Rémy Rioux, Directeur Général de l'AFD : "Il est temps de prendre la mesure de l'Afrique"
Il faut "prendre l’Afrique comme un tout", selon le Directeur Général de l'AFD, "car c'est la façon dont les Africains se pensent et se gouvernent".
Dans son Atlas de l'Afrique AFD, paru aux éditions Armand Colin, l'Agence Française de Développement affirme vouloir proposer "un autre regard sur l’Afrique" pour prendre la pleine mesure des potentialités du continent. Continent que l'on doit regarder dans son ensemble et dans ses particularités, comme le précise Rémy Rioux, le Directeur Général de l'AFD.
Franceinfo Afrique : l'Agence Française de Développement vient de sortir un "Atlas de l'Afrique", avec plus d’une centaine de cartes et graphiques, souvent inédits. Quel est cet autre regard sur l’Afrique que vous proposez ?
Rémy Rioux : la centaine de cartes vise à changer notre vision de l'Afrique et à libérer plus d’actions positives. L'Afrique, c'est d’abord un territoire vaste comme l’Union européenne, les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et le Japon réunis. L'Afrique, c'est aussi 1,3 milliard d’habitants, soit l’équivalent de la population de l'Inde, avec une richesse équivalente et même sans doute nettement supérieure.
En 2050, l'Afrique comptera un tiers de la population mondiale. En 2070, un jeune sur deux sera africain. Et quand on est jeune, on est souvent plus créatif et plus entreprenant. Les pays plus peuplés ont un marché intérieur plus large, où il est plus facile de rentabiliser de lourdes infrastructures comme les routes ou les transports.
Sans oublier qu’il y a une nette corrélation entre croissance démographique et croissance économique. En Afrique, il y a une croissance continue des revenus par habitant, en moyenne, depuis 25 ans, même s'il peut y avoir des pannes comme aujourd’hui avec la pandémie de Covid-19. Il est temps de s’en rendre compte !
C'est également un continent avec de fortes disparités ?
La première partie de l'Atlas permet de prendre la pleine mesure de l’Afrique, en mode "tout Afrique". Dans la deuxième partie, nous nous intéressons aux différentes Afriques. On peut voir de fortes différences de développement entre les pays enclavés et les pays côtiers. Et deux grandes zones de croissance démographique, l'Afrique sahélienne et l'Afrique de l'Est : Ethiopie, Kenya, Ouganda. Avec une augmentation rapide à la fois des populations urbaines et des populations rurales, ce qui est unique dans l’histoire du monde. Alors que l'Afrique du Nord et l'Afrique australe ont presque achevé leur transition démographique.
Contrairement aux idées reçues, la région d’Afrique la plus riche et la mieux éduquée, ce n'est pas l’Afrique du Nord, mais l’Afrique australe. C’est la raison pour laquelle les flux migratoires majeurs s'orientent très majoritairement vers le sud de l'Afrique. Les chauffeurs de taxi à Harare ou Johannesburg parlent français. Ils viennent du Sénégal ou de Guinée. Très majoritairement, les flux migratoires sont aujourd’hui intra-africains.
Dans votre "Atlas de l'Afrique", vous insistez sur la nécessité de prendre l’Afrique comme un tout, de ne plus séparer l'Afrique du Nord de l'Afrique subsaharienne, comme on a l’habitude de le faire.
Nous le faisons tout simplement par respect pour les Africains. Car c'est la façon dont ils se pensent et se gouvernent. Ils ont une Union africaine (UA), une Banque africaine de Développement (BAD), une Commission économique pour l’Afrique (UNECA). De quel droit devrions-nous séparer l’Afrique du Nord de l’Afrique subsaharienne ? C’est nous qui avons installé cette représentation dans le passé, peut-être parce qu’il y avait un gouverneur à Alger et un gouverneur à Dakar. Il faut en mesurer toutes les conséquences : souvent, quand on parle de l'Afrique, on n’utilise que les chiffres de l'Afrique subsaharienne. Rares sont les données disponibles pour l’ensemble de l’Afrique. Pour cet Atlas, l'AFD a reconstruit des statistiques globales pour l’ensemble de l’Afrique, refait tous les calculs pour 55 indicateurs sur 30 ans. Et nous en avons tiré des cartes inédites.
Cette séparation entre Afrique du Nord et Afrique subsaharienne peut également expliquer pourquoi le Sahel est souvent marginalisé et oublié des politiques de développement...
