"Tout recommencer encore et encore, ce n'est pas une vie" : dans le Var, les victimes des inondations épuisées par les catastrophes à répétition
Quelques jours après les intempéries qui ont noyé Roquebrune-sur-Argens, franceinfo est allé à la rencontre des sinistrés, qui revivent la situation pour la quatrième fois en dix ans.
"On ne peut pas vivre comme ça, c'est pas possible. Tout est pourri." Le visage déconfit et fatigué, Dominique, 74 ans, nous fait visiter sa maison située au bord de l'Argens et dévastée par les récentes inondations à Roquebrune-sur-Argens (Var). Dans la nuit du vendredi 22 au samedi 23 novembre, elle et son mari sont partis de chez eux en catastrophe. Trois jours plus tard, mardi, elle redécouvre son foyer. "L'eau est montée, montée. Il y a la marque sur les volets", décrit-elle, en pointant une trace boueuse à la hauteur de ses épaules. Une fois dans sa maison, ses bottes en caoutchouc couinent dans la boue. On ne voit presque plus le carrelage du salon. Toutes ses affaires sont imbibées d'eau et teintées de marron. Ses murs forment des cloques et s'effritent. "Il ne nous reste plus rien."
Elle n'est pas seule dans cette situation. A Roquebrune, de nombreux habitants ont été touchés par cet épisode méditerranéen intense. Comme Edouard, gérant du Restaurant du lac, au bord du fleuve. "Là, tout est détruit, c'est l'ouragan", souffle-t-il en observant les dégâts. Chaises, tables, décorations… Tout est étendu dans de larges flaques de boue. "L'eau est montée à environ deux mètres dans le restaurant", raconte-t-il. Derrière l'établissement, des voisins nettoient eux aussi les ravages des inondations, entourés de dizaines de meubles, bibelots et bouteilles dispersés dans les jardins. "J'ai eu 1m40 dans le garage. Tout est en vrac, c'était l'apocalypse", décrit Jean-Charles, affairé à recenser les dégâts pour les assurances.
Pour Aude, 33 ans, il n'y a plus rien à faire. Rencontrée dans une salle d'aide aux sinistrés, elle nous raconte vivre à 50 mètres du lac de l'Aréna avec ses deux enfants, âgés de 7 et 13 ans, et son mari. "On n'a plus rien. Plus rien... Tout est mort, tout est à jeter. On se retrouve avec nos baskets, nos chaussettes, notre pull, notre veste, et c'est tout", énumère-t-elle, en portant à bout de bras des sacs de vêtements donnés par les habitants. C'est la première fois qu'elle subit une telle situation. "On essaie d'avaler la pilule. Ce n'est pas évident quand on voit tout qui s'en va."
"On est angoissés à chaque fois qu'il pleut"
Pour d'autres malheureusement, la situation n'a rien d'inédit. Car ce n'est pas la première fois que le village de Roquebrune est inondé, les routes bloquées et les maisons sous l'eau. Avant cet épisode, il y a eu les crues de 2010, particulièrement dévastatrices, puis celles de 2011 et 2014. Les anciens ne les ont pas oubliées.
"En 2010, on est montés sur la mezzanine avec mon mari. On a attendu l'hélicoptère et on est partis par le toit", raconte Dominique, qui a déjà subi trois inondations et appréhende désormais la moindre intempérie. "Aussitôt qu'on voit l'alerte orange, on s'en va. On va dans notre petit cabanon plus loin. C'est énervant. On est angoissés à chaque fois qu'il pleut beaucoup. J'en ai marre, plus que marre !"
Dans le village, cette peur est partagée. "On subit, quoi… Ce n'est pas évident à vivre", reconnaît Roland, croisé sur un chemin détrempé. Pour beaucoup, le plus dur est de devoir, sans cesse, tout reconstruire. "Ça m'énerve de tout recommencer encore et encore. C'est pas une vie ! On ne peut pas vivre comme ça", s'agace Dominique. Le restaurant d'Edouard va lui aussi avoir besoin de nouveaux travaux. "En 2010, j'avais mis un an à remettre tout le restaurant en place", se rappelle son propriétaire. Cette fois-ci, il espère rouvrir en mai prochain mais craint déjà les prochaines inondations.
