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«I Am Not a Witch»: «Un conte de fées féministe africain» signé Rungano Nyoni
Shula est une petite fille dont la communauté décrète, du jour au lendemain, qu'elle est une sorcière. C'est sa nouvelle vie dans un camp de sorcières que la cinéaste zambienne Rungano Nyoni conte dans «I Am Not a Witch» (Je ne suis pas une sorcière). Le film, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en mai 2017, est à découvrir dans les salles françaises.
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I Am Not a Witch est une œuvre servie par une superbe photographie qui illumine Margaret Mulubwa, alias Shula. Elle donne toute sa dimension à ce récit qui est une métaphore des pesanteurs sociales auxquelles sont soumises les femmes africaines. Rungano Nyoni, née en Zambie et qui vit aujourd'hui au Portugal après avoir passé de nombreuses années au Pays de Galles, signe un premier film sensible et puissant sur la condition féminine.
Le camp de sorcières qui accueille votre petite héroïne Shula, merveilleusement interprétée par Margaret Mulubwa, est un prétexte pour parler des femmes. Notamment des Africaines. Que voulez-vous nous dire d'elles, vous qui vivez entre deux continents?
Dans ma famille, les femmes sont très fortes. A l'instar de ma grand-mère. Elle a vécu au moment de la colonisation britannique, où il y avait beaucoup de règles à respecter. Mais elle n'en a jamais fait aucun cas. J'ai grandi avec le récit de ses rébellions. Elle est tombée amoureuse d'un Espagnol à une époque où les relations interraciales étaient illégales. Son amoureux a été finalement déporté. Puis, elle a rencontré un Hollandais. J'ai une photographie d'elle sur ma table de travail et je la regarde quand j'écris. Elle avait des cheveux magnifiques qu'elle coiffait en chignon, ce qui lui faisait une sompteuse coupe afro...
Bref, autour de moi, les femmes sont éduquées et travaillent... Par ailleurs, j'appartiens à une tribu, les Bemba (que l'on retrouve de la RDC à la Zambie, en Afrique australe, NDLR), dont le modèle social est le matriarcat. En Zambie, pour les femmes, tout est possible: elles sont dans la police, l'armée, travaillent sur les forages...
Et pourtant, il y a cette contradiction. D'un côté, des femmes fortes qui peuvent tout faire. Et de l'autre côté, ce système de croyances qui considère que les femmes sont d'une manière ou d'une autre, des sorcières, ou qu'elles font des choses diaboliques. C'est vrai qu'il faut être prudent quand on touche aux croyances culturelles mais je crois qu'il s'agit là tout simplement de répression. En Europe, il y a une façon de réprimer les femmes et en Afrique, nous avons une autre façon de le faire. C'est ce que j'ai tenté de dire à travers ce conte.
Shula, votre héroïne, a semble-t-il le courage de votre grand-mère...
Oui, elle est forte et stoïque, à l'image des femmes de ma famille. Elle observe, constate qu'elle est exploitée et décide de changer les choses.
Elle devient même un modèle pour ces «vieilles» sorcières qui l'ont adoptée comme leur petite-fille.
Exactement. Il y a un prix à payer pour la liberté et elle en paie largement le prix. Quand je tournais, j'avais beaucoup d'images en tête, notamment celle célèbre de cette jeune fille noire (Ruby Bridges) qui sera la première à fréquenter une école de Blancs dans le sud des Etats-Unis où sévit la ségrégation dans les années 60. Cela a dû être très difficile pour elle d'affronter tout cela.
Pour faire ce film, vous avez visité des camps de sorcières au Ghana. Saviez-vous à l'époque qu'en République démocratique du Congo (RDC), on accusait aussi les enfants de sorcellerie?
Oui. Je le savais. En Zambie, c'est plus rare. Mais je sais que cela existe dans d'autres pays africains. Maggie (Margaret Mulubwa), qui interprète Shula, vient d'ailleurs d'une région frontalière de la RDC, la province de Luapula, où la croyance en la sorcellerie régit tout.
Qu'est-ce qui vous a interpellé chez Maggie, ce petit bout de femme qui va faire la révolution?
