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Les défis éthiques dont relève le don d'organes provenant d'un porteur du VIH

Des médecins sud-africains viennent de réaliser sur un enfant, dont la survie dépendait d'une greffe, une transplantation d'une partie du foie de sa mère porteuse du VIH. Cette intervention, inédite et réussie à ce jour, pose des questions d'ordre éthique et juridique, alors que l'Afrique du Sud fait face à une pénurie de donneurs d'organes.
Article rédigé par Dominique Cettour-Rose
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
La transplantation soulève des questions étiques. (CAIA IMAGE / SCIENCE PHOTO LIBRA / NEW / Science Photo Library)

 

Les médecins luttent pour trouver des organes de donneurs appropriés pour les patients gravement malades, dont la survie dépend d’une greffe. Cette situation les accule parfois à des choix difficiles. Il arrive par exemple qu’ils doivent, pour sauver la vie d’un patient, envisager de lui greffer un organe provenant d’un donneur dont le groupe sanguin diffère du sien, même si cela augmente les risques de complications.

Voici environ un an, nous avons nous-mêmes dû faire face à ce genre de choix : nous pouvions sauver la vie d’un enfant en lui implantant un greffon de foie – mais ce faisant, nous risquions de lui transmettre le VIH. La donneuse était en effet la mère séropositive du petit patient. La procédure comportait donc un risque de transmission du VIH à l’enfant. (ndlr : le foie pouvant se régénérer, il est possible d’en prélever une partie chez un donneur vivant pour la greffer à un receveur)

En Afrique du Sud, la loi n’interdit pas la transplantation d’un organe provenant d’un donneur vivant séropositif à un receveur séronégatif, à condition qu’une solide procédure de consentement éclairé soit mise en place. En raison du risque de transmission du virus, cette approche n’est toutefois pas considérée par tous les cliniciens comme faisant partie des bonnes pratiques.

Le jeune récipiendaire avait passé 181 jours sur la liste d’attente des dons d’organes. Or la durée moyenne de présence sur liste d’attente dans notre programme de greffe est de 49 jours. Durant ce laps de temps, la mère de l’enfant avait demandé à maintes reprises si elle pouvait donner une partie de son propre foie à son enfant. Nous ne pouvions toutefois pas considérer cette option à l’époque, car elle allait à l’encontre de la politique de notre unité. Mais sans une greffe, l’enfant allait très certainement mourir.

Après mûre réflexion, et avec l’aval du Comité d’éthique médicale de l’Université du Witwatersrand à Johannesburg, nous avons décidé de procéder à la greffe. En suivant une planification minutieuse, nous avons fourni à l’enfant un traitement à base de médicaments antirétroviraux avant l’intervention, avec l’espoir de prévenir l’infection par le VIH (prophylaxie pré-exposition, PrEP).

La transplantation, qui a été réalisée au centre médical Donald Gordon de l’Université du Witwatersrand, a été un succès. L’enfant est aujourd’hui épanoui, mais à ce stade, nous sommes toujours incapables de déterminer son statut VIH. Durant les premiers mois qui ont suivi la greffe, des anticorps anti-VIH ont été détectés dans son organisme, et l’infection semblait donc avoir eu lieu. Mais ces anticorps ont décliné au fil du temps, et ils sont désormais presque indétectables. Nous n’avons en définitive pas été en mesure d’établir si l’enfant est effectivement infecté par le VIH. Même le recours à des tests ultra-sensibles et très spécialisés n’a pas permis de détecter le VIH lui-même dans le sang ou les cellules de l’enfant.

Il faudra probablement que s’écoule encore un certain temps avant que nous puissions avoir une quelconque certitude. Cependant, l’enfant supporte actuellement très bien le traitement antirétroviral. Les cas de contaminations survenues suite à la transplantation, par inadvertance, d’organes contaminés par le VIH révèlent que les patients devenus séropositifs de cette façon se rétablissent aussi bien que ceux qui reçoivent un greffon VIH négatif.