Oui, trop souvent, le Sahel est considéré comme la marge Sud de l’Afrique du Nord et la marge Nord de l’Afrique subsaharienne. Pourtant, si l’on regarde une carte, le Sahel c’est le centre géographique de l’Afrique, c’est un espace immense, un lieu de production de richesses, d’échanges, licites… ou illicites. Il ne faut pas oublier que tant de grands empires, du Kanem ou Songhaï étaient sahéliens. L’Histoire et le présent se mêlent et doivent nous conduire à nous intéresser au Sahel et à y agir.
La région sahélienne est fortement impactée par la violence jihadiste. Comment expliquer la propagation du terrorisme en Afrique ?
Il y a une part du phénomène qui est importée. Je me souviens qu’il y a vingt ans, nous pensions qu’il n’y avait pas de terrorisme en Afrique. Puis la guerre civile en Algérie est arrivée, les attentats de Nairobi, Dar es Salam, la crise libyenne et les connexions entre l’Afrique et le Moyen-Orient.
Ce n’est pas parce qu’on est pauvre que l’on devient bandit ou terroriste. C’est probablement même le contraire. Les trafics et le terrorisme se développent dans les zones en croissance, là où il y a de la richesse à saisir et à échanger. Faute d’un Etat suffisamment fort, des groupes tentent de capter les richesses en or, en pétrole, en bois. Je ne nie pas pour autant le facteur religieux, mais on connaît la porosité entre banditisme, trafic et djihadisme.
Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots l’action de l'AFD en Afrique ?
Depuis 2016, l’AFD a doublé de taille, passant de 7 à 14 milliards d’euros de financements par an. Et nous allons maintenir cette performance durant la crise de Covid-19. La moitié de ces financements sont consacrés à l'Afrique dans une logique d’investissement durable. L'AFD finance et accompagne chaque année 500 projets sur tout le continent grâce à un réseau de terrain de 35 agences et 600 agents.
En tant que banque publique de développement, notre raison d’être consiste à soutenir les acteurs publics et privés qui œuvrent à l’essor du continent dans le respect des Objectifs de développement durable (ODD). Une part de ces financements (20%) est constituée de dons pour les secteurs qui en ont le plus besoin – l’éducation et la santé, par exemple – et pour les territoires les plus défavorisés.
L’agence vient, par exemple, de financer la plus grande centrale solaire d’Afrique de l’Ouest au Burkina Faso, un investissement qui représente 10% de capacité électrique supplémentaire pour ce pays. Et aussi un train urbain pour désengorger la presqu’île de Dakar jusqu’à la ville nouvelle de Diamniadio. En 2019, elle a raccordé près de 8 millions de foyers à un réseau électrique, permis la scolarisation de 2,4 millions d’enfants, amélioré l’accès aux soins pour 18 millions de personnes, et financé près de dix millions d’hectares d’espaces naturels protégés ou restaurés.
Pour cela vous vous appuyez sur l’expertise locale africaine ?
Ce n’est jamais l’AFD qui fait. Nous finançons nos projets en nous appuyant sur le savoir-faire local, quitte à l’accompagner par de l’expertise et de la formation technique. Nous faisons confiance, appuyons les acteurs africains. Pour les projets énergétiques, les sociétés locales d’électricité et les banques publiques de développement nationales sont les acteurs principaux ; nous les accompagnons.
Nos agents et nos experts locaux sont notre force. Ils sont tous restés sur place durant la crise du coronavirus, malgré les multiples contraintes pour exercer nos missions. A l'AFD, il y a des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des financiers, pour répondre aux demandes qui nous sont adressées. Notre expertise, c’est moins le choix des projets que le sérieux et la rigueur dans leur mise en œuvre, pour des impacts à long terme.
Notre filiale Proparco, qui s’occupe du secteur privé, a poursuivi, sans discontinuer, son action de soutien aux entrepreneurs africains, et notamment aux TPE et PME si durement frappées par la crise. Et le groupe AFD comptera bientôt une seconde filiale qui s’appelle Expertise France dédiée à l’assistance technique et au renforcement des capacités de nos clients et partenaires.
La prochaine loi sur le développement, que porte notre ministre Jean-Yves Le Drian, permettra de réunir dans une même entité l’ensemble des instruments : les prêts, les subventions, les investissements, l’assistance technique et la recherche-action. Nos agences et collègues pourront proposer des produits beaucoup plus complets et l'AFD deviendra une machine plus puissante pour tisser des liens avec les pays africains.
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