Le Festival du film d'Angoulême dédie son édition 2021 au cinéma algérien
Le Festival du film francophone d'Angoulême rend cette année hommage à la cinématographie algérienne. Avant-goût avec le cinéaste et comédien Lyes Salem.
Il est né en Algérie et a noué un relation particulière avec le Festival du film francophone d'Angoulême où il dit être "un peu né" également. Le comédien et réalisateur franco-algérien Lyes Salem sera le guide des festivaliers dans leur découverte du septième art algérien, à travers une quinzaine d'œuvres, du 24 au 29 août 2021 durant la 14e édition du festival. Entretien.
franceinfo Afrique : comment avez-vous été associé à cette invitation faite à l’Algérie par le Festival du film francophone d’Angoulême ?
Lyes Salem : J’ai une petite histoire avec le Festival d’Angoulême. Mes deux films y ont été sélectionnés notamment Mascarades. Il était en compétition pour la première édition du festival et il a remporté le grand prix (Valois d'or en 2008, NDLR). Avec Dominique Besnehard et Marie-France Brière (qui ont créé le festival, NDLR), il y a une sorte de compagnonnage qui s’est mis en place. Je suppose que quand ils ont voulu faire ce zoom sur le cinéma algérien, déjà l’année dernière mais ça été reporté à cause du Covid-19, ils ont eu envie de me confier la tâche de présenter les films de la programmation. Là, je parle pour eux, je suppose que je fais le lien entre Angoulême et l’Algérie.
Vous figurez dans cette programmation sous vos deux casquettes : acteur et réalisateur. Que pouvez-vous nous dire de ces films algériens qui seront projetés à Angoulême ?
Dans la sélection, il y a effectivement deux films dans lesquels je joue, Abou Leila de Amin Sidi-Boumédiène et Cigare au miel de Kamir Aïnouz (présenté en avant-première, NDLR). J’ai vu qu’ils avaient également sélectionné L’Oranais. Je ne suis pas intervenu dans cette programmation. Nous nous sommes vus (avec Marie-France Brière et Dominique Besnehard) et nous avons discuté ce que pourrait être la sélection. J’ai bien évidemment cité quelques films. Cependant, la seule chose que je leur ai suggérée, et je crois qu’ils en ont tenu compte, c’est d’arriver à avoir un film par période. J’en ai identifié quatre dans la cinématographie algérienne. Dans cette sélection, il manque beaucoup de gens, mais les quatre périodes essentielles de cette cinématographie sont représentées.
Quelles sont-elles selon vous ?
La première est celle qui commence pendant la guerre d’indépendance. Ce sont des images faites par des réalisateurs comme Ahmed Rachedi ou même Lakhdar-Hamina (Mohammed). C’est un cinéma très tourné vers la guerre de libération. Cette première période court jusqu’au milieu des années 60 avec le climax qu’est La Bataille d’Alger (de Gillo Pontecorvo). Il y a également, Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, complètement considéré comme un film algérien, dans la mesure où il a aussi comme sujet cette guerre d'indépendance.
La deuxième période est celle du CAAIC (Centre algérien pour l’art et l’industrie cinématographique), l'entreprise nationale de production cinématographique, pendant laquelle sont produites la grande majorité des films du cinéma algérien. Ils sont entièrement faits par l’Algérie. L’une des œuvres marquantes de cette période, c’est la Palme d’or (1975), Chronique des années de braise de Lakhdar-Hamina (la première et l’unique Palme d’or algérienne jusqu’à ce jour, NDLR). On retrouve durant cette période également Omar Gatlato (de Merkak Allouache) où la guerre est traitée sous forme de drame, mais aussi en comédie. Beaucoup de comédies, comme Les Vacances de l'inspecteur Tahar (de Moussa Haddad), arrivent à cette époque qui court jusqu’au début des années 90. C’est une période où je crois que les réalisateurs sont des salariés du CAAIC. Ils écrivent des scénarios et le CAAIC les produit. Ils ont certainement un cahier des charges, mais quasiment tous réussissent à insuffler leur part d’auteur dans les films.
