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Catastrophes aériennes : pourquoi il faut du temps pour obtenir la liste des passagers

Trois crashs aériens en une semaine. Et à chaque fois, les informations sur le nombre de passagers et leur nationalité ont été diffusée au compte-gouttes. Francetv info vous explique les raisons de ce délai.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des personnes attendent à l'aéroport de Marseille-Provence à Marignane (Bouches-du-Rhône), le 23 juillet 2014. (  MAXPPP)

Jeudi 24 juillet. Il est 01h05 à Ouagadougou (Burkina Faso). Le vol AH5017 d'Air Algérie décolle. Cinquante minutes plus tard, le dernier contact avec l'avion est établi. Dans la matinée, la compagnie Air Algérie signale la disparition de l'appareil. Mais ce n'est qu'à 13h30, heure de Paris, que le ministre des Transports annonce qu'"il y a vraisemblablement des Français en nombre" à bord.

Trois heures plus tard, il précise que 51 Français s'y trouvaient. Finalement, vendredi, l'Elysée annonce que l'avion transportait 112 passagers et non 110, dont 54 Français, et non 51. Pourquoi y a-t-il un tel délai pour communiquer ces informations ? Pourquoi sont-elles parfois erronées ?

Parce que la liste des passagers est confidentielle

Décliner son identité, présenter son passeport... Avant d'embarquer, chacun est invité à s'enregistrer pour permettre à la compagnie aérienne d'établir une liste des passagers à bord de l'avion. Pour les passagers, ces formalités peuvent sembler fastidieuses, mais il est obligatoire de les rassembler.

C'est toujours la compagnie aérienne, et elle seule, qui possède la liste des passagers de chaque vol. Les aéroports ne récupèrent pas ces données. Ce manifeste est obligatoirement transmis au commandant de bord avant le décollage de l'avion. Il est aussi communiqué à l'escale de départ et à l'escale d'arrivée. Mais cette liste existe avant tout pour que les membres d'équipage connaissent l'identité des passagers, et si l'un d'eux représente un quelconque danger. Elle n'est pas créée en prévision d'un incident ou d'un accident.

Sur ce point, le règlement du Parlement européen sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents dans l'aviation civile donne quelques précisions. "L'expérience montre qu'il est parfois difficile d'obtenir rapidement une liste fiable des passagers d'un aéronef mais également qu'il est important de fixer un délai dans lequel la liste des passagers peut être exigée de la compagnie. En outre, les données figurant sur ces listes devraient être protégées contre toute utilisation ou divulgation non autorisée", indique le texte (PDF), disponible sur le site du Bureau d'enquête et analyse pour la sécurité de l'aviation civile (BEA). La liste est donc confidentielle et les compagnies aériennes, contactées par francetv info, ne donnent pas de précisions sur le processus de leur communication de crise.

Parce que la compagnie aérienne vérifie les informations

En cas d'accident, c'est donc à la compagnie aérienne de rendre publiques ces informations confidentielles. Mais avant d'indiquer combien de personnes se trouvaient dans l'avion et leur nationalité, la compagnie prend des précautions et vérifie toutes ces informations. "Pour certaines compagnies, cela peut prendre du temps", souligne-t-on aux Aéroports de Paris, contactés par francetv info. Cela dépend aussi de la structure et de la taille de la compagnie.

"Sur le plan humain, se tromper est très ennuyeux", commente Robert Galan, ancien commandant de bord d'Air France, interrogé par francetv info. Le 17 juillet, jour du crash du vol MH17 de Malaysia Airlines dans l'Est de l'Ukraine, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, déclare que quatre Français, au moins, se trouvaient à bord de l'appareil. Mais le lendemain, le président de la République annonce qu'il n'y avait aucun Français à bord, en s'appuyant sur les informations de Malaysia Airlines.

Finalement, 12 heures après le crash, la nationalité de 21 passagers n'était toujours pas connue. "Certains passagers en transit n'avaient pas de passeport", avait alors expliqué le ministre des Transports malaisien. Selon BFMTV, Malaysia Airlines a aussi "cherché à prévenir chaque famille des victimes, l'une après l'autre". Dans les faits, cette procédure n'est pas toujours appliquée. Le frère d'un homme a, par exemple, appris dans les médias la présence de sept membres de sa famille à bord de l'avion d'Air Algérie. "J'ai allumé la télé, c'est comme ça que j'ai appris qu'ils faisaient partie des passagers", explique Amadou Ouedraogo à Ouest-France.

C'est d'ailleurs pourquoi, "afin de permettre une information rapide des familles des passagers sur la présence de leurs proches à bord de l'aéronef accidenté, les compagnies aériennes proposent aux voyageurs d'indiquer le nom et les coordonnées d'une personne à contacter en cas d'accident", indique le règlement du Parlement européen sur les enquêtes et la prévention des accidents.

Parce que les relations diplomatiques jouent aussi

Souvent, avant de rendre publique la nationalité des passagers, la compagnie aérienne doit communiquer ces informations aux autorités du pays où le crash a eu lieu, ou aux autorités du pays d'où l'avion est parti. Des échanges diplomatiques vont alors se mettre en place : ces autorités vont, à leur tour, transmettre la nationalité des passagers aux pays concernés. Dans le cas du crash de l'avion d'Air Algérie, ce sont les autorités burkinabè qui ont transmis les informations au ministère des Affaires étrangères. Ensuite, il faut du temps pour rassembler et communiquer les informations aux médias.

"C'est le pays du lieu de l'accident qui prend les affaires en main et contacte lui-même les autorités des pays concernés", poursuit Robert Galan. Pour avoir davantage d'informations, le gouvernement français peut formuler une demande officielle, précise-t-il. "Mais lorsque l'accident se produit en dehors de la France et que ni la compagnie, ni le matériel n'est français, le gouvernement français aura du mal à obtenir des informations", estime-t-il. Par la suite, aux chefs d'Etat de collaborer : le jeu des relations diplomatiques est déterminant. Ainsi, François Hollande a convenu vendredi avec le président malien de "travailler en étroite coopération" pour élucider les circonstances du crash de l'avion d'Air Algérie.

Si l'accident a lieu en France, c'est un peu différent. Avant de communiquer sur l'identité des passagers, la compagnie aérienne doit avoir l'accord du préfet du département du lieu de l'accident, du procureur local et du BEA, selon une compagnie aérienne contactée par francetv info. Car le manifeste des passagers n'est pas qu'une simple liste : il peut se révéler être un document important pour l'enquête sur l'accident.

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