Tunisie : l’huile d’olive des Moulins Mahjoub, produit "vrai" et bio qui s’exporte dans le monde entier
La Tunisie est l’un des principaux producteurs mondiaux d’olives. Le pays pourrait produire 350 000 tonnes d’huile lors de la prochaine saison 2019-2020. Franceinfo Afrique s’est rendu à Tebourba (30 km à l’ouest de Tunis) aux Moulins Mahjoub qui se sont lancés dans l’activité… il y a 130 ans.
L'huile d'olive est l'une des grandes richesses de la Tunisie. Certains l'appelant son "or vert". Un atout pour un pays qui traverse une passe économique difficile. Pour la saison 2019-2020, "la récolte pourrait dépasser les moyennes. La production d'huile est estimée à 350 000 tonnes d'huile", selon le ministre de l'Agriculture, Samir Taieb. Une production qui doit faire face à une concurrence agressive. En Italie, des voix se sont ainsi élevées pour demander un arrêt des importations tunisiennes, rapporte le journal La Repubblica. De plus, la qualité des produits est parfois remise en cause. Le magazine 60 millions de consommateurs rappellait ainsi en avril 2018 que certaines huiles tunisiennes contenaient des "résidus de pesticide" et des "plastifiants, notamment des phtalates". Lesquelles peuvent "provenir des contenants ou des joints de machines utilisés sur la chaîne de production". Les autorités de Tunis avaient alors vivement réagi, affirmant que "l'huile d'olive tunisienne répond parfaitement aux normes internationales".
"Locomotive"
De leur côté, depuis des décennies, les responsables des Moulins Mahjoub ont, eux, misé sur la qualité. Ils fabriquent des produits 100% bio répondant aux normes internationales et traités en grande partie manuellement. L’huile d’olive en bouteille est leur "locomotive", mais ce n’est pas leur seule production, loin s’en faut. L’entreprise familiale a développé toute une gamme de préparations culinaires : olives au citron et fenouil, à l’ail et aux herbes de montagne, caviars d’olives, de tomates séchées et d'artichauts, piments grillés, harissa, semoule de couscous, citrons, câpres... Le tout accommodé à l’huile d’olive. Particularité : ces végétaux sont exclusivement produits et traités en interne selon des méthodes très écologiques.
Cela fait 130 ans que la famille Mahjoub, installée à Tebourba depuis 1730 et fière de ses origines berbères, travaille dans le secteur de l’huile d’olive. Depuis le début du XXe siècle, elle la produit dans le même moulin, construit par un colon français. La production d’huile dans la région remonte à la plus haute antiquité : dans le moulin qui accueille aussi bien visiteurs que clients, on peut voir fonctionner un pressoir en pierre apparemment romain, découvert sur les terres de l’entreprise. Même si ledit pressoir est présenté sur un écriteau comme "carthaginois"… "Cela fait plus local !", s'amuse Abdelwahab Mahjoub, président des Moulins. Les Carthaginois ayant fondé leur civilisation sur les rivages de l’actuelle Tunisie.
Familial
L’entreprise est d'abord et avant tout familiale. Les dix frères et sœurs d’Abdelwahab sont actionnaires, trois d’entre eux, dont le directeur général et véritable responsable opérationnel, Abdelmajid, y travaillent. Comme plusieurs de leurs enfants. "Avant qu’il ne disparaisse, notre père nous a laissé beaucoup de terres. Chacun d’entre nous a donc reçu sa part d’héritage. Mais il voulait être sûr que nous resterions ensemble. Nous avons donc mis tout ce patrimoine dans une même société par respect pour sa mémoire", explique le directeur général.
Modèle familial encore, les 120 employés (ils sont jusqu’à 200 avec les saisonniers lors des périodes de récolte) se recrutent de mère en fille et de père en fils. Une manière de les fidéliser, l'autre étant de leur verser "des salaires assez élevés", selon leur patron. Lequel explique qu’"il n’y a pas un chômeur autour de nous".
