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Inondations dans le Pas-de-Calais : stocker l'eau des crues en vue de la sécheresse est "extrêmement complexe", selon l'hydrogéologue Alain Dupuy

Article rédigé par Léa Prati - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Une personne marche dans une rue inondée de Blendecques (Pas-de-Calais), le 7 novembre 2023. (JOHAN BEN AZZOUZ / MAXPPP)
Pourquoi ne pas profiter des inondations pour récupérer et conserver l'eau en prévision des périodes sèches ? Alain Dupuy, professeur d'hydrogéologie à l'Institut polytechnique de Bordeaux, décrypte cette hypothèse pour franceinfo.

Depuis le début du mois de novembre, les fortes pluies et les tempêtes se sont succédé dans le Pas-de-Calais, causant d'importantes inondations dans le département. Depuis le 6 novembre, elles ont touché près de 5 000 logements et contraint à l’évacuation de 1 400 personnes, selon le préfet Jacques Billant. Dans un contexte de réchauffement climatique, est-il possible de stocker ces importants volumes d'eau pour les réutiliser en période de sécheresse ? Interrogé par franceinfo, Alain Dupuy, professeur d'hydrogéologie à l'Institut polytechnique de Bordeaux (INPB), analyse cette hypothèse, alors que la décrue est toujours attendue dans le Pas-de-Calais.

Franceinfo : quelle est la situation des nappes phréatiques dans Pas-de-Calais actuellement ?

Alain Dupuy : la situation n'est pas homogène sur l'ensemble du territoire. Elle dépend de la géologie locale, c’est-à-dire de la roche présente dans le sous-sol et de ses propriétés physiques, comme sa porosité. Dans la région, les précipitations ont participé de manière générale au rechargement des nappes. Localement, comme près de Saint-Omer, à Blendecques, où le sol est principalement composé de craie et d'argile, la nappe est affleurante [pleine].

Quel est le risque immédiat lorsqu'une nappe est pleine et que la zone concernée enregistre de fortes précipitations ?

Dans ce cas, les nappes deviennent un frein à la décrue. Elles renvoient uniquement l'eau par le ruissellement et n'absorbent plus rien. Le rôle d'éponge du sous-sol ne s'opérant plus, toutes les pluies qui arrivent vont passer en ruissellement et, potentiellement, en crue.

Y a-t-il des risques de débordement sur le long terme ?

Certaines nappes phréatiques sont plus réactives que d'autres aux changements environnementaux. Les nappes situées plus profondément dans des terrains moins perméables à l'eau mettent plus de temps à réagir aux précipitations. 

"Ces nappes peuvent continuer à se remplir sur plusieurs semaines, même après la fin des précipitations, et atteindre des niveaux exceptionnellement élevés une fois que la décrue a commencé."

Alain Dupuy, professeur d'hydrogéologie à l'INPB

à franceinfo

Dans ce genre de situations, de nouvelles inondations peuvent survenir dans des zones différentes de celles initialement touchées. Les nappes phréatiques et les cours d'eau sont étroitement interconnectés, de sorte que lorsque les nappes sont saturées, elles peuvent déverser l'excès d'eau vers des zones basses ou des cours d'eau, augmentant ainsi le risque de débordements.

Pour ce qui est des nappes peu profondes, lorsque de grandes quantités d'eau y parviennent, le niveau de l'eau peut s'élever au-dessus du niveau habituel. Si l'eau ne trouve pas de passage pour s'écouler, elle peut remonter à la surface. Cela peut entraîner des inondations par le sous-sol. Ce phénomène est connu sous le nom de remontée de nappe [comme l'explique le site officiel Géorisques].

Est-il possible d'utiliser l'eau des inondations pour favoriser la décrue et recharger les nappes moins remplies ?

Prendre de l'eau des inondations et des crues est extrêmement complexe. La règle en France, c'est de recharger de l'eau de qualité similaire à celle déjà présente dans la nappe. Dans ses recommandations, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) autorise la recharge artificielle des nappes phréatiques sous certaines conditions seulement (lien PDF). 

"Dans le cas des inondations, l'eau est turbide, c'est-à-dire qu'elle est trouble et chargée en matières. Il peut aussi y avoir des risques sanitaires car elle peut avoir touché des surfaces contaminées."

Alain Dupuy, professeur d'hydrogéologie à l'INPB

à franceinfo

A l'aspect sanitaire s'ajoute l'aspect physique qui complexifie la démarche : si on essaie de faire rentrer artificiellement de l'eau des inondations dans les sols pour une recharge artificielle des nappes, cela va avoir un effet de colmatage qui va limiter l'infiltration au lieu de la favoriser. Le colmatage se produit lorsque des particules fines comme la boue, l'argile ou les sédiments organiques présents dans l'eau d'inondation s'accumulent dans les pores du sol. Cela réduit la perméabilité du sol.

Utiliser l'eau des inondations reste néanmoins possible. Mais cela nécessite d'importants aménagements pour pouvoir la traiter avant de la réinjecter dans le sous-sol. Le meilleur moyen est de laisser le temps et la gravité faire leur travail. En effet, quand l'eau est chargée en matières, les sédiments retombent et l'eau de surface devient plus claire. Or, lors d'inondations, le temps est compté.

Et qu'en est-il d'un stockage à l'air libre ?

Le problème est le même, il faut ramener l'eau à un niveau de qualité plus élevé, quelle que soit son utilisation ultérieure. Mais stocker l'eau en surface amène un autre problème : cela demande une place considérable et non habitable. Par exemple, en amont de la Seine, à l'est de Paris, les lacs réservoirs du Der-Chantecoq, Amance, du Temple, de Pannecière et d'Orient protègent le Bassin parisien des crues et du risque d'inondations en aval. Aujourd'hui, avec le développement des habitations, des cultures agricoles, des usines, mettre en place des zones inondables devient quasi impossible. Plus personne n'accepte d'en avoir, car cela prend trop de place.

Des expérimentations de recharge artificielle des nappes sont effectuées dans la vallée de la Garonne où vous travaillez. En quoi consiste ce projet ?

Depuis deux ans, nous essayons de refavoriser l'entrée de l'eau dans la nappe pour en avoir davantage pendant les étés, mais il ne s'agit pas d'eaux de crues. En amont de Toulouse et en aval d'Agen, on essaie de capter de l'eau en hiver dans différents canaux. On essaie de refaire infiltrer cette eau-là, qui a suffisamment cheminé pour devenir de l'eau claire, dans la nappe pour la remplir davantage que ce qu'on a actuellement. On a déjà fait des essais d'infiltrations dans un fossé et dans un puits. Mais ce qui est compliqué, c'est de changer d'échelle. Cette année, on va essayer d'accroître les surfaces mises en œuvre pour pouvoir augmenter cette proportion d'eau de recharge artificielle.

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