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Un an après le retour des talibans, la vie détruite des femmes afghanes : "Parfois, je pleure en pensant à tout ce qu'on a perdu"

Article rédigé par Eloïse Bartoli
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un an après le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan, franceinfo s'est intéressé au sort des femmes. L'illustration montre, à gauche, une Afghane avant la prise de Kaboul, sans obligation de porter le voile et libre d'accéder à l'éducation. A droite, un an plus tard, ses libertés sont réduites. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Déscolarisation, mariages forcés, répression... Depuis la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août 2021, les Afghanes sont les premières victimes des fondamentalistes islamistes.

Sur sa photo de profil WhatsApp, Soheila*, 23 ans, passe sa main dans ses longs cheveux bruns et arbore un large sourire. "Je ne portais pas le hijab [voile islamique] avant que les talibans le rendent obligatoire", explique la jeune Afghane qui répond par messages à franceinfo. "Mais, à présent, les femmes doivent se couvrir, sinon elles seront battues", écrit, dans un anglais laconique, celle qui habite toujours dans la province de Kaboul, un an après l'arrivée des combattants fondamentalistes islamistes au pouvoir. 

>> Les femmes privées d'emplois en Afghanistan : "Nous sommes condamnées à rester chez nous"

Conformément à l'interprétation ultra-rigoriste de la charia (loi islamique), faite par les talibans, un décret datant du 7 mai a acté cette nouvelle règle vestimentaire pour les femmes. Le texte, écrit par le ministère de la Promotion de la vertu, qui a remplacé le ministère de la Condition féminine dès septembre 2021, précise que les femmes devraient porter un voile intégral, "car c'est traditionnel et respectueux".

Soheila, issue de la minorité tadjike d'Afghanistan, travaillait pour le ministère de l'Intérieur avant la prise de Kaboul. Elle ne peut à présent s'y rendre qu'une fois par semaine, pour les affaires courantes. Son salaire a été divisé par quatre, le tout dans un contexte de crise économique et de catastrophe humanitaire qui frappent le pays plus durement que jamais.

"Mon quotidien, je le passe à présent à la maison. Parfois, je vais dehors, mais je ne peux plus circuler librement."

Soheila*, Afghane de 23 ans

à franceinfo

Au-delà de 72 kilomètres du domicile, les femmes doivent en effet être accompagnées d'un "mahram", à savoir un chaperon qui peut être un mari ou un homme de la famille.

"Je ne vis pas, je survis"

Avant le 15 août 2021, la condition des femmes de ce pays de près de 39 millions d'habitants n'était déjà pas idéale, insiste Chantal Véron, responsable éducation pour  l'association Negar, qui vient en aide aux femmes afghanes. Oui, mais "au moins les droits des femmes étaient reconnus", se souvient-elle. Chantal Véron a déjà assisté, impuissante, à la première arrivée au pouvoir des talibans, entre 1996 et 2001. Une fois les fondamentalistes déchus, elle avait aidé à la reconstruction du pays, en créant des infrastructures sportives ou des écoles. Tout s'est de nouveau effondré en août 2021. " A présent, il n'y a plus de droit pour les femmes : elles ont tout perdu", déplore-t-elle.

"Nos vies de femmes ont sombré dans le gouffre de la misère", confirme Naeema, 26 ans. Employée du gouvernement, cette Kaboulienne a perdu son travail au sein du ministère de l’Education avec le changement de régime. Elle n'est pas seule : depuis un an, les femmes ont été exclues de la plupart des emplois publics et licenciées de nombreuses entreprises privées. Seuls quelques emplois leurs restent ouverts, notamment dans le secteur médical. 

Progressivement, l'horizon de Naeema s'est rétréci et son quotidien s'est retrouvé bouleversé. "Je ne vis pas, je survis et, parfois, je pleure en secret en pensant à tout ce que l'on a perdu", décrit la jeune femme, devenue militante féministe. "En un an, tout a changé pour les femmes afghanes : l'accès à l'éducation, à l'emploi, la liberté de mouvement, l'accès aux soins de santé, la liberté d'expression, le droit de vivre en sécurité, ou même d'avoir accès au sport ou à la musique..." liste Nassim Majidi, directrice du centre de recherche Samuel Hall et spécialiste de l'Afghanistan, interrogée par franceinfo. 