Aujourd’hui, outre le moulin installé à Tebourba même, l’entreprise, qui réalise un chiffre d’affaires de "quelques millions d’euros", possède cinq fermes avec "plusieurs centaines d’hectares" et une unité de transformation. Les chiffres précis sont confidentiels… Quoiqu’il en soit, les bénéfices sont réinvestis dans l’achat de nouvelles terres et de nouvelles plantations d’arbres.
"Séchage au soleil, sel et huile"
Les Moulins Mahjoub insistent, c’est un euphémisme, sur leur volonté de produire un produit "vrai". Un produit vrai ? "Les vraies olives mûres sont foncées, violettes. Celles qu’on présente comme noires sont souvent traitées à la soude caustique et au glucomate de fer !", observe Ghazi Mahjoub, directeur qualité et normes... En clair, chez eux, ce n’est pas le cas ! "Nous veillons à assurer le maintien strict et absolu du vrai process pour obtenir la meilleure qualité d’huile. Le modèle absolu pour nous, c’est LVMH. Nous avons clairement choisi la haute couture. Pas le prêt à porter". LVMH pour la qualité. Mais aussi pour le maintien des métiers traditionnels d’excellence.
Maintien des traditions locales et du terroir, en l’occurrence berbères. "Selon ces coutumes, nos procédés de fabrication reposent sur trois éléments basiques : le séchage au soleil, le sel, l’huile", explique Ghazi. Même si le processus est évidemment un petit peu plus élaboré. Mais de fait, autour de l’unité de production installée sur l’une des fermes à quelques kilomètres de Tebourba, où le personnel travaille 24h sur 24 en trois-huit, on voit sécher en plein air les végétaux récoltés sur les propriétés Mahjoub : piments rouges, blé concassé… Alors que les oliveraies et les champs de cultures maraîchères s’étendent à perte de vue sous le soleil.
Pour garder cette authenticité, la production annuelle d’huile d’olive ne dépasse pas 200 000 litres (100 kilos d’olives donnent en moyenne 20 litres d’huile) : les Moulins privilégient ainsi le choix de la qualité avant la quantité. De la même façon, "tout ce qui est préparé dans nos cinq fermes est transformé et conditionné chez nous avant d’être exporté", insiste le directeur général.
Dans le même temps, les produits sont presque entièrement faits à la main. C'est aussi le cas pour le processus de la fabrication de l’huile. Seules les opérations lourdes sont assurées par des moyens mécaniques, comme l’écrasement et le pressage des olives, de variétés proprement tunisiennes : la chétoui et la chemlali. Elles sont écrasées avec la chair et le noyau par des meules en granit aux noms poétiques : l’une couchée s'appelle la "gisante", la verticale se nomme "tournante".
Agriculture durable
L’authenticité est garantie par une volonté de ne pas faire de publicité. "Nous n’avons pas de clients emblématiques, ni de produits emblématiques. La meilleure des publicités, ce sont nos clients qui nous la font", assure le directeur général. "Avec comme maîtres-mot la ténacité et la rigueur". Pour ne pas dire l’austérité. "Nous sommes très ascètes. Nous sommes les protestants des musulmans", assure Abdelmajib en riant.
Mais cette authenticité est avant tout garantie par la "durabilité", autre mot important du vocabulaire Mahjoub. En clair, le recours exclusif à l’agriculture durable : "Notre écosystème, c’est l’ombre. Il faut donc que la terre soit couverte pour la protéger du soleil. Les oliviers assurent 80% de cette couverture. Tout autour de chacun d'eux, espacés de 10 mètres, nous plantons d’autres végétaux : arbustes, orangers, céréales… Il s’agit ainsi de protéger les milliards de bactéries du sol. Ce sont ces bactéries qui font notre richesse. Car elles assurent tout le travail du goût et de la subtilité de nos produits !", explique Abdelmajid avec passion.
La terre est donc traitée avec le plus grand respect, évidemment sans aucun recours aux pesticides, ni autres herbicides. Et il n’est pas rare de voir un salarié labourer avec une charrue tirée par un mulet. Il s’agit d’aérer le sol en évitant de creuser trop profondément comme le font parfois les engins agricoles modernes. Il faut voir le directeur général ramasser de la terre au bord d’un champ, tamiser la fine poudre à travers ses doigts ("un vrai couscous !", s’enthousiasme-t-il). Puis en extraire des vers gros et gras en s’écriant : "Comme c’est beau ! Cela prouve la bonne santé du sol. C’est le résultat de notre travail. N’oubliez pas de photographier ça !"
