Sept questions sur la disparition de deux touristes français au Bénin, après la découverte du corps de leur guide
Les autorités ont confirmé dimanche que le corps retrouvé au Burkina Faso était bien celui de Fiacre Gbedji, l'accompagnateur béninois des deux Français qui visitaient le parc national de la Pendjari.
Six jours après la disparition de deux Français dans un parc naturel du nord du Bénin, les autorités se sont montrées très discrètes sur cette affaire. Dimanche 5 mai, le ministre béninois de l'Intérieur, Sacca Lafia, a confirmé dans un communiqué que le corps criblé de balles retrouvé dans une voiture incendiée au Burkina Faso voisin était bien celui du guide béninois qui accompagnait les deux touristes, "dont la recherche se poursuit de manière déterminée". Des éléments inquiétants qui semblent accréditer la piste de l'enlèvement, selon des sources sécuritaires africaines, citées notamment par France 24.
Communiqué du Ministre de l'intérieur et de la sécurité publique relatif à l'identification du corps retrouvé samedi 4 mai 2019 dans la partie septentrionale du #Bénin.
— Gouvernement du Bénin (@gouvbenin) May 5, 2019
Condoléances du gouvernement et du peuple béninois à sa famille et à ses proches.#wasexo #Benindiplomatie pic.twitter.com/NiErRvcGzJ
Que sait-on des deux Français ?
Arrivés au Bénin il y a une dizaine de jours, les deux touristes français ont visité plusieurs sites dans le sud du pays, dont Abomey et Ouidah, et devaient s'envoler dimanche soir pour Paris, après leur escapade dans le parc de la Pendjari, dans le nord du pays. L'identité de ces deux enseignants n'a pas été communiquée mais, selon un ami de Fiacre Gbedji, le guide béninois, "c'était deux hommes". "Parce que la veille, j'ai vu Fiacre qui les a amenés en circuit à moto et le lendemain, ils ont pris la voiture pour aller dans le parc", a raconté ce témoin à franceinfo. Le véhicule en question, un Toyota 4 Runner, "a été retrouvé sans les occupants", dans l'est du Burkina Faso voisin, a annoncé une source sécuritaire béninoise à l'AFP. Une autre citée cette fois par l'agence Reuters précise que le véhicule a été incendié.
Que sait-on de leur guide ?
Fiacre Gbedji a été retrouvé mort. "Le corps du guide a pu être formellement identifié" bien qu'il soit "très abîmé" et "défiguré", a expliqué une source de l'AFP. "C'était un guide professionnel bien connu au Bénin. Samedi matin, lorsque les gens du parc l'ont découvert, ils l'ont reconnu malgré l'état très abîmé du corps. Un médecin légiste qui l'a ensuite examiné a estimé que c'était lui à 99%", a poursuivi cette source. Selon celle citée par Reuters, son corps était "criblé de balles".
Le pantalon retrouvé sur le cadavre a par ailleurs été présenté à sa famille, qui a confirmé qu'il s'agissait bien de celui de Fiacre Gbedji. Selon un de ses amis, interrogé au micro de franceinfo, ce guide avait "au moins trois ans ou quatre ans d'expérience dans le parc. C'est quelqu'un de sérieux, de confiance, on le connaît bien, il n'y a aucun souci", a poursuivi cet homme qui fait partie de la vingtaine de guides qui travaillent dans le parc de la Pendjari.
Quand ont-il été vus pour la dernière fois ?
Peu d'informations nous parviennent sur les déplacements des disparus. L'ami du guide permet toutefois de reconstituer les grandes lignes de la journée des deux Français et de leur accompagnateur béninois. Selon lui, Fiacre Gbedji "est arrivé dans le parc, il a déposé ses effets à l'hôtel Pendjari Lodge et il est reparti avec ses clients [les deux touristes français]. Moi, j'avais un groupe qui était parti avec mon chauffeur dans le parc. Mon chauffeur est rentré, il a dit : 'J'ai croisé Fiacre dans le parc'. Il y a des gens qui l'ont rencontré qui lui ont montré où se trouvait les lions. Il s'est dirigé vers là-bas. Ils se sont rendu compte le soir [mercredi] qu'il ne revenait pas."
