Cinq choses à savoir sur l'industrie cinématographique et audiovisuelle en Afrique
L'Unesco a présenté le 24 mai 2022, durant le Festival de Cannes, une cartographie inédite du secteur de l'audiovisuel et du cinéma sur le continent.
De l'Afrique du Sud au Zimbabwe en passant par le Nigeria, le Maroc ou encore le Kenya, l'Unesco propose un état du secteur cinématographique et audiovisuel dans chacun des 54 pays du continent avec un rapport intitulé L’Industrie du film en Afrique. "Aucune cartographie de cette ampleur n’avait été réalisée jusqu’à présent", indiquait Toussaint Tiendrebeogo, le coordinateur du rapport, le 24 mai 2022 lors de sa présentation en marge du Festival de Cannes. "Bien sûr, pour le cinéma, soulignait alors la directrice générale de l'Unesco Audrey Azoulay, il faut d’abord des talents, de la créativité mais pas seulement. La diversité culturelle, c’est aussi le produit d’un écosystème, d’une réglementation, de systèmes de financement qu’ils soient publics ou privés, de protection du droit d’auteur, de tout un mécanisme indispensable pour que le cinéma puisse se déployer et pour que la voix des talents puisse résonner et être amplifiée. C’est à cet endroit-là que se situe ce rapport." Le document, "qui agrège pour la première fois des données globales à l’échelle du continent", rappelle Toussaint Tiendrebeogo, devrait être très utile aux professionnels et aux pouvoirs publics. Alors qu’y apprend-on ?
Un secteur sous-évalué
Le secteur cinématographique et audiovisuel est "historiquement sous-évalué", explique Toussaint Tiendrebeogo, chef de l'entité de la diversité des entités culturelles à l'Unesco. En l'occurence, sa contribution au PIB : 5 milliards de dollars par an. Il générerait également environ 5 millions d’emplois. Si "ce potentiel de créativité" venait à être exploité, revenus et emplois pourraient être multipliés par quatre. Si seulement un tiers des Etats soutiennent financièrement cette industrie qui bénéficie d'une faible offre de formation, cela ne l’empêche pas d’enregistrer "une hausse lente et régulière" du volume de productions. En ce qui concerne le cinéma, "de nombreux aspects demeurent informels". Ainsi, par exemple, "seuls 44% des pays disposent d’une commission du film et 55% d’une politique cinématographique".
Une industrie minée par la piraterie
"Au moins 50%" du chiffre d'affaires potentiel du secteur est perdu à cause de l'exploitation illégale des œuvres. L'Afrique du Nord est la région la plus pénalisée avec 84% des auteurs qui sont privés de plus de 50% de leurs recettes. "Il faut faire en sorte que ceux qui créent ces œuvres de l’esprit, ceux qui accompagnent la production ne voient pas les revenus générés partir aux mains des pirates", plaide le coordonnateur du rapport.
Le réseau de salles "le moins développé"
Grâce au Nigeria, l’Afrique de l’Ouest est la première zone de production sur le continent. Nollywood, l’industrie nigériane du cinéma, produit près de 2 600 films par an, devant le Ghana et le Kenya. Avec plus de 660 écrans, l’Afrique du Sud fait de la région australe le plus important marché africain de l'industrie du film. Le continent dispose du réseau de salles "le moins développé" au monde : 1 651 écrans, soit un écran pour environ 780 000 habitants. Toujours porté par le Nigeria, qui dispose de plus de 230 écrans, l’Afrique de l’Ouest est aussi le deuxième plus important débouché pour les films.
Le digital, creuset de nouvelles opportunités
Le marché de la télévision et de la vidéo à la demande est celui qui connaît la croissance la plus soutenue. Pour le petit écran, le sud-africain Multichoice, le chinois Startimes et le français Canal+ Afrique forment le trio dominant. L’Afrique orientale enregistre ainsi le plus grand nombre de chaînes privées (plus de 370) sur un continent où la distribution est quasiment privatisée. Quant à l'offre en ligne, l'américain Netflix, le sud-africain Showmax et le nigérian IrokoTV figurent dans le top 3. Ces plateformes digitales permettent aux œuvres africaines d'être "plus exposées", constate Toussaint Tiendrebeogo.