L’international avant toute chose
Particularité des Moulins Mahjoub : la quasi-totalité de la production est exportée. "Cette approche à l’international, ce sont nos parents qui l’ont entamée il y a 35 ans. Pour cette raison, ils nous ont obligés à faire nos études à l'étranger", explique Abdelmajid. Même si la société exportait déjà vers l’Europe dans les années 1930. Aujourd’hui, cette approche est symbolisée par la jeune génération, formée à la mondialisation aux Etats-Unis, en Europe. "Cela fait aussi partie de nos valeurs. Nous avons une approche universelle. C’est un choix de départ. C’est à la fois un élan vers l’autre et vers le savoir", assure Abdelmajid.
Aujourd’hui, l’international est la raison d’être des Moulins. Résultat : "Nous n’avons pas de concurrents en Tunisie. Nous ne jouons pas sur la même scène que les autres producteurs", explique-t-il.
Principal débouché, les Etats-Unis (75% des ventes), le reste va vers l’Europe (25%), même si une infime partie des produits sont vendus directement au moulin d’origine à Tebourba. Les USA sont aussi le débouché le plus rentable : à titre d’exemple, un demi-litre d’huile Madjoub y est vendu 12 dollars. "C’est le pays du commerce par excellence", souligne Ghazi, lui-même diplômé du Virginia Polytechnic Institute.
La France serait un débouché beaucoup plus difficile. "Chez vous, nous souffrons le martyr", affirme le directeur général, presque sérieusement. Notamment parce que les douanes françaises assimileraient le bio à des produits frais. Conséquence, les produits emballés, donc non frais, passeraient plus difficilement l’étape des gabelous hexagonaux. Pour autant, rien qu’à Paris et à La Défense, ils sont distribués dans au moins cinq magasins bio.
Les produits des Moulins Mahjoub sont aujourd’hui vendus dans 270 magasins de 25 pays à travers le monde. La société a notamment pris son essor en devenant le fournisseur principal de la chaîne belge de boulangeries et de restauration Pain Quotidien, fondée en 1990. "Aujourd’hui, nous choisissons des distributeurs de qualité. Nous ne vendons pas si nous ne trouvons pas des conditions d’exposition de standing", assure Ghazi.
Casual food
La montée en puissance de la société familiale correspond à la vague du fast casual, il y a trois décennies, aux Etats-Unis. Une tendance qui traduit un intérêt pour la qualité et se situe à mi-chemin entre le fast food et une restauration plus haut de gamme. Les Moulins ont donc réussi à surfer sur cette tendance. "Il y a 30 ans, les USA ne connaissaient pas vraiment le pain, le vin, le fromage, l’huile d’olive, assure Ghazi. Dans le même temps, c’est un continent de plus de 300 millions d’habitants avec des grandes villes sur les côtes est et ouest qui créent les tendances". Avantage porteur pour les Moulins, cette vague commence à déferler sur l’Europe.
Le développement des Moulins Mahjoub n’est-il pas entravé par les événements politiques et la grave crise économique qui touchent la Tunisie depuis presque10 ans ? "En aucune façon !", répond le directeur général. L’entreprise familiale peut compter sur la fidélité de ses salariés. Le 14 janvier 2011, alors que les fermes du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali dans la région étaient incendiées, le personnel s’était mobilisé pour protéger les propriétés de la famille Mahjoub, raconte Abdelmajid avec fierté. Il n’en juge pas moins "très critique" la situation du pays alors que celui-ci "a des atouts incroyables dans l’agriculture et le tourisme, qu’il n’a pas su exploiter". A ses yeux, "il manque une élite capable de prendre des décisions stratégiques". Et d’ajouter : "Moi, en tant que chef d’entreprise, si je n’ai pas de vision stratégique, je ne peux rien faire".
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