Filles déscolarisées et mariées de force

A leur arrivée aux commandes, kalachnikov à la main, les fondamentalistes islamistes avaient d'abord tenté de rassurer la communauté internationale, en promettant d'avoir changé. Au lendemain de la conquête de Kaboul, leur porte-parole, Zabihullah Mujahid, déclarait ainsi qu'il y aurait "de nombreuses différences" dans leur manière de gouverner, par rapport à leur règne à la fin des années 1990.

Une promesse qui n'a pas été tenue, d'après la chercheuse Nassim Majidi, qui y voit avant tout une preuve de la soif de pouvoir des talibans : "Les femmes sont un moyen pour eux de mieux contrôler, car elles sont souvent le pont entre la vie privée et la communauté. En les coupant de la vie communautaire, ils exercent un plus grand contrôle sur les familles : ils isolent ainsi davantage les foyers et généralisent la dénonciation", analyse-t-elle. Pour isoler toujours plus les femmes, les talibans ont ainsi démantelé le système de protection contre les violences conjugales. La chercheuse souligne que le nombre de mariages forcés, notamment d'enfants et de jeunes filles, augmente. 

"Marier les filles à des talibans permet aussi d'assurer la sécurité de la famille."

Nassim Majidi, fondatrice du centre de recherche Samuel Hall

à franceinfo

"Avec le manque de perspectives scolaires et professionnelles pour les femmes, les familles souhaitent les marier car il s'agit de bouches en moins à nourrir", relate-t-elle. Car depuis un an, les bancs des écoles afghanes se sont vidés : l'enseignement a été interdit aux filles au collège et au lycée durant sept mois, avant d'être brièvement autorisé de nouveau le 23 mars, puis interdit une seconde fois. Dans une étude publiée en avril (lien en anglais), les ONG Save the Children et l'Unicef estimaient ainsi à près de 80% le nombre de filles déscolarisées dans l'enseignement secondaire.

Même situation pour les étudiantes, qui naviguent entre interdictions formelles et assouplissement des règles. En septembre 2021, les talibans ont annoncé accepter les femmes dans les universités privées. Pour la première fois depuis la prise du pouvoir par les talibans, des universités publiques ont aussi rouvert leurs portes aux femmes en début d'année, mais pour des cours non mixtes et sous de strictes conditions. "Dans les faits, de nombreuses étudiantes sont discriminées par les gardes à l'extérieur de l'université si elles ne correspondent pas aux règles d'habillement. Cela les décourage et beaucoup ne viennent plus étudier", rapporte le président d'Amnesty International France, Jean-Claude Samouiller. Selon lui, la situation en Afghanistan est "catastrophique"

Arrestations, prison et torture

"On assiste à un effondrement de la notion du respect des droits humains pour toute la population et en particulier pour les minorités ethniques et les femmes", souligne-t-il auprès de franceinfo. Dans un rapport publié fin juillet, l'ONG tire la sonnette d'alarme : le régime se montre désormais particulièrement répressif, notamment vis-à-vis des femmes. "Le concept de corruption morale, qui est un crime dans la législation talibane, est utilisé pour sanctionner les femmes. Sa définition très vague permet d'arrêter à peu près tout le monde: pour une femme qui circule sans 'mahram' ou qui a son foulard mal mis, c'est la prison", constate Jean-Claude Samouiller, qui prévient : en détention, les femmes peuvent être battues. "On a l'exemple d'une personne qui a reçu de la torture psychique et des décharges électriques." Sans action rapide de la communauté internationale, "la situation va encore empirer", pronostique-t-il.

Une vision sombre de l'avenir partagée par Naeema, qui a toutefois décidé de se battre pour ses droits malgré les dangers encourus et "l'atmosphère pesante". "Nous planifions ensemble, prévoyons des réunions de dialogue, afin de pouvoir organiser une protestation contre les talibans misogynes et rétrogrades", relate-t-elle, avant d'être interrompue par une panne internet, un aléa devenu courant à Kaboul. Fatiguée mais combative, la jeune femme espère un sursaut général, pour que "les femmes du monde prennent conscience de la sombre situation des Afghane".

*Le prénom de cette témoin a été modifié.

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