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L’art très pluriel de Madagascar s’expose au musée du quai Branly à Paris
Le musée du quai Branly à Paris propose jusqu’au 1er janvier 2019 une exposition intitulée «Madagascar. Arts de la Grande Ile». C’est la première fois depuis 1947 qu’une telle exposition est organisée dans la capitale française.
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«On ne connaît pas les arts de Madagascar. Longtemps, on a considéré qu’ils n’avaient pas la délicatesse des objets asiatiques. On estimait aussi qu’ils n’ont pas la force de l’art africain. Mais ils sont plus discrets, plus délicats. Il faut apprendre à les apprivoiser, à les regarder pour en découvrir leur singularité et leur subtilité», explique Aurélien Gaborit, commissaire de l’exposition du musée du quai Branly.
Une chose est sûre: l’art malgache est très singulier, notamment en raison de ses influences multiples. Située dans l’océan Indien, la Grande Ile a ainsi vu débarquer des populations d’Asie du Sud-Est dès le Ve siècle. A partir du VIIIe-Xe sont arrivées des Bantous venus d’Afrique de l’Est. Madagascar commerce avec les marchands arabo-musulmans qui sillonnent l’océan Indien. Commerce qui lui apporte céramiques chinoises et islamiques, objets en verre venus de Perse. Ces objets inspirent artistes et artisans locaux, comme le montre un fort beau récipient gris à usage funéraire en chloritoschiste, du XVe, dont la forme rappelle les antiques vases tripodes (à trois pieds) chinois.
Autre exemple des influences venues d’Outre-Mer: de saisissants manuscrits en caractères dits «sorabé», caractères arabes adaptés à la langue malgache. Lesquels ont servi à rédiger des formules de devins, des prières coraniques, des textes historiques…
De leur côté, les Européens n’ont commencé à s’intéresser à l’île qu’à partir du XVIe siècle. Au XIXe, leur présence devient pesante avec la colonisation française (à partir de 1895). Laquelle ne laissera pas forcément un bon souvenir, notamment en raison de la sanglante répression qui a suivi la révolte de 1947. Mais dans le domaine artistique, les Malgaches sauront s’emparer de l’influence hexagonale, par exemple dans la peinture. Ou, de manière plus anecdotique, pour des motifs de bracelets en argent qui s’inspireraient… des galons des militaires venus de France.
Points cardinaux
Constituée par de multiples apports extérieurs, la culture malgache n’en est pas moins très spécifique. Le monde des vivants est ainsi régi par le zodiaque, le vintana. Lequel associe ses 12 signes aux points cardinaux. Ce qui détermine aussi bien l’organisation de la vie quotidienne que l’orientation de l’habitation. «Le Nord-Est indique la direction des ancêtres. Au nord de la maison, séjourne ainsi tout ce qui est sacré, à commencer par l’époux, symbole de l’autorité. Le sud est réservé au profane: serviteurs…», observe Aurélien Gaborit.
Comme les humains, les objets domestiques ont une place déterminée. Et sont ainsi chargés de symboles. A commencer par le lit, dont les bords (bois de lit) sont magnifiquement décorés avec, par exemple, des défilés militaires. On peut aussi trouver sur ce type de meuble des représentations de canards à bosse, animal symbolisant l’énergie sexuelle. Le lit étant par essence le lieu où s’exprime cette énergie…
On trouve également sur ces meubles nombre de représentations de zébus. Venu du continent africain vers le Xe siècle, ce bovidé, très caractéristique de la Grande Ile, est l’un de ceux que l’on observe le plus dans l’art malgache. «Le zébu est un symbole de richesse, mais aussi un symbole religieux, célébré et sacrifié lors des cérémonies et des cultes. Mais c’est par ailleurs un élément utilitaire, utilisé pour la corne, le cuir…», note Aurélien Gaborit.
La beauté des poteaux funéraires
Le quotidien et le sacré sont donc très imbriqués dans l’art et la culture de la Grande Ile. «Les croyances, le sacré sont matérialisés par des objets (plats rituels, textiles) impliqués dans des cérémonies qui unissent les vivants et les morts», explique le dossier de presse de l’exposition. D’où la proximité du monde des esprits avec celui des humains. Et l’importance des cérémonies funéraires et des tombeaux.
Symbole artistique le plus caractéristique et le plus raffiné de cette imbrication entre vivants et défunts: les poteaux funéraires en bois, hauts de plusieurs mètres, qui surplombent les tombes. Ces objets pleins de vie représentent des figures humaines, mais aussi des zébus, des oiseaux, des crocodiles… Ils «évoquent la vie des défunts, en exprimant (leur) réussite sociale, leur parcours, leur existence», constate le dossier de presse. Les représentations sont parfois saisissantes de réalisme, comme cet oiseau pique-bœuf qui avale les parasites dans le cou d’un zébu. Ou émouvantes de tendresse, comme ces enfants avec leurs mères.
Etonnants poteaux funéraires… Preuve de leur caractère spécifiquement malgache, ils restent aujourd’hui une tradition bien vivante. Avec des sujets très contemporains. Tels les vols de zébus, fléau qui a fait des milliers de morts à Madagascar. Mais les représentations peuvent être plus pacifiques. Il suffit de voir l’affiche de l’exposition sur laquelle figure un poteau bleu surmonté d’un… avion. On ignore si le défunt voulait montrer qu’il avait voyagé. Ou s’il aurait ardemment désiré voler.
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