Algérie : les imams cathodiques à l'assaut de la société
Inconnus il y a peu, ils sont devenus des stars du petit écran. Le rire s’est étranglé dans la gorge des intellectuels, se transformant en hoquet d’indignation. Puis en un haut-le-cœur. Il a fallu une demande d’interdiction du film L’Oranais, de Lyes Salem, et la fatwa contre l’écrivain Kamel Daoud pour que le phénomène de l’explosion des émissions religieuses soit sur le devant de la scène.
Il a le verbe haut, la mimique colorée et la phrase qui fait tilt à chaque fois. De son vrai nom Chemseddine Bouroubi, il a été affectueusement surnommé par les téléspectateurs Cheikh Chemso. «Son succès, il le doit à ses exégèses simplifiées, sa verve, sa truculence, son humour et sa gouaille de titi algérois. C'est un imam qui reste certes dans l'orthodoxie malékite, mais qui fait rarement preuve de rigorisme. Ses explications du dogme islamique appliqué à la vie courante, sont souvent émaillées de poèmes, de proverbes et de dictons. En outre, malgré quelques dérapages dus à son conservatisme, parfois réactionnaire, il est utile à la société dans la mesure où ses fatwas déconstruisent parfois le discours des salafistes et autres intégristes», explique pour Geopolis Noureddine Khelassi, éditorialiste à la Tribune.
Le télé-imam a aussi ses détracteurs. «Je n’ai aucune sympathie pour lui. Cet homme n’est pas imam même s’il fait de l’audience. Il travaille sur un terrain fertile, déjà labouré par l’idéologie islamo-arabo-conservatrice, privilégiée par le pouvoir depuis 1962. Tous ces imams, devenus vedettes de la télé aujourd’hui, ont collaboré avec les services de renseignements durant toute la décennie noire (1990-2000, NDLR)», accuse le producteur-réalisateur Bachir Derraïs, qui se définit comme laïque.
Cornet de glace, sexe et vidéos
Comme un télé-évangéliste, Cheikh Chemso dispense des conseils sur tout : le cornet de glace que les femmes ne devraient pas lécher dans la rue «à cause de l’indécence de ce geste», les amours virtuelles ou encore les rôles que pourraient interpréter les acteurs au cinéma (interdiction de jouer un(e) divorcé(e) ou un(e) amant(e)). Fin novembre, celui qui s’est aussi improvisé critique de cinéma a qualifié de «satanique» le dernier film de Lyes Salem. Et d’appeler à son interdiction et à des actions en justice contre le réalisateur. Cheikh Chemso avoue qu’il n’avait pas vu le film, juste des extraits de la bande annonce.
«La fatwa est sortie de son rôle premier qui est de donner un avis juridique, par un spécialiste de la loi islamique, sur une problématique particulière. Aujourd’hui, c’est devenu un instrument qui s’est enfermé dans le hallal et le haram, en se servant maladroitement du Coran et de la sunna afin de justifier les délires de ceux qui se sont autoproclamés muftis ou prédicateurs», analyse Sid Ali Hanafi, islamologue algérien, universitaire et chercheur, cité par El Watan.
Le bikini, la plage et le salafisme
Ahmidache Ziraoui, lui, ne prêche pas à la télévision mais a micro ouvert. Ses manifestations sont couvertes comme s’il était un acteur politique majeur. Il réclame une police des mœurs, l’interdiction de la mixité sur les plages, la proscription des bikinis, l’application stricte de la charia et demande à l’Etat de condamner à mort l’écrivain Kamel Daoud pour «apostasie».
«Son vrai nom est Ahmidache Ziraoui. Mais il se fait appeler Abdelfattah Hamadache Ziraoui El Djazaïri. Il est né à Alger, au Télemly où il a passé son enfance et où il réside toujours. C’est un ancien militant du FIS (Front islamique, parti dissous, NDLR) qui a fricoté avec le GIA (Groupes islamiques armées, NDLR). Il a fait de la prison à Berrouaghia durant la décennie 1990. Le 2 janvier 2013, il a déposé au ministère de l’Intérieur une demande d’agrément d’un parti salafiste, appelé Front de la renaissance libre salafiste et islamique. Ce parti n’a jamais été légalisé mais son fondateur est laissé libre de prêcher et jouer à la police de la vertu islamique en tentant de faire fermer des bars et autres débits de boissons...», explique Noureddine Khelassi, fin connaisseur de l’islamisme.
Qui sont les cibles de ces imams ? «Les progressistes, les berbéristes, les gauchistes ont toujours constitué un danger pour le pouvoir. On utilise ces muftis pour discréditer cette élite déjà fragilisée auprès de la société algérienne. D’où les termes populistes hizb frança (Parti de la France, NDLR) et francophiles qui trouvent écho auprès les masses populaires», s’indigne Bachir Derraïs.
Le succès de ces imams est aussi celui des télévisions privées, proches du pouvoir. «Les télés privées qui continuent d'ouvrir leurs antennes au faux imam nommé Hamadache pour déverser sa haine contre Kamel Daoud et inciter au meurtre tombent sous le coup de la loi. Les règles universelles du journalisme et la charte mondiale d'éthique et de déontologie interdisent l'incitation à la haine et l'appel au meurtre. S'il arrive quoi que ce soit à notre ami Kamel Daoud chacun assumera ses responsabilités : télés privés, justice, services de sécurité... Personne ne dira qu'il n'était pas au courant. Personne !», prévient le journaliste Fayçal Métaoui.
L’espace télévisuel est aussi schizophrénique, les télévisions privées sont tolérées mais non autorisées. Pour continuer d’émettre, elles se croient obligées d’épouser la ligne officielle du pouvoir en place, devançant parfois ses désirs. L’exemple d’Atlas TV, qui avait ouvertement pris parti pour l’opposant Ali Benflis contre le président Abdelaziz Bouteflika, est encore dans toutes les mémoires à Alger. En mars 2014, la police a investi les lieux et fermé les locaux.
Ainsi, paradoxalement, toutes les télévisions, privées et publiques, ne relaient que le discours officiel, surfant une vague de religiosité. «Hamadache et les autres voix salafistes ont micros ouverts sur les chaînes les plus réactionnaires du pays, les plus rétrogrades, Ennahar et Echourouk, encore plus que sur une chaîne comme El Bilad, télé du parti des Frères Musulmans en Algérie, le MSP. Les deux chaînes participent, avec leurs journaux éponymes, à la propagation du discours salafiste dans le pays. Est-ce par pure conviction? Assurément non, mais davantage par sens commercial, surfant comme ils le font sur la vague de conservatisme qui traverse la société algérienne», décrypte Noureddine Khelassi.
Le combat est aussi idéologique, conservateurs contre progressistes. Les télé-imams ont leurs télévisions, les démocrates restent sans voix. Et sans images.
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