On nous a dit qu'en 2010, c'était une crue centennale. Ça fait neuf ans. C'était plus une crue décennale en fait… On peut donc en reprendre une dans six mois, dans un an ou dans deux ans !
Edouard, gérant d'un restaurantà franceinfo
D'autant que les conditions météorologiques ne s'améliorent pas. D'après les prévisionnistes météo, "les épisodes méditerranéens seront de plus en plus nombreux et de plus forte intensité dans les années à venir". Maryse est l'une des plus anciennes habitantes du village : elle y est née, il y a 82 ans. "Jamais je n'avais vu ça. Ça se dégrade, c'est incroyable", déplore-t-elle en constatant les dégâts chez ses voisins pendant la promenade de son chien. "A chaque fois, on se dit que ça ne peut pas aller plus haut, mais si", confirme Valérie, 49 ans, qui vit à côté. "Bientôt, on va connaître la mousson", ironise Rémi, plus loin. D'après ce retraité, ancien gérant d'un camping maintes fois inondé, l'Argens avait l'habitude de sortir de son lit "en une semaine". "Maintenant, il ne lui faut que deux jours. C'est bien plus rapide." Les responsables, selon les habitants ? Le réchauffement climatique, bien sûr, mais aussi l'urbanisation des berges.
"Le nettoyage de l'Argens, c'est une arlésienne"
Au fil des années, la zone a en effet vu naître de nombreuses constructions, qui ont imperméabilisé les sols et empêché ainsi les eaux de pluie de s'écouler ou d'être absorbées par la terre. "C'est tout construit, il y a plein de grandes surfaces. Avant c'étaient des marécages, avec des roseaux...", regrette Rémi. De nombreux supermarchés ou grands magasins se sont d'ailleurs implantés au nord de Roquebrune-sur-Argens, comme on peut le voir sur cet avant-après montrant le village en 1955, puis en 2017.
"Ce que l'on souhaite aussi, c'est qu'enfin on s'occupe de ce fleuve, l'Argens. Il a besoin d'être nettoyé ! C'est si long à se mettre en place", défend Antonius Jacobs, conseiller municipal de Roquebrune. Les détritus qui s'accumulent dans l'Argens – on y trouve même des caravanes – bouchent, en effet, le fleuve ; lorsque la météo se gâte et que l'eau monte, celle-ci déborde alors très rapidement.
"Je vais partir plus haut"
Mais les habitants perdent espoir concernant une intervention des autorités. "Les communes en amont ne bougent pas. Le nettoyage de l'Argens, c'est une vraie arlésienne", soupire Rémi. Edouard, dont le restaurant est en première ligne, explique avoir assisté à des réunions sur le sujets. "On passe du temps à écouter les gens. Je sais qu'il y a eu une somme d'argent débloquée, mais je ne sais pas où elle est. On n'a apparemment pas pris conscience de 2010. En dix ans, on peut faire quelque chose… Là, rien n'a été fait !"
Lassés, certains Roquebrunois envisagent désormais de quitter leur maison. "Je vais partir dans le village, plus haut. Je vais louer quelque chose, juste pour moi", explique Maryse, pourtant installée dans sa maison depuis quarante ans.
La prochaine fois, ça pourrait rentrer chez moi. Je ne peux plus rester là… Je serai plus rassurée.
Maryse, habitante de Roquebrune-sur-Argensà franceinfo
Arrivée il y a vingt ans de Lyon pour profiter du soleil, Dominique y réfléchit aussi sérieusement. "On est tellement bien l'été, le rocher de Roquebrune est très beau. On s'y plaît, mais on ne sait pas… On en a marre. Mon mari m'a dit hier que c'était peut-être la dernière fois qu'on aurait à subir ça." Ce dernier complète : "Là, le ciel, ce n'est plus la Côte d'Azur, c'est la côte noire…"
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