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Afghanistan : comment les talibans privent les femmes de leurs droits depuis le retour au pouvoir

Le régime multiplie les mesures liberticides depuis août 2021. Parmi les restrictions, figurent notamment l'encadrement des apparitions publiques et l'éloignement des sphères éducatives et politiques.
Article rédigé par franceinfo
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Deux femmes étudient chez elles avec leur frère, à Kaboul (Afghanistan), le 23 décembre 2022, après que l'accès à l'université a été banni aux femmes. (AHMAD SAHEL ARMAN / AFP)

L'étau ne cesse de se resserrer autour des femmes en Afghanistan. Samedi 24 décembre au soir, le ministère afghan de l'Economie a ordonné à toutes les ONG de cesser de travailler avec des femmes, sous peine de suspendre leur licence d'exploitation. Vent debout, de nombreuses organisations internationales ont depuis suspendu leurs activités dans le pays.

Ce couperet tombe moins d'une semaine après que l'Afghanistan a annoncé bannir les femmes des universités, malgré de nombreuses condamnations internationales. Après avoir promis de diriger avec une certaine souplesse, les talibans sont revenus à l'interprétation ultrarigoriste de l'islam qui avait marqué leur premier passage au pouvoir, entre 1996 et 2001. Ils ont multiplié les mesures contre les femmes, progressivement écartées de la vie publique. Franceinfo liste les domaines dans lequel leurs droits ont reculé depuis le retour au pouvoir des talibans, en août 2021

Les femmes écartées de nombreux emplois publics

Les femmes ont largement été exclues du monde du travail en Afghanistan, notamment de nombreux emplois publics et de plusieurs ministères. Un an après le retour au pouvoir des talibans, Marzia a ainsi expliqué à franceinfo qu'un collègue, qu'elle supervisait jusque là, l'avait remplacée à son poste dans un ministère. Désormais privée d'une partie de son salaire, elle ne touche plus que 220 euros par mois, au lieu des 1 310 euros qu'elle percevait auparavant. 

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"Sous la République (...), au Parlement, 27,7% des sièges de la Chambre du peuple étaient occupés par des femmes, à qui était aussi réservée la moitié des sièges de la Chambre haute, explique RFI. La sphère politique est maintenant exclusivement masculine. Les femmes en sont bannies." Dès le 17 septembre 2021, les talibans ont d'ailleurs renommé le ministère des Affaires féminines, désormais chargé "de la Prévention du vice et de la Promotion de la vertu", marquant ainsi leur volonté de restreindre les libertés des femmes.

Leur présence strictement encadrée à la télévision

Fin novembre 2021, après trois mois au pouvoir, les talibans ont demandé aux télévisions de ne plus diffuser des séries avec des femmes, dans le cadre de nouvelles "directives religieuses". "Les télévisions doivent éviter de montrer des feuilletons et séries à l'eau de rose dans lesquels des femmes ont joué", selon un document à l'attention des médias. Le ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice leur a également demandé de faire en sorte que les femmes journalistes portent "le voile islamique" à l'écran, sans préciser s'il s'agissait d'un simple foulard, déjà habituellement porté sur les télévisions afghanes.

Les filles exclues de l'enseignement secondaire et supérieur

Les filles qui avaient repris le chemin de l'école ont dû rentrer chez elles. Les talibans ont décidé de leur interdire l'accès à l'enseignement secondaire, le 23 mars, quelques heures à peine après la réouverture des établissements scolaires. En septembre, le porte-parole du gouvernement avait pourtant promis le retour en classe des collégiennes et lycéennes "aussi vite que possible", lorsque les cours reprendraient.

Neuf mois après cette volte-face, les fondamentalistes ont exclu les femmes de l'enseignement supérieur. Le 20 décembre, toutes les universités afghanes (publiques et privées) ont été informées par courrier de la suspension "jusqu'à nouvel ordre" de l'éducation universitaire des femmes, sur décision du ministère de l'Enseignement supérieur. Une interdiction survenue moins de trois mois après que des milliers d'entre elles ont passé les examens d'entrée à l'université, dans tout le pays.

Selon le gouvernement, cette restriction se justifie car les femmes ne "respectaient pas le code vestimentaire" et "les instructions sur le hijab", le voile islamique. Autre argument du ministre de l'Enseignement supérieur taliban : les filles qui étudiaient dans une province éloignée de leur domicile "ne voyageaient pas non plus avec un 'mahram', un accompagnateur masculin adulte".

Les Afghanes interdites de voyager sans parent masculin

Les déplacements des femmes ont été restreints plus largement. Fin mars, les talibans ont ordonné aux compagnies aériennes de refuser d'embarquer des femmes si elles n'étaient pas accompagnées d'un homme de leur famille pour voyager. Trois mois plus tôt, les fondamentalistes avaient déjà interdit aux Afghanes d'effectuer des voyages de plus de 72 kilomètres à travers le pays, si elles n'étaient pas accompagnées par un membre proche de leur famille. 

Obligées de porter la burqa en extérieur

Le chef suprême des talibans a également ordonné aux femmes de porter un voile intégral en public, début mai. "Elles devraient porter un tchadri [autre nom de la burqa], car c'est traditionnel et respectueux", précise un décret signé par Hibatullah Akhundzada. "Les femmes qui ne sont ni trop jeunes ni trop vieilles devraient voiler leur visage quand elles font face à un homme qui n'est pas membre de leur famille", pour éviter la provocation, ajoute le texte. Si elles n'ont pas d'importante tâche à effectuer à l'extérieur, il est "mieux pour elles de rester à la maison".

Bannies des parcs, jardins, salles de sport et bains publics

Alors qu'ils représentaient l'un des derniers espaces de liberté qui leur était encore accessible, les parcs et jardins ont dû fermer leurs portes aux femmes, début novembre. Jusqu'alors, des horaires et jours différenciés avaient été instaurés pour qu'hommes et femmes ne se croisent pas. "Dans de nombreux endroits, les règles ont été violées, a justifié le porte-parole du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice. Il y avait une mixité et le [port du] hijab n'était pas respecté. C'est pourquoi une telle décision a été prise pour le moment."

Dans la foulée, les gymnases et les bains publics ont été interdits aux Afghanes. "Les salles de sport sont fermées aux femmes parce que leurs entraîneurs étaient des hommes et que certaines [des salles] étaient mixtes", a affirmé le ministère, ajoutant que les hammams et bains publics étaient également concernés par ces restrictions.

Privées de travail dans les ONG  

Derrière interdiction en date : samedi 24 décembre, les autorités talibanes ont ordonné aux ONG locales et étrangères de ne plus travailler avec des femmes. Dans une lettre qui leur est adressée, le ministère chargé d'approuver les licences des organisations opérant en Afghanistan a expliqué avoir pris cette décision après avoir reçu des "plaintes sérieuses", selon lesquelles les femmes y travaillant ne respectaient pas le port du "hijab islamique"

L'organisation Action Aid, qui a annoncé suspendre ses activités dans le pays, a rappelé que "les femmes [étaient] essentielles à toute opération d'aide humanitaire", d'autant plus en Afghanistan où "seules les femmes peuvent interagir avec des femmes". Selon les Nations unies et les agences d'aide internationale, plus de la moitié des 38 millions d'habitants du pays ont besoin d'une assistance humanitaire pendant l'hiver. 

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