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Bénin : Mathieu Kérékou, l’homme de la Conférence nationale
L’ancien président béninois Mathieu Kérékou est mort mercredi 14 octobre 2015. Il restera dans les mémoires de ses compatriotes comme le président putschiste qui a permis au Bénin de faire sa mue démocratique en acceptant le principe d'une conférence nationale.
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Au Bénin, le nom de Mathieu Kérékou rime étrangement aussi bien avec dictature que démocratie. C’est de cette ambivalence que l’ancien président, décédé à 82 ans le 14 octobre 2015, tirait d’ailleurs son surnom de «caméléon». Un clin d’œil au fait le plus marquant de sa carrière politique : avoir été à la fois le numéro 1 d'une dictature militaire et d'un régime démocratique. «Les Caméléons meureut aussi», titrait le quotidien béninois Le Matinal. L’hommage de la classe politique béninoise est unanime. L'actuel président Yayi Boni a déclaré une semaine de deuil national à compter du jeudi 15 octobre 2015.
L’ancien chef d'Etat était devenu «le garant de la démocratie béninoise», dixit une ancienne conseillère technique qui a requis l'anonymat. «"Il n'a pas pu nous faire ça avant le 6 avril prochain", se disent les Béninois», poursuit-elle. Cette date est cruciale pour l’avenir du pays. Yayi Boni, qui souhaitait briguer un nouveau mandat en 2016, devra alors officiellement céder le pouvoir. Les Béninois ont déjà connu pareil suspense. A l’époque, Mathieu Kérékou avait alors pris, paradoxalement, le visage de l’homme providentiel en contribuant au «renouveau démocratique» dans son pays.
A la fin des années 90, le Bénin est en crise. Le régime marxiste-léniniste, officiellement instauré en 1974 par le général-président Mathieu Kérékou, est à bout de souffle. L’année 1989 est celle de toutes les grèves. Sous la houlette des syndicats, étudiants, enseignants et fonctionnaires sont dans la rue pour réclamer les cinq, voire six mois d’arriérés de bourses et de salaires dus par l’Etat béninois. Pour cause, les caisses de l’Etat sont vides. Les partenaires au développement conditionnent leur aide à la restauration des droits de l’Homme au Bénin. Le monde vit les dernières heures de la Guerre froide. Et le régime de Mathieu Kérékou, qui a pris le pouvoir par les armes le 26 octobre 1972 au Dahomey rebaptisé Bénin, est désormais acculé.
«La conférence nationale a été un succès grâce à cet homme»
«Le pays n’avait plus d’argent, il fallait trouver une solution», se souvient Raphaël Loko, ancien secrétaire général du Club Perspectives 99, une organisation de la diaspora béninoise en France, à l’initiative de la table ronde de Versailles où aurait été évoqué pour la première fois l’idée d’une conférence nationale. Club Perspectives 99 réunit, entre autres, des opposants qui ont fui le pays. En 1989, les participants à la table ronde de Versailles émettent l’idée d’organiser une conférence qui permettra aux Béninois de se concerter et de trouver une solution pour sauver leur patrie. «L’ambassadeur du Bénin en France assiste à la rencontre. La proposition, bien reçue par l’Elysée, sera transmise par François Mitterrand à Mathieu Kérékou», raconte Raphaël Loko. «Mitterrand a obtenu l'assentiment de Kérékou mais tout le monde n’est pas d’accord. (Jacques) Chirac, alors Premier ministre, fait une escale à Cotonou pour lui faire changer d’avis.» Jacques Chirac pour qui les Africains ne sont pas prêts pour la démocratie.
Quelle qu'ait été l'origine de l'idée de cette concertation nationale, la démarche doit être portée au crédit de l'ensemble des Béninois, qui font pression aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, et d'un homme, Mathieu Kérékou. Il convoquera la conférence nationale. Du 19 au 28 février 1990, quelque 500 délégués – au nombre desquels les représentants de la société civile, tous les anciens présidents du Bénin encore en vie, les figures de l’armée y compris d’anciens putschistes – et le président Kérékou détiennent l’avenir du Bénin entre leurs mains. Les débats seront retransmis en direct sur les médias nationaux.
«J'ai combattu Mathieu Kérékou pendant des années. Mais je lui tire mon chapeau. La conférence nationale a été un succès grâce à cet homme. Il avait la fibre patriotique. Mathieu Kérékou était prêt à se sacrifier pour son pays et c’est d'ailleurs ce qu’il a fait. Il avait la capacité de dire non et de tout compromettre. Mais il a dit oui.» Un «oui» qui ne fut pas facile à obtenir, se souvient Raphaël Loko qui participe à la conférence. «Pour les participants à la conférence nationale, la souveraineté de nos décisions était cruciale. Le premier jour, Mathieu Kérékou a dit non. Au début, il pensait que la diaspora lui proposait un processus économique qui aboutirait à ce que la France aide financièrement le Bénin.»
