Sécheresse en France : un an après la pénurie d'eau, plongée dans le parcours sinueux d'un monde rural en quête d'or bleu
Et si l'"inédit" devenait la norme ? A l'été 2022, plus de 1 000 communes ont pris des mesures exceptionnelles pour assurer la continuité du service en eau potable sur tout ou partie de leur territoire. Selon un rapport gouvernemental, 343 communes ont alors eu recours au citernage (le transport d'eau par camion), 196 ont distribué des bouteilles, 271 ont bénéficié de l'aide de voisins via des interconnexions de secours, etc. Ces solutions d'urgence, coûteuses et provisoires, ont révélé la vulnérabilité des territoires ruraux, sommés de s'adapter au pas de course – et à coups de millions d'euros – à l'échappée du climat. A la fois sprint et course de fond, l'adaptation essore d'ores et déjà les élus locaux.
Le maire de Berrien (Finistère) pourra bientôt souffler. "La canalisation qui nous relie à Scrignac devrait être opérationnelle dans les dix derniers jours de juillet", jauge Hubert Le Lann. Démarrée en février avec l'été en ligne de mire, la connexion entre ces deux communes des monts d'Arrée, distantes de 8 km, devra permettre d'empêcher le scénario catastrophe de 2022 : quelque 900 habitants privés d'eau potable pendant cinq mois. Le comble pour cette région qualifiée de "château d'eau de la Bretagne".
Raccordé en urgence en juillet 2022 sur les réserves d'une ancienne mine de kaolin, le réseau berriennois a été alimenté par une eau impropre à la consommation en raison d'un taux trop élevé d'arsenic. Pour permettre aux habitants de boire, cuisiner ou se brosser les dents, la mairie a distribué 35 palettes d'eau en bouteille, au rythme d'un pack par semaine et par foyer. Pour l'élu, le recours aux gros travaux – et aux gros sous – s'est vite imposé : "En septembre, il ne pleuvait toujours pas assez pour réalimenter nos sources, explique-t-il. Tous les climatologues disent que des étés de ce genre vont inévitablement se reproduire. On ne pouvait pas rester comme ça."
Dès novembre, Berrien a présenté son projet de raccordement "avec un chiffrage à la louche, mais qui nous a permis de solliciter des financements avant la date limite du 31 décembre", poursuit l'élu. En quelques mois, le préfet, l'Agence de l'eau et le département ont convenu de financer respectivement 40%, 30% et 10% de l'ensemble des travaux, chiffrés à 700 000 euros, pour le raccordement et la réalisation, dans un second temps, d'un nouveau forage.
Le temps, c'est de l'argent
Mais, dans la plupart des villages contraints au citernage et aux livraisons d'eau en bouteille, difficile de déployer aussi rapidement une solution pérenne. En Haute-Loire, la commune du Bouchet-Saint-Nicolas, privée d'une de ses deux sources par une sécheresse hors norme, a obtenu en novembre 2022 une dérogation lui permettant provisoirement de potabiliser l'eau pompée dans le lac du Bouchet. A cette date, la maire d'alors estimait que les solutions d'urgence avaient déjà coûté 60 000 euros à ce village de 350 âmes. Solidaires, des habitants ont lancé une cagnotte pour alléger le fardeau qui pèse sur la petite trésorerie communale, mais, à ce jour, l'interconnexion espérée avec le voisin de Saint-Haon n'est pas concrétisée.
Dans le département voisin, à Coucouron (Ardèche), le ballet des camions-citernes a duré dix mois, pour un montant de 200 000 euros. Il a fallu attendre le mois de mai pour qu'une solution durable émerge, avec le captage d'une nouvelle source, repérée à 6 km du centre-bourg. Moyennant 600 000 euros de travaux, son eau sera stockée dans un réservoir et acheminée via une pompe jusqu'aux hameaux.
Mutualiser pour rester autonome ?
En Creuse, le nord-est du département est désormais régulièrement éprouvé par la sécheresse. "Le chantier est en train de se terminer. A la fin de l’année, nous serons raccordés. L'alimentation en eau potable sera sécurisée", se félicite Vincent Turpinat, président du Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable (Siaep) Boussac-Gouzon et maire (Renaissance) de Jarnages. L'élu se souvient de l'été dernier, "catastrophique", et se réjouit de voir aboutir un projet qu'il a vu stagner pendant quinze ans : la construction d’une canalisation de 39 km entre la Creuse et le département voisin de l'Allier.
Les épisodes de tensions sur la ressource en eau ont joué "un rôle de catalyseur" et mis fin aux dernières réticences locales, explique l'élu. Au cœur de la crise, en juillet 2022, trois nouvelles communes ont ainsi rejoint le Siaep. Le 31 mai, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, Bérangère Couillard, lançait ce "chantier pharaonique" à 13 millions d'euros.
Depuis que la sécheresse a exposé la vulnérabilité des communes rurales, isolées et victimes de décennies de sous-investissement dans leurs réseaux, le gouvernement n'a eu de cesse de vanter les mérites des regroupements intercommunaux. Le sens de l'histoire, ou du moins, celui de la loi : les communes devront avoir transféré leurs compétences en matière d'eau et d'assainissement au plus tard en 2026, au grand dam de nombreux maires ruraux et montagnards. Ils craignent une perte d'autonomie et pointent la spécificité de leurs territoires. "Quand il n'y a plus d'eau, c'est en mutualisant que l'on reste autonome", leur assure Vincent Turpinat.
