Covid-19 en Afrique subsaharienne : les futures mamans sont davantage privées de soins
Les perturbations dans la fourniture des soins aux femmes enceintes leur sont plus préjudiciables que la pandémie.
Ce n'est pas tant la maladie que ses conséquences qui les fragilisent. "Les femmes enceintes ont le même risque d’attraper le Covid que les autres, si les mesures de protection ne sont pas respectées. Les études montrent néanmoins que celles ayant d’autres comorbidités ont beaucoup plus de risques de mourir ou d’avoir besoin de soins intensifs", confie à franceinfo Afrique le Dr Triphonie Nkurunziza, chef de l'équipe en charge de la santé de la reproduction, de la santé de la mère, du nouveau-né et des personnes âgées au bureau régional pour l'Afrique de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans la région qui regroupe 47 pays,"nous ne savons pas exactement combien de femmes enceintes ont été infectées par le Covid". L'experte déplore "l’absence de données détaillées" quand elles sont communiquées par les Etats à quelques exceptions près. Au Cameroun au 19 avril 2021, "sur 67 839 cas" depuis le début de la pandémie,"il y a eu 323 femmes enceintes dont 4 décès répertoriés". D'après les calculs du médecin, le taux de létalité chez les femmes enceintes n’est pas plus élevé que celui de la population générale dans ce pays d'Afrique centrale.
Décès maternels : "13 à plus de 200%" de hausse
Selon les enquêtes réalisées par l’OMS, entre février et juillet 2020, et plusieurs agences onusiennes sur la continuité des services de santé de la reproduction, "sur les 22 pays qui ont renseigné le nombre de décès maternels (les mères qui meurent pendant l’accouchement et jusqu’à 42 jours après), dix d’entre eux ont rapporté une augmentation allant de 13% à plus de 200%". "Les femmes ne sont pas nécessairement mortes du Covid, précise le Dr Nkurunziza, mais plutôt des conséquences du dysfonctionnement des services de santé pendant les périodes de couvre-feu et de confinement."
D'après une récente étude publiée par le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) entre février et avril 2020 par rapport à la même période l’année précédente, "il a été constaté une augmentation de 96% du nombre de décès maternels au Kenya, 28% au Bostwana et 18% au Mozambique", affirme Hajer Naili, porte-parole de l'ONG américaine Project Hope qui intervient dans le domaine de la santé maternelle dans plusieurs pays africains. Le nombre de mort-nés a aussi "considérablement augmenté au Soudan du Sud" : une hausse de "169%". Avec le Tchad et la Sierra Leone, le pays compte parmi ceux qui ont enregistré plus de 1 000 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes en 2017, les plus importants au monde.
Une santé mentale très affectée
La pandémie a perturbé les soins, mais aussi "créé une sorte de peur panique", affirme le Dr Nkurunziza qui insiste sur la nécessité de se pencher sur la santé mentale. "Dans la région africaine, les femmes enceintes étaient très inquiètes par rapport aux difficultés d’accès aux soins nécessaires". Par exemple, elles "avaient peur de se rendre dans les hôpitaux qui avaient créé des unités pour traiter le Covid, d’être contaminées dans les établissements ou sur le trajet", explique Hajer Naili de Project Hope. Résultat : la fréquentation des services de santé a beaucoup baissé.
En comparant les données de 2020 par rapport à celles de 2019, le bureau Afrique a constaté une diminution des consultations prénatales et de celles pour la contraception. Selon l'étude du FNUAP, "moins de 20% des femmes ont eu accès au service de planning familial et aux soins reproductifs durant la pandémie en Afrique du Sud et au Mozambique", indique Hajer Naili. "Il y a eu beaucoup de craintes et de fausses informations. Par conséquent, les femmes ont eu beaucoup de réticences à se rendre dans les centres de santé ou à sortir de chez elles". Sans compter qu'avec les confinements et les couvre-feux, "après une certaine heure, elles ne pouvaient plus se rendre dans les hôpitaux et les taxis eux-mêmes n’acceptaient pas de faire les trajets."
Outre les restrictions de déplacement et la peur de la maladie, y compris la crainte que les voisins vous croient infectés si vous vous rendez à l'hôpital, s'ajoutent l'absence de moyens de transport et le manque de ressources chez des populations qui travaillent en majorité dans le secteur informel et vivent au jour le jour pour expliquer le recul des consultations. L'absence d’information sur la localisation des services et des centres de santé fermés, réquisitionnés ou dont les soignants sont tombés malades, est une raison supplémentaire.
En outre, "les complications liées aux avortements ont augmenté". "Dans la plupart de nos pays, poursuit le Dr Nkurunziza, l’avortement n’est pas légalisé. Cependant, il y a des avortements clandestins ou non-sécurisés et, quand il y a des problèmes, les femmes vont consulter." Les retours sont déjà alarmants : "Des jeunes filles de 10 à 14 ans sont venues en consultation pour des complications, des jeunes filles de moins de 19 ans..." La déscolarisation, due à la crise sanitaire, a contribué à la hausse des grossesses précoces. "Si les besoins en matière de contraception moderne étaient pleinement satisfaits, le nombre de décès maternels dus à des avortements à risque diminuerait de 82%. Et le nombre total de décès maternels diminuerait de 70%", indique un rapport du bureau Afrique de l'OMS datant du 15 avril 2021.