"Ils sont partis le matin et ils devaient revenir au lodge le soir parce qu'on ne doit pas rouler après 19 heures", abonde sur BFMTV Mathieu Yokossipé, trésorier de l'association des guides UGTP. "Il était plus de 19 heures mais ils n'étaient pas revenus." S'appuyant sur un communiqué du ministère de l'Intérieur daté de samedi, RFI assure que "le groupe aurait emprunté une piste longeant la rivière Pendjari, qui marque la frontière avec le Burkina Faso. (...) Les autorités ont relevé des traces de traversée de cette rivière vers le pays voisin."
Comment se déroulent les recherches ?
Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré dimanche que les recherches se poursuivaient activement et que l'ensemble des services de l'Etat était mobilisés. Des agents des services de renseignement français sont mobilisés, sans oublier les forces spéciales qui opèrent au Sahel depuis le Burkina Faso, liste RTL. Selon RFI, le parc national de la Pendjari a également mobilisé une centaine de rangers, deux avions et une dizaine de véhicules tandis que des forces de sécurité des localités voisines ont été envoyées en renfort.
Quelle est la piste privilégiée ?
"On ne sait pas si c'est Boko Haram, ou des jihadistes... Vous savez, dans tous les parcs nationaux du monde, il y a des braconniers", a témoigné dès dimanche l'ami de Fiacre Gbedji, cité par franceinfo. "Nous avons pu joindre des sources policières ici qui nous disent qu'elles n'écartent aucune piste qu'elle soit criminelle ou terroriste, par exemple, l'éventualité d'une rencontre avec des braconniers qui aurait pu dégénérer", évoque de son côté Marc de Chalvron, l'envoyé spécial de France 2.
Lundi matin, aucune source officielle n'a confirmé ces scénarios, quand bien même l'identification du corps du guide béninois dimanche laisse penser que la piste de l'enlèvement est de plus en plus plausible. L'hypothèse jihadiste reste une piste très sérieuse car la présence jihadiste dans la région est avérée, poursuit le journaliste de France 2.
"Ils ont peut-être déjà passé la frontière avec le Mali", base arrière de nombreux groupes jihadistes, déclarait dimanche la source proche du gouvernement béninois citée par l'AFP. Ils ont disparu mercredi soir et "sont probablement déjà très loin".
Le Bénin est-il une zone à risque ?
En Afrique de l'Ouest, une région mouvementée où opèrent de nombreux groupes jihadistes liés à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique, le Bénin a longtemps fait figure d'îlot de stabilité. Selon des experts et des sources sécuritaires, le nord des pays côtiers de l'Afrique de l'Ouest, comme le Togo et le Bénin, sont devenus vulnérables ces derniers mois face à la stratégie d'expansion et de multiplication des fronts adoptés par les groupes armés.
Ainsi, la zone où ont disparu les deux Français avait récemment été placée comme zone "formellement déconseillée" par le Quai d'Orsay, "compte tenu de la présence de groupes armés terroristes et du risque d'enlèvement".
Selon Mahamadou Sawadogo, chercheur et spécialiste des questions de sécurité au Burkina Faso, interrogé par RFI, "la population est au courant que c'est un axe assez dangereux, surtout pour les Occidentaux. La zone où a été retrouvé le corps du guide est une zone de prédilection de l'Etat islamique au grand Sahara".
Les parcs naturels sont-ils des espaces sûrs ?
Tous les experts s'accordent à dire que les parcs nationaux du nord du pays sont des zones très difficiles à surveiller. Depuis que l'ONG African Park a repris la gestion de la Pendjari, en 2017, les équipes de surveillance ont d'ailleurs été renforcées et entraînées militairement. "Depuis la création du parc en 1961, de pareils incidents ne s'étaient jamais produits. Voilà pourquoi cela nous fait bizarre. Ce qui est arrivé est très choquant", a confié un guide béninois interrogé par Le Figaro. Il assure que les guides s'enfoncent de plus en plus loin dans le parc pour satisfaire la curiosité des touristes, venus du monde entier pour admirer les lions, éléphants et autres guépards.
Pour sa part, le journal local La Nouvelle Tribune s'interroge sur "la pertinence d'avoir confié la gestion du parc à un organisme privé". "On est en droit de soulever des interrogations concernant la sécurité des touristes. Parce qu'en concédant la gestion, l'Etat avait vanté le mérite de l'ONG qui, selon lui, a l'expertise nécessaire en la matière. Il est important que la lumière soit faite sur ce qui s'est vraiment passé, que les responsabilités soient situées et que des mesures soient prises pour garantir la sécurité à tous ceux qui viennent visiter le parc national de la Pendjari", demande le journal, alors que le président Patrice Talon a fait du développement touristique une priorité.
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