Afghanistan : trois questions après l'attentat de Kaboul qui a fait au moins 50 morts près d'une école de filles
Le gouvernement afghan a accusé les talibans d'être responsables de ce massacre. Mais ces derniers ont nié toute implication dans cette attaque.
Des dizaines de fillettes ont été enterrées dimanche 9 mai à Kaboul, au sommet d'une colline appelée le "cimetière des martyrs". Au lendemain de l'attentat perpétré contre leur école, qui a fait plus de cinquante morts, en majorité des lycéennes de la communauté chiite hazara, le chef de l'Etat Ashraf Ghani a décrété un jour de deuil national. Il a accusé les talibans d'être responsables du massacre. Ces derniers ont démenti.
Ces dernières semaines, l'Afghanistan assiste à une recrudescence des violences sur fond de retrait des Etats-Unis du pays en juillet et de crainte d'une prise du pouvoir rapide par le mouvement des talibans, plus fort que jamais. Les affrontements sont particulièrement préoccupants dans le sud du pays. Franceinfo fait le tour des questions qui se posent sur les conséquences de cet acte terroriste, ainsi que les violences qui ont émaillé le pays.
1Qui est à l'origine de cette attaque ?
Les talibans ont été pointés du doigt par le gouvernement afghan comme étant les responsables de cet attentat, le plus meurtrier perpétré à Kaboul depuis un an. Mais le mouvement fondamentaliste a nié toute implication. "Il est très probable que ce soit l'Etat islamique qui ait commis les faits", analyse Gilles Dorronsoro, politologue spécialiste de l'Afghanistan, contacté par franceinfo. Selon lui, le procédé utilisé lors de cet attentat est assez semblable à celui commis le 12 mai 2020 à Kaboul, dans la maternité de Dasht-e-Barchi tenue par Médecins sans frontières (MSF). Ce jour-là, un groupe d'hommes armés avait attaqué cet établissement tuant vingt-cinq personnes, dont seize mères et plusieurs nouveau-nés.
2Qui était visé par cet attentat ?
Lors de l'attentat perpétré à Kaboul, c'est avant tout la minorité chiite hazara qui était visée. "Les Hazaras sont souvent pris pour cible par les groupes islamistes sunnites, dont le groupe Etat islamique, qui a une stratégie d'extermination des chiites", résume Gilles Dorronsoro. "Les attentats ont été commis contre une école mais surtout contre un symbole : l'éducation", ajoute Patrick Dombrowsky, directeur du Centre européen de recherche sur l'Asie médiane (Ceram), interrogé par franceinfo.
"C'est le projet d'instruction des jeunes filles, porté par les Etats-Unis depuis 2001, qui est attaqué."
Patrick Dombrowsky, professeur en sciences politiquesà franceinfo
Selon le ministère de l'Intérieur afghan, les trois explosions successives qui ont retenti devant l'établissement scolaire situé dans un quartier hazara de l'ouest de la ville n'ont laissé aucune chance aux jeunes filles âgées de 13 à 18 ans qui tentaient de fuir après la première détonation d'une voiture piégée. Elles ont été fauchées par deux autres bombes. "En tuant de jeunes adolescentes, c'est tout le pays qui est endeuillé et terrifié, et ce sont les effets émotionnels voulus par le groupe Etat islamique", observe encore Gilles Dorronsoro.
3Est-il lié au retrait des Etats-Unis ?
Le départ des troupes américaines, initialement prévu en septembre, a été discrètement avancé au 4 juillet. Cette nouvelle date a suscité l'inquiétude du pouvoir afghan, alors que les talibans accentuent leur pression sur le pays et que le processus de paix, entamé le 12 septembre 2020, est au point mort. Après vingt ans de présence, les Américains partent sur "une défaite dramatique", commente Gilles Dorronsoro. "Depuis le début du conflit, des milliers de soldats sont morts, 2 000 milliards de dollars ont été dépensés par les Etats-Unis et l'Otan..."
"La situation du pays est pire que celle qui existait en 2001, car maintenant, Al-Qaïda jouit d'un sanctuaire en Afghanistan, et il sera difficile de les en déloger."
Gilles Dorronsoro, professeur en sciences politiquesà franceinfo
Néanmoins, pour le chercheur, l'attentat survenu près d'une école à Kaboul ne semble pas avoir de lien avec le retrait des troupes américaines : "Ce qui intéresse l'Etat islamique est de diviser sunnites et chiites, notamment à Kaboul, car il y a déjà une communautarisation des quartiers et ça contribuerait au chaos déjà ambiant. Dans ce contexte, l'Etat islamique en sortirait renforcé."
>> Quatre questions sur le retrait des troupes américaines d'Afghanistan
"D'une manière ou d'une autre, l'Etat en place va disparaître", affirme Gilles Dorronsoro, qui voit deux scénarios pour l'avenir du pays. Dans le premier, un gouvernement d'union nationale permet aux talibans d'entrer dans les villes, de s'installer au gouvernement et de prendre le pouvoir, sans offensive armée.
Dans le deuxième scénario, il n'y a pas de gouvernement d'union nationale, les opérations militaires reprennent dès le départ des Américains et les talibans déclenchent une vague d'offensives pour reprendre le pouvoir. Le pays pourrait alors s'enliser dans une guerre civile qui durerait des années.
"Vu la situation, la minorité chiite continue de s'armer et de monter des milices d'auto-défense, ce qui contribue à la fragmentation de la carte politique. À partir du moment où l'Etat n'est pas capable d'assurer leur sécurité, ils vont avoir tendance à prendre les choses en mains eux-mêmes", assure Gilles Dorronsoro.
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