Les années 90 constituent la troisième période avec la décennie rouge (terme utilisé pour désigner la guerre civile algérienne marquée par des assassinats, attentats et massacres, NDLR) où le CAAIC fait partie du wagon de sociétés nationales qui ferment du jour au lendemain. Cinéastes, techniciens…toutes ces personnes qui étaient dans le cinéma se retrouvent brusquement au chômage et dans un nouveau rapport de production tel qu’on peut le connaître ici, en France, et aujourd’hui. C’est-à-dire qu’on va chercher un producteur, qui à son tour, va en quête de fonds. Il y a par conséquent très peu de films qui se font, à peine une dizaine. C’est la période la moins prolifique.
Enfin, vous avez la quatrième période qui commence à partir des années 2000 et qui court encore. C’est une autre génération, même si des cinéastes comme Allouache continuent de faire des films. Cette génération, plus jeune, n’a pas connu la guerre d’indépendance. Elle commence à faire des films et presque tout change. Notamment les thématiques : moins de films sur la guerre d'Algérie et ceux-ci ont une dimension plus sociétale. Mais surtout, les modes de production changent. Il y a beaucoup de coproductions, notamment avec la France et cela influe forcément sur les contenus puisque ceux qui financent majoritairement ces films appartiennent à un cinéma étranger qui dispose et dépend d'un marché. L’un des grands frères de tout cela, c’est Nadir Moknèche. Il y a aujourd'hui Amin Sidi-Boumédiène qui a fait son premier long métrage il y a deux ans.
Au total, il y a un film, voire deux pour chacune de ces périodes. Il y a également dans cette sélection l’apport de cinéastes comme Rachid Bouchareb, Kamir Aïnouz et Lina Soualem qui font des films en France, donc des films français qui ont un regard sur la société algérienne. Lina Soualem a réalisé un documentaire, Leur Algérie, sur ses grands-parents algériens qui sont venus travailler en France. Elle raconte une certaine partie de l’histoire de France tout en évoquant ses racines algériennes. A ce titre, ces films font partie intégrante de la cinématographie algérienne.
Cette programmation constitue donc une bonne base pour découvrir le cinéma algérien…
Je le pense, même si tout cela reste subjectif. Je trouve que c’est une bonne entrée en matière puisque que vous allez avoir, encore une fois, un film de chaque période. Après, il appartient au spectateur qui en a envie d’aller voir les autres films produits dans chacune d'elles. Je trouve la sélection vraiment intéressante.
La décennie noire (guerre civile algérienne) est évoquée dans de nombreux films algériens. Peut-on dire que le cinéma algérien se concentre sur certaines thématiques ou ce serait trop réducteur ?
Il y a évidemment des films qui ont traité d’autres sujets, mais effectivement la guerre d’Algérie, en premier lieu, ensuite les années 90 où des films ont été faits sur le vif comme Bab El Oued City de Merzak Allouache qui a vraiment tourné dans Alger au moment où ces événements terroristes se déroulent. C’est le cas de Rachida de Yamina Bachir-Chouikh. Il y a également des cinéastes qui traitent de ce sujet avec un certain recul parce qu’ils étaient enfants pendant la décennie noire. Je pense également à Kamir Aïnouz qui, elle, a vécu ces événements de loin parce qu’elle était en France. Après, il y a aussi la thématique sociale, notamment dans les comédies. La comédie algérienne est assez cousine de la comédie italienne, elle est un peu son héritière dans la mesure où ses protagonistes essaient de se sortir de situations compliquées. Ce sont des œuvres qui jouent toujours sur les travers, les tabous ou les hypocrisies de la société algérienne, comme Les Vacances de l’inspecteur Tahar qui est la comédie culte algérienne. Il n’est pas dans sélection, mais on retrouve une autre qui s’inscrit dans la même veine, De Hollywood à Tamanrasset (de Mahmoud Zemmouri). C’est un film avec une thématique sociale qui fait partie des comédies réalisées dans les années 80 par le CAAIC. A côté de ces trois thématiques qui reviennent régulièrement, il y a l’ovni absolu de la cinématographie algérienne, à savoir Nahla ou la ville qui sombre (de Farouk Beloufa) qui figure dans la programmation d’Angoulême. C’est un film très fort et très poétique qui a été censuré en Algérie. Il se déroule au Liban, mais c’est une critique acerbe du régime algérien réalisée dans les années 80. C’est un film qui a été agressé par le régime : ses copies ont été détruites. Le réalisateur a dû s’exiler en France et sa carrière s’est brisée net alors que son œuvre est d’une puissance cinématographique assez importante.