Dans le Puy-de-Dôme, le président du syndicat mixte chargé de l'eau de Beurières-Chaumont-Saint-Just, dans les moyennes montagnes du Livradois, pense précisément l'inverse. "Ici, ce n'est pas franchement le plat pays", lance Gilbert Portail. Dans ces zones isolées, "on a des canalisations de 3 km rien que pour alimenter une maison", raconte-t-il. "Ça coûte 300 000 euros de refaire l'alimentation de 15 foyers et on veut nous faire croire que la solution serait de rejoindre un réseau de 12 000 abonnés ? Il faut être sérieux", soupire-t-il.
Pour lui, intégrer une telle structure signifierait l'abandon de son territoire, là où, à l'heure actuelle, "trois agents surveillent à plein temps le niveau des réservoirs et empêchent les fuites pour deux syndicats et la commune d'Arlanc". Une interconnexion, oui, mais pas n'importe laquelle. Par anticipation, il fustige "des appels d'offres à 4 millions d'euros, pour 50 communes", et des géants de l'eau ignorants des contraintes locales. "Je n'ai rien contre Veolia et Suez, mais rien ne sert d'avoir la folie des grandeurs. Quand la ressource s'est tarie, on est montés avec des camions dans les prés, là où se trouvent les sources. On les connaît," poursuit le conseiller municipal.
"Nos canalisations sont en bon état, mais il ne pleut pas. Vous croyez qu'ils vont creuser 50 km de grosses canalisations dans la montagne pour pomper l'eau de Clermont jusqu'à nous ?"
Gilbert Portail, président du Siaep de Beurières, Chaumont-le-Bourg et Saint-Just-de-Baffieà franceinfo
Sur ces terrains escarpés, le système D est assumé. Comme à Mirabeau, près de Digne (Alpes-de-Haute-Provence), où le maire et un adjoint ont identifié une source et percé un trou de 30 mètres, en mars, dans l'espoir de dénicher une "ressource en cas de pénurie". Mais le raccordement, freiné par les impératifs administratifs, frustre l'élu : "Si ça ne tenait qu'à moi, ce serait déjà fait depuis octobre", lançait-il au début de l'été.
"Agir vite" face à l'accélération du réchauffement
Joël Beynel, le maire de Darazac (Corrèze), sort tout juste de réunion. Président du Syndicat des eaux de Puy du Bassin, qui regroupe une poignée de communes rurales de la Xaintrie, il se félicite de voir "avancer" le dossier d'une interconnexion entre Saint-Privat et Argentat, ultime espoir selon lui de mettre fin à plusieurs années de pénuries d'eau estivales dans sa vallée. A ce stade, les élus discutent "de l'achat des terrains, des circuits que prendront les canalisations, du coût des travaux, bien sûr, et de leur incidence sur le prix du mètre cube d'eau", liste-t-il.
Car dans ces territoires agricoles, des exploitants craignent que cet aménagement ne fasse flamber le coût de la précieuse ressource. Cette "bataille de l'eau" qui s'éternise maintient Saint-Privat et ses alentours dans la précarité. "Nous sommes à la merci de la météo", déplore Joël Beynel. "Nous vivons au jour le jour. Nous sommes en lien avec des transporteurs prêts à intervenir au cas où. C'est la pluie qui décide", poursuit l'élu, soucieux de reprendre cette part de compétence transmise de fait aux éléments.
"Il est certain que la question de l'eau sera centrale pour les mandats suivants. Les regards sont tournés vers nous parce que nous avons eu recours au citernage, mais ceux qui se croient à l'abri doivent se tenir prêts."
Joël Beynel, président du Syndicat des eaux de Puy du Bassin (Corrèze)à franceinfo
"C'est aujourd'hui que les financiers répondent présents. Plus le temps passe, plus ce sera compliqué", prédit-il.
A Seillans (Var), où un quartier a été approvisionné par des camions-citernes l'été dernier, le maire, René Ugo (LR), voit l'adaptation comme "une montée en puissance". A court terme : des compteurs intelligents pour maîtriser en temps réel la consommation d'eau et intervenir à la moindre fuite, mais aussi "la réduction des autorisations de permis de construire, le temps de faire le point avec ceux dont les travaux n'ont pas commencé. Soit 1 000 logements en attente."
A moyen terme : des travaux plus lourds pour garantir de l'eau potable aux 350 habitants en difficulté sur la commune, quelles que soient les conditions. Car cette année, "le ciel est avec nous, si je puis dire", souffle l'édile, président de la Communauté de communes du Pays de Fayence. "Les nappes ont bien réagi aux pluies du printemps. Mais cela n'a pas été le cas chez nos voisins", note-t-il, convaincu aussi de ne plus jamais pouvoir compter sur les nuages.
"Il y a eu une première alerte en 2017, mais en 2022, nous avons vraiment vu les effets de l'accélération du changement climatique, constate l'élu. Mon sentiment, c'est qu'il faut agir vite. Ce problème restera un problème, mais, au moins, que ce soit un problème que l'on puisse gérer."
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