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En 2020, voyager à travers l'Afrique reste un casse-tête pour les citoyens du continent

Faire tomber les frontières et renforcer la libre circulation de tous les citoyens africains sur leur continent. C'est le projet phare de l'Union africaine qui laisse sceptiques les observateurs.

Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Les présidents du Rwanda, Paul Kagame (à gauche), et du Tchad, Idriss Deby, exhibent leur passeport panafricain à la tribune du 27ème sommet de l’Union africaine, le 17 juillet 2016, à Kigali, au Rwanda. (MINASSE WONDIMU HAILU / ANADOLU AGENCY)

L’image avait fait sensation le 17 juillet 2016. Celle des présidents rwandais, Paul Kagame, et tchadien, Idriss Deby, brandissant fièrement le passeport panafricain, censé faciliter la libre circulation des citoyens africains à travers leur continent. C’était lors du 27ème sommet de l’Union africaine réuni à Kigali, la capitale rwandaise. En 2020, l’enthousiasme suscité par cette annonce semble s’être évanoui.

Ce passeport africain semble avoir été délivré aux chefs d'Etat. En tout cas, il ne concerne pas les citoyens africains pour l'instant. C'est beaucoup plus de l'ordre du symbole

Gilles Yabi, analyste politique et économiste béninois

à franceinfo Afrique

Gilles Yabi est fondateur du Think Tank "Wathi", un laboratoire d'idées citoyen ouest-africain. Il explique à franceinfo Afrique que de nombreux obstacles se dressent aujourd’hui contre l’évolution de la fluidité sur un continent africain confronté à de graves menaces sécuritaires. Dans un contexte sécuritaire extrêmement troublé, le projet de suppression des visas d’entrée pour tous les citoyens a peu de chance d’aboutir, craint-il.

"Il est très clair que les pays restent extrêmement hésitants à prendre des mesures qui pourraient limiter la capacité d’identification des personnes qui entrent sur leur territoire. Il y a de vraies raisons qui peuvent justifier les réserves de certains Etats à aller dans cette direction-là", constate-t-il.

Pas question d’ouvrir la porte au premier venu

Au-delà de la criminalité transfrontalière, certains Etats africains redoutent une augmentation de la contrebande, de l’immigration illégale et du terrorisme. Autant de menaces qui ne peuvent pas être sous estimées, estime Gilles Yabi. Pas question donc d’ouvrir la porte au premier venu. Aujourd’hui, les Seychelles sont le seul pays où l’exemption de visa est ouverte à tous les pays africains. Mais d’autres Etats ont pris des mesures encourageantes afin d'améliorer la fluidité continentale.

"Pour certains pays, c’est plutôt la décision qui consiste à dire : les Africains peuvent entrer sans visa. Pour d’autres pays, ils peuvent entrer avec un visa automatiquement délivré à l’arrivée. Il s’agit de mesures qui peuvent faciliter la tâche aux voyageurs. Même si il faut encore un visa, le fait de dire qu’il peut être obtenu rapidement à l’atterrissage à l’aéroport, même moyennant un paiement, c’est déjà une avancée".

Depuis le début du mois de janvier 2020, le Nigeria est venu s’ajouter à la liste des Etats africains qui délivrent les visas aux détenteurs d’un passeport africain à leur arrivée dans le pays. Le Rwanda, l’Ethiopie et le Bénin avaient déjà pris des mesures similaires. De quoi épargner aux voyageurs des allers-retours dans les ambassades et une perte de temps dans de longues procédures administratives. "Ça reste symbolique, mais cela montre que quelque chose est en train de changer" , explique Gilles Yabi.

Il ne s'agit pas de supprimer les frontières étatiques. Je ne crois pas à la disparition des frontières héritées de la colonisation, dans une situation où les Etats ne sont pas encore construits. Je ne pense pas que ce soit quelque chose de réalisable, ni de souhaitable

Gilles Yabi, analyste politique et économiste béninois

à franceinfo Afrique

"Un débat public et un travail pédagogique"

La suppression à terme des visas pour tous les détenteurs de passeports africains dans les 54 pays du continent n’est-elle qu’un projet utopique ? Oui, répond l’analyste politique Gilles Yabi qui ajoute cependant que "beaucoup de grandes réalisations commencent par des utopies". Pour lui, ce projet ne peut aboutir rapidement parce qu’il n’est pas accompagné d’une volonté de chaque Etat africain d’éduquer les populations, de les informer et de leur expliquer pourquoi cette fluidité peut être bénéfique à tout le monde.

"Il ne s’agit pas seulement de le décréter parce qu’on est en Afrique, il faut un débat public et une pédagogie à l’égard des populations. Sans ce travail pédagogique qui n’est absolument pas fait aujourd’hui, on ne voit pas bien pourquoi est-ce que les populations de tel ou tel pays, qui connaissent très peu de choses en réalité sur les autres, vont être sensibles à la pertinence de la libre circulation continentale".

Gilles Yabi plaide en faveur d’une vision politique d’avenir pour le continent. La transformation économique est sans aucun doute un élément important, reconnaît-il, mais elle doit être sous-tendue par "un agenda politique clair et assumé par les gouvernants africains. Il faut savoir quelle Afrique nous voulons et quelle place nous voulons qu’elle occupe sur la scène internationale", conclut-il.

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