Commission franco-algérienne sur la colonisation : "Ce nouvel outil est un retour à la raison", estime l'historien Amar Mohand-Amer
Emmanuel Macron a annoncé jeudi, dans le cadre de sa visite en Algérie, la création d'une instance composée d'historiens français et algériens pour étudier la période de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Le chercheur Amar Mohand-Amer espère que cette commission permettra "de ne plus jouer avec l'Histoire".
En Algérie comme en France, l'annonce n'est pas passée inaperçue. Lors de son déplacement officiel à Alger, Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 25 août, la création d'une commission mixte d'historiens français et algériens pour plancher sur la colonisation et la guerre d'Algérie. Cette instance doit permettre de "regarder l'ensemble de cette période historique, qui est déterminante pour nous, du début de la colonisation à la guerre de libération, sans tabou", a déclaré le président de la République, sous le regard approbateur de son homologue, Abdelmadjid Tebboune.
Une annonce qui a forcément fait réagir les historiens des deux pays qui travaillent depuis plusieurs décennies sur ces questions sensibles couvrant une période allant de 1830 à 1962. Pour Amar Mohand-Amer, historien-chercheur algérien au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), à Oran, "cette nouvelle instance est une bonne chose, car l'histoire doit être faite par les historiens, et non pas par les hommes politiques, comme depuis trop longtemps".
Franceinfo : Comment avez-vous accueilli l'annonce de la création prochaine d'une telle commission ?
Amar Mohand-Amer : Il fallait vraiment arrêter de jouer avec l'Histoire. L'Histoire doit être faite par les historiens et non pas par les hommes politiques. Depuis trop longtemps, le champ des historiens est empiété par des associations et autres lobbies de mémoire qui estiment que la colonisation est de leur ressort. Ce sont des porteurs de mémoire politique qui se sont autoproclamés ainsi en refaisant bien souvent l'histoire à leur façon. C'est aussi le cas de certains partis politiques nationalistes, aussi bien en France qu'en Algérie. Le fait que les politiques acceptent aujourd'hui que l'étude de la colonisation revienne enfin dans le giron des historiens est donc une bonne chose. C'est comme un retour à la raison. Après, ce n'est qu'une déclaration prononcée en grande pompe lors d'un voyage diplomatique. J'attends donc encore de voir quelle sera précisément la nature de cette commission et qui en seront les membres.
Les historiens français et algériens ont-ils vraiment une lecture si différente de la colonisation et de la guerre d'Algérie ?
Il y a deux catégories d'historiens, aussi bien en France qu'en Algérie. Ceux qui font bien leur travail, dans les règles académiques, et les autres, qui sont en fait des idéologues. Côté français, ces derniers sont proches de l'extrême droite. Côté algérien, il s'agit de tous ceux qui estiment qu'il faut forcément être algérien, membre du courant nationaliste arabo-islamique, pour avoir une approche sur la colonisation. Selon moi, ces gens ne sont pas des historiens, car ils cherchent davantage à faire de la surenchère politique qu'à mener de véritables recherches académiques. Mais ils prospèrent et vampirisent certains discours dans des médias, chez nous comme en France. Si ces gens-là venaient à composer la future commission, elle ne servirait alors strictement à rien. De même, s'il n'y a que des historiens organiques et consensuels, on n'ira pas bien loin. Pour un historien, contrairement aux hommes politiques, il ne doit pas y avoir de sujets qui fâchent.
Cette commission doit permettre aux historiens français et algériens de travailler ensemble. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent ?
Si, bien sûr. Nous avons organisé de nombreux colloques avec nos collègues français, mais depuis septembre dernier et les déclarations d'Emmanuel Macron sur l'Algérie, nous n'avons presque plus d'échanges. C'est un vieux serpent de mer. Nous, historiens, nous demandons depuis toujours de pouvoir nous saisir de ces sujets, de façon indépendante, scientifique et académique.
"Les récentes tensions politiques entre les deux pays ont retardé, voire mis un coup d'arrêt à nos recherches sur la guerre d'Algérie et la colonisation."
Amar Mohand-Amer, historienà franceinfo
Nous sommes devenus otages de ces conflits diplomatiques à répétition. Comme la grande majorité des archives sur la colonisation sont conservées en France, les historiens algériens doivent se déplacer. Mais avec les tensions entre les deux pays, ils en sont empêchés en raison du blocage des visas. Si l'annonce de cette commission se concrétise, cela permettra à nouveau à nos chercheurs d'être mobiles et de mener des travaux de qualité.
Qu'attendez-vous précisément des travaux conjoints de cette commission inédite ?
J'attends que cette commission puisse recréer de bonnes conditions de recherche, en particulier pour les jeunes historiens-chercheurs. Grâce au rapport remis par l'historien Benjamin Stora sur la guerre d'Algérie, des bourses ont été versées à quinze chercheurs algériens cette année, ce qui est une très belle avancée. Mais il faut maintenant que cette commission nous donne les moyens de nos ambitions pour étudier en profondeur des sujets aussi forts et délicats que la colonisation et la guerre d'Algérie. Il y a trois ans, nous avions été agréablement surpris que le président algérien évoque ces sujets avec son homologue français, car le travail sur les questions mémorielles n'était pas du tout prévu dans son programme politique. Peut-être que cette commission pourra donc corriger ce faux départ.
"On voit bien que les blessures ne sont toujours pas cicatrisées. La preuve : soixante ans après la guerre, un chef d'Etat français revient en Algérie et on ne parle que de cela."
Amar Mohand-Amer, historienà franceinfo
Pourriez-vous rejoindre personnellement cette commission, si on vous le proposait ?
Mon critère, c'est le côté scientifique et académique des travaux que nous pourrions mener en son sein. Si c'est le cas, j'en ferai alors partie avec plaisir, si on me le propose. Mais si c'est pour suivre une ligne politique, je n'irai pas. C'est ma condition. Il n'est plus possible que lors de chaque élection ou qu'à chaque crise politique, les tensions entre nos deux pays reprennent sur cette question-là. Il y a beaucoup de Français qui ont aidé l'Algérie, il ne faut pas l'oublier. De nombreux historiens français s'intéressent d'ailleurs aussi à la colonisation dans un cadre familial, car ils sont touchés de près par cette période qui a marqué leurs parents ou leurs grands-parents.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.