Cela a-t-il été facile de retrouver les copies de tous ces films d'après les échos que vous avez eus des organisateurs du Festival ?
Je n'ai pas eu d'échos de ce côté là mais je pense que si je n'en ai pas eu, c'est qu'ils ont réussi plus ou moins facilement à avoir les copies. En tout cas, tous les films qu'ils m'avaient annoncés sont là. Les copies sont disponibles à la cinémathèque à Alger. Certaines ont été restaurées il y a quatre ans, d’autres non, mais les copies existent. La question se posait justement pour Nahla et visiblement ils en ont trouvé une. Les archives, le catalogue de la Cinémathèque algérienne est très riche. Il y a beaucoup de films algériens et étrangers. Dans les années 80, la cinémathèque était un haut lieu de distribution, de projections et de débats. Il y avait beaucoup de cinéastes qui passaient par Alger et, à l’époque, une tradition s’était mise en place : chaque cinéaste offrait une copie de son film à la Cinémathèque. Cependant, je ne sais pas dans quel état se trouvent aujourd'hui ces copies.
En tant qu'Algérien, quels sont les films qui vous ont marqué et peut-être décidé de votre carrière actuelle ?
Ce sont les films que j’ai vus quand j’étais enfant, les œuvres de la deuxième période. Il me reste des images très fortes du tout premier film de Lakhdar-Hamina, Le Vent des Aurès. Idem pour L’Opium et le bâton de Rachedi. Il y a Les Vacances de l’inspecteur Tahar, une comédie très importante. Ce sont des films qui m’ont ému.
Je pourrai avoir des réponses plus précises sur le cinéma français ou international, mais c’est diffèrent quand il s’agit de la cinématographie algérienne parce qu’elle est encore en train de s’écrire et de se nourrir. Quand on réalise un film en Algérie, ce n’est pas pour le box-office. On fait un film parce qu’on participe à la cinématographie d’un pays, d’une région. C’est quelque chose que j’ai toujours ressenti aussi bien sur mes films que sur ceux des autres cinéastes auxquels j’ai participé. En Algérie, j’ai rencontré très peu de metteurs et metteuses en scène qui sont là pour ne pas dire quelque chose d’eux-mêmes. Au départ, tout le monde a quelque chose de très important à dire, qui lui est essentiel. On a eu ça dans le cinéma français à un moment donné, on l’a moins aujourd’hui et c’est normal parce que c’est une industrie. Et qui dit industrie dit businessmen.
En Algérie, et d’une manière générale en Afrique, c’est un cinéma qui n’a pas ce luxe pour l'instant. L’inconvénient, c’est qu’il n’y pas d’industrie : faire des films dans ces pays, c’est plus compliqué qu’ailleurs. Mais on ne fait pas ça pour rien. On le fait parce que ça tient à cœur. Quand on est chef électro ou chef machiniste en Algérie, c’est un choix. Ce n’est pas parce qu’on a vu de la lumière et qu’on est entré. Ce sont des gens qui se battent pour faire ces métiers parce qu’ils les aiment et veulent les faire. Je l’ai toujours ressenti, parce que ce n’est pas un endroit où l'on fait facilement du cinéma. Il faut le vouloir, s’accrocher et surmonter de nombreux obstacles. Beaucoup y parviennent et c’est pour cela que je pense qu’on est pas là pour faire le buzz même si on n'a rien contre (rires).
>>Tous les films présentés dans le cadre de l'hommage au cinéma algérien du FFA
A mon âge je me cache encore pour fumer - Abou Leila - Cheb - Chronique des années de braise - Cigare au miel - De Hollywood à Tamanrasset - Esther (court métrage) - L'Oranais - La Famille - Le Harem de Madame Osmane - Le Soleil assassiné - Leur Algérie - Lola Pater (Coup de cœur de l'Association France Algérie) - Nahla ou la ville qui sombre - Omar Gatlato - Songlines (court métrage)
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