C'est mon mari qui m'a montré une photographie d'elle pour la première fois. Je trouvais qu'elle me ressemblait avec son afro. Mais surtout, elle a l'air très sérieuse, comme les personnes d'un certain âge. C'est une vieille personne dans un corps de jeune (sourire). Elle est incroyable. Maggie avait l'habitude de s'asseoir par terre dans une certaine position – elle ne s'asseyait jamais sur un chaise – comme ma grand-mère.
C'est un défi, pour un premier film, de diriger une enfant?
Le plus important se fait au moment du casting. J'ai trouvé la bonne personne dans le millier de jeunes filles que j'ai auditionnées. Le reste est alors très facile. Beaucoup de choses ont été difficiles pour moi, mais pas de travailler avec elle.
Vous allez montrer le film ou retourner voir ces femmes que vous avez croisées dans ce camp de sorcières au Ghana où vous êtes allée vous documenter ?
C'est une certitude: je vais y retourner même si je ne sais pas quand. J'avais imaginé qu'après mon premier long métrage, je deviendrais riche, que je distribuerais un peu d'argent à chacune d'elle et que je leur montrerais le film. Les choses ne vont pas se passer comme je l'avais imaginé. Mais je sais que j'y retournerai.
Quel est le déclic qui vous a donné envie de raconter cette histoire?
Dans mon cas, ce fut un processus douloureux. L'écriture n'est pas quelque chose de naturel chez moi. L'idée du camp de sorcières est arrivée pendant une résidence d'écriture en Normandie ou je m'apitoyais sur mon sort en écoutant du Rihanna ou du Britney Spears. C'est un sujet que j'avais envie de traiter. J'ai ecrit onze pages et je me suis rendue compte que ça fonctionnait. Mais cela m'a encore pris deux ans pour finaliser le scénario.
Vous vivez entre l'Europe et l'Afrique. Vous auriez pu choisir un récit à cheval sur les deux continents. Pourquoi une histoire africaine?
Cela n'a pas été un choix. Je me disais justement que je ne ferais pas mon premier film en Zambie, que serait plus simple en Europe. Cependant, toutes mes idées me ramenaient à Lusaka, la capitale zambienne. Et je suis très heureuse d'avoir fait ce film en Zambie. En y repensant, je ne pouvais pas faire mon premier film en Europe. J'ai fait ce qu'on mon cœur me dictait.
Le film a-t-il été déjà projeté en Zambie?
Une projection est prévue en janvier 2018 mais le film n'a pas encore de distributeur pour ce pays.
Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma?
Je n'en ai aucune idée. Il n'y a pas un seul artiste dans ma famille. Tout le monde a un job bien payé, une voiture et une maison. Moi pas et je suis vieille (sourire)... Nous n'avons pas vraiment de salles de cinéma en Zambie, peut-être une que l'on ne fréquentait pas. Il y avait juste la télé mais pas avec autant de programmes qu'aujourd'hui. Au début, je voulais être comédienne mais je me suis rendue compte que n'étais pas très bonne. J'avais 19 ans quand j'ai décidé de passer derrière la caméra. Et c'est devenu organique.
Votre film a été projeté en première mondiale à Cannes en mai 2017, à la Quinzaine des réalisateurs. Qu'avez-vous ressenti?
C'était une expérience formidable mais je ne m'en suis pas rendue compte sur le moment parce que j'étais très fatiguée. J'ai pris conscience de ce que j'avais vécu en août quand nous avons bouclé tout ce qui concernait le film. Les gens avaient l'air contents de voir cette fiction à Cannes. Ils ont beaucoup applaudi et c'était merveilleux.
C'est un peu délicat, mais comment décririez votre film en quelques mots?
Je le sais déjà parce que quelqu'un l'a déja fait. C'est un conte de fées féministe. C'est très bien! Mais je rajouterais peut-être africain. C'est un conte de fées féministe africain.
«I Am Not A Witch», un film de Rungano Nyoni, avec Margaret Mulubwa, Henry B. J. Phiri et Nancy Mulilo
Sortie française : 27 décembre 2017
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