Cette intervention chirurgicale pourrait changer la donne pour l’Afrique du Sud. Le pays abrite en effet une importante population de personnes séropositives dont la charge virale est indétectable (on parle de charge virale indétectable lorsqu’une personne infectée par le VIH et suivant un traitement antirétroviral voit la quantité de virus dans son sang diminuer au point de devenir indétectable). Or ces personnes séropositives n’ont jamais été considérées comme des donneuses potentielles dans le cadre de la greffe de foie.

Considérations éthiques et juridiques
Recourir à la transplantation d’organes implique de relever de nombreux défis éthiques et juridiques. Les questions spécifiques et complexes posées par ce cas précis ont été soigneusement examinées.

Avant de procéder à la greffe, nous avons consacré un soin particulier à la mise en place d’une large consultation. Il s’est agi notamment de parler aux membres de l’équipe de transplantation, aux bioéthiciens, aux avocats, aux experts de la médecine du VIH et à ceux du comité d’éthique médicale de l’Université Wits. Ce comité a entre autres pour fonction de protéger les patients impliqués dans la recherche médicale, et de s’assurer que les procédures mises en place par les médecins le sont pour les bonnes raisons.

Il était évident que cette greffe allait dans le sens du meilleur intérêt de l’enfant. La principale question éthique consistait à déterminer s’il était juste de priver la mère de la possibilité de sauver la vie de son enfant, en lui refusant l’opportunité de fournir le greffon. Un principe fondamental de l’éthique est de traiter les gens équitablement. Les personnes séropositives devraient de ce fait avoir accès aux mêmes options de soins que les autres.

Nous avons donc convenu, avec le comité d’éthique, que tant que les parents de l’enfant comprenaient qu’il existait un risque que celui-ci contractât le VIH, il était acceptable de procéder à la greffe.

Partant de là, afin de nous assurer que les parents de l’enfant étaient bien informés et pourraient prendre leur décision dans des conditions optimales, nous avons eu recours à un « avocat de donneur vivant ». Indépendant, celui-ci n’était pas employé par l’hôpital. Son rôle principal était de soutenir les parents en s’assurant qu’ils comprenaient exactement quels étaient les risques pour la mère en tant que donneuse. Cet avocat de donneur vivant était également en relation avec l’équipe de transplantation, au nom des parents, lorsque nécessaire.

Dans ce contexte, les parents, qui avaient déjà envisagé le risque que le VIH soit transmis à leur enfant suite à l’opération, se sont avérés déterminés à aller de l’avant. Ils ont été reconnaissants que l’équipe se montre disposée à examiner attentivement cette option, étant donné qu’il n’y avait pas d’alternative disponible et que leur enfant était gravement malade. Nous avons demandé aux deux parents de donner leur consentement à la procédure, car il était de leur responsabilité à tous les deux de prendre soin de leur enfant par la suite.

Leçons et opportunités
Cette intervention démontre non seulement que les médecins peuvent réaliser ce type de transplantation, mais aussi que les résultats peuvent être positifs à la fois pour le donneur séropositif et pour le receveur. Elle a également constitué une occasion unique pour les scientifiques de Wits d’étudier la transmission du VIH dans des circonstances très contrôlées.

Pour l’instant, les médecins ne sont pas en mesure de dire aux parents si la greffe a transmis le VIH à leur enfant. Cette incertitude est notamment due au fait que ce cas est unique, ce qui laisse beaucoup de questions sans réponse. Les recherches en cours permettront, nous l’espérons, d’y répondre.

À l’avenir, nous continuerons de veiller à ce que les parents soient pleinement conscients de l’incertitude qu'implique ce genre d’intervention. Toutes les futures greffes de ce type seront incluses dans une étude actuellement en cours, dont l’objet est d’examiner plus en détail la transmission du VIH chez les enfants, ainsi que la façon dont le VIH peut ou non se propager via les greffes d’organes.The Conversation

Harriet Etheredge, Bioethicist and Health Communication Specialist, University of the Witwatersrand; Jean Botha, Head of Transplants at Donald Gordon Medical Centre, University of the Witwatersrand et June Fabian, Research Director at Donald Gordon Medical Centre , University of the Witwatersrand

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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