"Le Covid n'a rien arrangé"
En 2017, l’Afrique subsaharienne représentait "66% des 300 000 décès maternels enregistrés dans le monde" dus en majeure partie à des hémorragies. "Nous avons déjà des taux de mortalité très élevés", pointe le Dr Triphonie Nkurunziza. En termes de santé de la reproduction, "les communautés rurales sont les plus défavorisées parce qu’elles sont généralement loin des établissements de santé de référence qui peuvent leur prodiguer des soins de bonne qualité". Selon le médecin, "environ 40%" des femmes enceintes accouchent à domicile avec toutes les complications que cela implique. "Le Covid n’a rien arrangé" en matière de santé maternelle, conclut le Dr Nkurunziza. Avec la pandémie,"les accouchements dans les maternités et les hôpitaux ont aussi diminué".
Dans la région Afrique, "environ 80% " des femmes se rendent à la première consultation prénatale. "Mais il faut faire 4 à 8 consultations". Le pourcentage de femmes qui font au moins les quatre consultations tombe "aux alentours de 50-56%". Après la première consultation prénatale, beaucoup ne reviennent pas. Souvent, les futures mamans ne vont pas consulter parce qu’elles n’ont pas la permission de leur famille, que les établissements de santé sont loin, que les soins sont de mauvaise qualité ou encore parce qu’il faut payer.
Les décès maternels ont un coût social. D'après l'OMS, "lorsqu'une mère meurt ou est handicapée suite à la grossesse et à l'accouchement (...), les enfants survivants sont 3 à 10 fois plus susceptibles de mourir dans les deux ans que les enfants qui vivent avec leurs deux parents". De même, "les enfants orphelins de mère sont plus susceptibles d'abandonner l'école", de travailler et, pour les filles, le risque de mariage précoce est accru. Par ailleurs, selon l'agence onusienne, "la réduction du nombre de décès maternels en Afrique peut avoir un rendement économique important : chaque décès maternel diminue le PIB par habitant de 0,36 dollar par an."
Des pays "réactifs"
Des recommandations ont été faites par l'OMS aux pays depuis les premières évaluations de 2020. Ces dernières "leur ont fourni des informations qui les ont aidés à s’adapter" en pleine pandémie, déclare le Dr Nkurunziza qui se dit "impressionnée" par la "réactivité" des pays de la région. "La plupart a maintenant un plan de continuité de services." Les Etats ont communiqué afin que les services essentiels comme les consultations prénatales, les accouchements et les soins de l’enfant se poursuivent. Les autorités sanitaires ont également fait en sorte que patients et soignants se sentent protégés lors des consultations avec, entre autres, des mesures de triage et de désinfection systématiques.
Des solutions alternatives ont été aussi mises en place dans certains pays. Ainsi, par exemple, une femme enceinte séropositive qui a un traitement pour prévenir la transmission du VIH de la mère à l’enfant, bénéficie désormais "d'une cure de trois mois" au lieu de deux semaines ou d'un mois. Idem pour la contraception. Dans la même optique, "certains pays ont permis aux pharmaciens de donner aux femmes, sans ordonnance médicale, leur méthode de contraception", rapporte le Dr Nkurunziza. Autre approche : en Afrique du Sud, le téléphone mobile a été utilisé pour envoyer des messages aux femmes enceintes et aux nouvelles mamans pour leur indiquer où se rendre en cas de problème.
Après Ebola, "les leçons n'ont pas été tirées"
"Plusieurs pays africains sont en train de faire face à une nouvelle vague du Covid-19 et à la multiplication de variants, constate Hajer Naili, la porte-parole de l'ONG américaine Project Hope. On craint une nouvelle détérioration de l’accès aux soins maternels par rapport à la première détérioration (enregistrée) en début pandémie. Au regard des chiffres, même si ce ne sont que des données préliminaires et approximatives, on est en train de constater un retour en arrière par rapport aux progrès qui ont été faits sur la santé maternelle, du nouveau-né et de l’enfant dans plusieurs pays africains."
De plus, analyse Hajer Naili, "ce qu’on observe durant cette pandémie est assez similaire à ce qui avait été constaté durant l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest durant 2014 et 2016". "Les ressources disponibles dans les services de santé, déjà limitées, ont été détournées pour répondre à l’urgence sanitaire du moment, Ebola et maintenant le Covid. (...) Il y a eu des leçons apprises après Ebola en termes de contrôle de l'épidémie et de détection du virus. Mais pas en ce qui concerne les autres priorités de santé, comme la santé maternelle et celle de l’enfant. Les leçons n'ont pas été tirées à ce niveau-là."
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