement du sérac, ce n'est rien, ça fait du bruit, mais c'est assez commun. A l'oreille, je me rends compte tout de suite s'il y a un problème." Ludovico se fie à son expérience de la montagne. Comme les autres résidents de Planpincieux, il a toujours habité dans la vallée.
"Il n'y a aucun risque zéro, que l'on habite en ville ou à la montagne. Ce n'est pas évident de vivre ici, il y a de nombreux problèmes à résoudre, mais le glacier est un risque minimal."
Ludovico Colombati, habitant de Planpincieuxà franceinfo
Tout comme Caramello Franco, il considère que les autorités font preuve de zèle, par peur de répercussions pénales en cas d'accident. En lieu et place des évacuations et des fermetures de route, il privilégie la pédagogie : "Il faut dire aux touristes : 'Vous êtes à la montagne, faites attention à votre environnement, regardez où vous allez, les chutes de pierre peuvent arriver, etc.'"
Quant aux raisons de la fonte du glacier, dont il estime qu'il a perdu la moitié de sa masse depuis qu'il s'est installé dans le village, Ludovico est partagé. "Les experts disent que c'est dû à la pollution, mais en regardant l'histoire de la région, on voit qu'il fondait même avant tout cela, détaille-t-il. Je pense que le changement climatique est une des raisons de la fonte, mais c'est minimal. Ce qui est sûr, c'est que le réchauffement des montagnes entraîne des risques nouveaux." Comme des glissements de terrain, des avalanches de plus en plus fréquentes et des crues plus intenses des rivières alpines.
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