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Au Mozambique, les paysans rejettent la création de fermes usines

ProSavanna, c’est l’histoire d’un développement local agricole, que le pouvoir politique du Mozambique a voulu imposer en toute discrétion. Aucun agriculteur n’a été associé. Il s’agissait de créer de grandes exploitations sur le modèle brésilien, dans des productions fortement exportatrices. Mais la population, très méfiante, a obtenu l’arrêt du projet.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
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En 2011, les autorités du Mozambique lançaient un ambitieux programme de développement agricole baptisé ProSavanna. Il s’agissait d’accroître les rendements et moderniser les pratiques agraires dans les régions de savane tropicale, au centre et au nord du pays. En tout, le programme devait concerner 600.000 hectares de terre dans six régions et entraîner le déplacement d’un demi-million de personnes. Il s’agissait de réaliser un vaste espace de cultures industrielles rentables à l’export, comme le coton, le soja et le maïs.
 
Son originalité, mais aussi son point faible, reposait sur un accord entre le Japon, le Mozambique et le Brésil. En fait, il s’agissait de reproduire en Afrique le spectaculaire développement agricole de la région du Mato Grosso au Brésil. A la fin du 20e siècle (1970-1990), la région d’Amérique du Sud, réputée peu fertile, avait été transformée en grenier à blé et en région du soja. Cela grâce à la technologie et aux capitaux du Japon.
 

Dans le Mato Grosso des fortunes s’étaient faites, et l’ambition était de reproduire cela au Mozambique. Les grands propriétaires terriens du Mato Grosso auraient été de la partie, flairant la bonne affaire. Ils auraient apporté leur expérience, d’autant qu’on leur promettait des locations de terre à bas prix. Le Japon, par l’intermédiaire de son agence de coopération internationale (JICA), et le Brésil, auraient amené les fonds et le savoir-faire. Une enveloppe de 36 millions de dollars était prévue pour financer le projet.

Or, il y a quelques temps, certains paysans de la région ont vendu à vil prix leur droit à cultiver leur lopin de terre à une compagnie Luso brésilienne, Agromoz. Celle-ci produit désormais du soja sur 10.000 hectares. Localement, l’affaire a été vécue par les paysans comme une spoliation.

Mobilisation
Aussi, à peine rendu public, ProSavanna a pris l’eau. Car les paysans des régions concernées n’ont jamais été associés au projet. Ils ont vécu cela comme une tentative d’accaparement de leurs terres. Les associations locales et les syndicats d’exploitants se sont rapidement mobilisés. Voyant le peu d’intérêt suscité chez les agriculteurs locaux et la grogne monter, les Brésiliens et leurs capitaux sont partis sous d’autres cieux.

«ProSavanna a été décidé en secret, sans mettre dans la partie les gens vivant dans le secteur concerné», déplore le directeur d’une ONG locale, Jeremias Vunjanhe sur Al-Jazeera. Elena Vito, agricultrice, rapporte au journaliste la visite des gens du gouvernement. «C’était pas clair ce qu’ils proposaient. Ils me disaient qu’ils apporteraient des outils pour augmenter le rendement, mais en même temps, fallait changer de cultures.»
 
Mea culpa japonais
Les Japonais en revanche n’abandonnent pas. Ils ont décidé de revoir leur copie afin d’obtenir l’assentiment d’une majorité des paysans concernés. «Au début, on voulait reproduire ce qui a été fait au Mato-Grosso. Mais on a réalisé que les conditions n’étaient pas les mêmes ici», explique à Al-Jazeera Hiroshi Yokoyama, responsable du projet pour JICA. «Désormais, on s’intéresse aux petits exploitants. On veut leur donner les moyens de produire d’avantage et d’accroître l’autosuffisance alimentaire du pays.»

Un projet «soft» en quelque sorte, plus compatible avec la réalité locale. A commencer par la densité d’exploitants concernés, bien plus forte ici qu'au Mato Grosso, et par les spécificités de la propriété foncière mozambicaine. L’Etat est propriétaire des terres et vend des DUAT, des droits à cultiver.

Projet à l'arrêt
De son côté, le gouvernement du Mozambique nie vouloir louer les terres à des exploitants étrangers et éjecter les fermiers locaux. Pour les pouvoirs publics, ProSavanna reste un bon projet «qui bénéficiera aux petits, moyens et gros fermiers», selon le ministre de l’Agriculture, Antonio Limbau. Mais cette fois, les besoins locaux seront pris en compte.

Désormais, la collaboration est au programme. Et si ProSavanna est à l’arrêt, nul doute pour le ministre qu’il va voir le jour. Du côté des adversaires au projet, on entend rester vigilant. «La mobilisation a payé et a obligé le gouvernement à plus de transparence. Mais nous craignons que leur projet de départ n’ait pas vraiment changé.»

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