"La transition numérique a permis de faire des bonds spectaculaires en termes de production et de diffusion des contenus à travers le monde grâce aux plateformes." Elles enlèvent les barrières physiques que constituent les salles, rares sur le continent. L'expert estime que les pays africains qui profitent du numérique font preuve de pragmatisme. "Dans un contexte où l’on voit que cela coûte cher d’investir dans des salles de cinéma, où les gens s’en détournent, si par des plateformes numériques qui sont accessibles avec son téléphone mobile, avec son poste de télévision, son ordinateur, on peut diffuser du contenu.... Ce n’est pas vouloir sauter des étapes mais (utiliser) des moyens plus adaptés à son époque, confie-t-il à franceinfo Afrique. C’est par cette ingéniosité que l’Afrique trouvera le chemin de son développement. Par ailleurs, "les peuples africains ont ce besoin de se voir refléter sur leurs propres écrans. Le développement ne peut se construire à travers le miroir des autres. C’est sans doute pour cela aussi que le continent connaît ces errements en termes de développement (…) C’est en se regardant soi-même qu’on se construit. Cela renvoie à la question des imaginaires, des récits qui façonnent l’avenir."
L'impératif de réguler pour prospérer
Quatre modèles soutiennent aujourd'hui la croissance du secteur audiovisuel et cinématographique. Le modèle Nollywood, un succès au Nigeria où il a été développé, s'appuie sur le marché. Un atout naturel pour le pays le plus peuplé d'Afrique. Le modèle Auteur, qui prospère dans la plupart des pays francophones, privilégie le soutien aux créateurs. Le modèle Service, choisi par le Maroc et l'Afrique du Sud, parie sur la mise à disposition d'infrastructures cinématographiques. Enfin, le modèle Festival, adopté par le Burkina Faso qui accueille le Festival panafricain du cinéma et de la télévision (le plus grand festival panafricain), s'appuie sur des évènements dédiés afin de dynamiser le secteur.
"Un modèle n’est viable que quand il part des besoins du terrain", insiste Toussaint Tiendrebeogo. Quel que soit le modèle, il faut "mettre en place des fondamentaux", ajoute-t-il. "En cette période de profonde mutation, il est plus qu’urgent pour les Etats d’établir des stratégies régionales et continentales afin de prendre le contrôle de leur secteur créatif en pleine croissance". Mais "il faut le cadre juridique, politique qui puisse organiser tout cela parce que c’est un secteur qui a besoin d’investissements (et) sans cadre réglementaire, il ne peut pas y avoir d’investissement". Il est nécessaire également compte tenu de "l'intérêt de nombreuses multinationales qui pourraient finir par asseoir des positions dominantes sur certains marchés en l’absence de réglementation adaptée."
Profiter de ce potentiel passe également par "penser coproduction" et "intégrer nos différents marchés", ce qui existe déjà en partie dans les faits. "Il faut davantage stimuler la coopération sous-régionale et continentale", plaide l'expert de l'Unesco qui rappelle de nouveau que le rapport "arrive à la demande des Etats" dans un contexte où "eux-mêmes se rendent compte du pouvoir de la culture pour le développement de leur pays en termes économique, d’inclusion, de cohésion sociale (et) de rayonnement".
Faire davantage de places aux femmes reste ainsi primordial. "On ne peut pas ignorer plus de la moitié de l’humanité, (accepter) que leur voix ne puisse pas s’exprimer quand il s’agit surtout de construire des récits. (…) Les premiers artisans de notre éducation, je pense, ont été nos mères. Elles nous ont transmis une façon de voir le monde. Il faudrait que cela se reflète dans la façon dont on fait les films", conclut Toussaint Tiendrebeogo.
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