«Qu'on ne nous dise pas: démissionnez!»
«Il faudra attendre le troisième jour.» L'intervention du président du présidium de la Conférence nationale, Monseigneur Isidore de Souza, une autre figure clé de la conférence nationale, sera décisive. Quand Mathieu Kérékou accepte ce principe de souveraineté, «la salle est submergée par l’émotion». «Tout le monde a pleuré», se rappelle Raphaël Loko. «C’était un contexte de guerre. Nous ne savions pas si nous allions sortir vivants de la salle. Les militaires nous menaçaient». «Les gens allaient à la conférence en faisant leurs adieux à leur famille», ajoute l’ancienne conseillère du président Kérékou. «L’armée faisait savoir qu’il suffisait qu’elle ferme les portes et qu’elle exécute les personnes présentes dans la salle (de l’hôtel du PLM – Aledjo où se tenait ces assises, NDLR).»
Durant toute la durée de cette concertation nationale, les militaires sont sur leurs gardes et prêts à intervenir. Les compagnons d’armes de Mathieu Kérékou l’ont averti. «Ils vont te demander de démissionner.» Il n’en est pas question pour le chef de l’Etat qui prévient tout de suite les délégués de la conférence nationale: «Qu’on ne nous dise pas: démissionnez!» La parade pour rassurer le chef de l’Etat: Mathieu Kérékou est tenu informé de l'évolution des travaux de la conférence nationale, ce qui lui donne la possibilité à chaque fois de tout arrêter. Il n’en fera rien.
«La Conférence nationale des forces vives de la nation» accouche d’une feuille de route qui organise la transition démocratique au Bénin. Nicéphore Soglo sera le Premier ministre de Mathieu Kérékou. Et plus tard, il lui succèdera à la tête de l'Etat grâce à une petite faille. La Conférence n’avait pas précisé, par écrit, que le Premier ministre de la transition ne pouvait être candidat à la prochaine présidentielle. Le 24 mars 1991, Soglo est élu et Kérékou lui cède le pouvoir, comme convenu. Quand quelques mois plus tôt, François Mitterrand invite les pays africains, qui font partie du pré-carré français à nouer avec la démocratie au sommet de la Baule en juin 1990; le Bénin, lui, est déjà très avancé sur la piste de la transition démocratique. La conférence nationale béninoise sera maintes fois copiée, mais jamais égalée.
Démocratiquement élu
Pour beaucoup, la présidence de Nicéphore Soglo favorisera le retour de l’ancien président putschiste. Le Bénin accueille le sommet de la Francophonie en décembre 1995. «Le discours de Soglo est constitué aux deux tiers de critiques vis-à-vis de Mathieu Kérékou qui n’avait rien fait, selon lui, pour faire avancer le pays. Dans l’audience, le révérend américain Jesse Jackson aurait confié à son voisin : "Kerekou a un bon directeur de campagne"», relate l’ancienne collaboratrice du président défunt. L’«arrogance» perçue chez Soglo contraste avec «l’humilité» dont a fait preuve le président Kérékou dans un passé récent. «Sollicité» – il est soutenu par l’opposition béninoise –, l’homme de la conférence nationale se présente en 1996. Les Béninois, reconnaissants, votent pour l'ancien dictateur. Il remporte la présidentielle et un second mandat qui s’achève en 2006.
En trois décennies, Mathieu Kérékou a transfiguré son parcours politique. Dans la galaxie des dirigeants africains, son profil est singulier. Le président, élu au suffrage universel, ne se laissera plus jamais tenté par la dictature. «Si vous ne quittez pas le pouvoir, il arrive un jour où le pouvoir vous quitte», déclarait-il en juillet 2005, à quelques mois de la fin de son ultime mandat. «Même si on manifeste le désir de rester au pouvoir, ou qu’on s’entête à y rester contre la volonté du peuple, on crée les troubles que le Bénin a évité en 1990». En outre, l'ancien chef d'Etat béninois était peut-être l'un des seuls présidents africains dont le patrimoine ne laisse aucune place à la suspicion.
Cependant, pour ceux qu'il a maintenu dans ses geôles, il restera à jamais un bourreau. «La Centrale syndicale des travailleurs du Bénin est l'organisation du Bénin qui a le plus souffert des 28 ans de Kérékou aux plans politique et syndical. De son vivant, nous avions dit que Kérékou a été une calamité pour le Bénin. Il a été quelqu'un qui a tué la liberté au Bénin, a déclaré son secrétaire général Paul Esse Iko, qui fut un prisonnier politique sous le régime révolutionnaire de Kérékou», rapporte l'AFP.
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