Cet article date de plus de sept ans.
Congo Brazzaville: le combat d’une éditrice française pour la littérature
Les Lettres Mouchetées est une petite maison d’édition, installée à Pointe-Noire, capitale économique de la République du Congo (ex-Brazzaville). Particularité : elle a été fondée en 2015 par une… Française, Muriel Troadec, elle-même née en Afrique. Une aventure difficile qui n’a pas d’équivalent dans le pays. Rencontre.
Publié
Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La lettre mouchetée «est l’autre nom donné au bois d’Amourette, un bois exotique noble et précieux», explique le site de l’entreprise. Lequel site précise que ce bois est connu pour «sa résistance». Une qualité dont Muriel Troadec semble pourvue…
Cette dernière connaît bien l’Afrique : avant de s’installer au Congo, elle a vécu en Côte d’Ivoire (où elle a vu le jour), au Ghana, au Liberia, au Gabon, au Cameroun. «On ne trouve pas d’autre éditeur français sur place», raconte-t-elle. A l’exception de L’Harmattan, qui n’a pas forcément la même politique éditoriale. Quant aux concurrents congolais, «ils proposent surtout aux écrivains de travailler à compte d’auteur».
On s’en doute : l’aventure ne va pas de soi pour cette femme dynamique dont l’entreprise est installée à son domicile et n’a aucun employé. «Il n’y a pas de politique culturelle dans le pays et je ne reçois aucune aide des autorités», explique-t-elle.
Outre le fait qu’elle a dû emprunter pour lancer son activité, la difficulté de l’entreprise n’est-elle pas liée à des tracasseries administratives, à la corruption ? «Il n’y en a pas à mon niveau. Je travaille dans les règles. Je me suis enregistrée normalement, je paye mes taxes», répond-elle. Les problèmes de la jeune maison d’édition ont plutôt à voir avec la situation économique du pays, moins développé que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal. «La classe moyenne n’est pas très importante. Les gens n’ont pas forcément les moyens de s’acheter des livres. Ils n’ont donc pas accès à la littérature», explique Muriel Troadec.
Tradition littéraire
Pourtant, le Congo a une tradition littéraire. Les Français connaissent bien sûr Alain Mabanckou, professeur de littérature francophone à l'université de Los Angeles. Invité sur la chaire annuelle «Création artistique», il a donné, le 17 mars 2016, sa leçon inaugurale au Collège de France sur le thème «Penser et écrire l'Afrique noire». Il y a quelques décennies, on trouvait déjà, dans son pays d'origine, des écrivains de renom international comme Sony Labou Tansi ou Henri Lopes. Aujourd’hui, «on a affaire à une jeune littérature francophone très prometteuse. Les Congolais aiment beaucoup écrire en français», constate Mme Troadec.
En moyenne, ces écrivains ne peuvent pas vivre de leur plume. Ils doivent donc exercer une autre activité à côté. «Pour autant, ce sont des jeunes entrepreneurs, fonctionnaires, notaires, tous passionnés de littérature, qui ont quelque chose à dire. Ils observent la société. Ils veulent en parler, dénoncer ses maux. Ils se retrouvent coincés entre le monde d’aujourd’hui et celui d’hier, ils évoluent entre le poids de la tradition et la modernité à laquelle ils ont envie d’accéder».
Et plus précisément ? «Au niveau sociétal, ils sont confrontés à des coutumes qui sont un frein à leur progression. Par exemple, le fait qu’une personne qui réussit doit pourvoir aux besoins d’une nombreuse famille : parents, frères et sœurs, cousins…» Titre de l'ouvrage d'un des contributeurs des Lettres Mouchetées, Alphonse Chardin N’Kala: Ce foutoir est pourtant mon pays…
Parmi ces jeunes écrivains, on trouve nombre d’auteurs de nouvelles. Comme Marc Mboma dans Un cœur à la pêche qui évoque notamment l’obéissance et la hiérarchie au sein du couple. «Cette littérature est souvent drôle, parfois cynique. Elle déclenche des émotions, de l’effroi, des sourires», constate l’éditrice.
Au-delà des clichés
Globalement, «ces livres permettent de mieux comprendre l’Afrique». «L’Afrique la vraie. Car en France et en Europe, ceux qui n’ont jamais voyagé sur le continent n’ont aucune idée de sa réalité et restent souvent sur des clichés. Ils s’étonnent qu’on puisse y mener une vie normale, avoir un toit sur la tête, trouver de l’eau au robinet, faire ses courses. Quand j’étais enfant, on me demandait parfois si je mangeais du crocodile ou si je vivais sur un arbre !»
Aujourd’hui, les Lettres Mouchetées ont une dizaine de livres à leur catalogue qui comprend aussi des auteurs français comme Bénédicte Froger-Deslis. Chacun de ces livres est tiré en moyenne à 300 exemplaires. Ce qui paraîtra sans doute peu à des spécialistes français. «A chaque publication, nous écoulons rapidement une centaine d’exemplaires. Car ici, les gens se tiennent les coudes. Il existe ainsi un Forum des gens de lettres (officiellement fondé en 2016) dont les membres se réunissent pour parler des ouvrages qui sortent», précise l’éditrice.
Mme Troadec s’efforce de travailler avec des partenaires locaux. Elle fait réaliser les couvertures des ouvrages par Guillaume Makatini, «peintre reconnu» au Congo. Mais elle a du mal à trouver des imprimeurs sur place, ou en République Démocratique du Congo voisine. Ceux-ci «proposent des tarifs encore plus cher qu’en Europe». Elle doit donc s’adresser à une entreprise française, ce qui implique des coûts de transport importants.
Dans le même temps, Muriel Troadec a développé des versions électroniques des ouvrages qu’elle publie. En France, elle est secondée dans son action par une personne installée en région parisienne qui l’aide pour la promotion des Lettres Mouchetées dans l’Hexagone. Ainsi que par une journaliste bordelaise, «qui participe aux relectures et me conforte dans mes choix avec ses avis pertinents». Elle souhaiterait diffuser davantage ses livres en Afrique de l’Ouest, «dans des pays comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal où les éditeurs locaux produisent de beaux ouvrages». Et où le réseau de librairies est plus développé.
Malgré toutes ces difficultés, Muriel Troadec croit en son entreprise. «Je commence à me faire connaître. Pour moi, c’est une aventure personnelle. En Afrique, j’ai vécu en brousse, en ville. J’ai connu des hauts et des bas. Cette aventure, c’est peut-être ma contribution à ce continent où je me sens chez moi», conclut-elle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.