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Egypte : Al-Sissi, un général imprévisible au sommet du pouvoir

Nommé par le président islamiste Mohamed Morsi, il a pris le pouvoir début juillet et a fait réprimer les manifestations des Frères musulmans. Portrait.

Article rédigé par Héloïse Leussier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le général Abdel Fattah Al-Sissi, lors d'une allocution à la télévision égyptienne, le 24 juillet 2013. (AFP / EGYPTIAN TV)

Il est le nouvel homme fort de l’Egypte. Le général Abdel Fattah Al-Sissi, chef des armées et ministre de la Défense, est celui qui a mis en place le gouvernement de transition après avoir destitué Mohamed Morsi en juillet. C’est sous sa direction que les forces de l’ordre sont intervenues, mercredi 14 août, pour réprimer dans le sang les pro-Morsi. L’avenir du pays, menacé de guerre civile, est entre ses mains. Qu’en fera-t-il ? Il est difficile de le dire, tant l’homme semble imprévisible. Portrait.

Un fervent musulman désigné par Morsi

Cela semble inconcevable aujourd'hui, mais c’est Mohamed Morsi, président islamiste élu démocratiquement en juin 2012, qui a fait passer le général Abdel Fattah Al-Sissi de l’ombre à la lumière, en le désignant ministre de la Défense et commandant en chef de l’armée. Morsi pense alors faire "un bon choix", raconte La Croix : "Sissi a une réputation de grande piété, une vision conservatrice de l’islam, et sa femme est voilée." De plus, "l’un des cousins de son père, Abbas Al-Sissi, a été en son temps une grande figure de la confrérie [des Frères musulmans]."

Qui est vraiment le général égyptien Al-Sisi ? (France 2 - Anne-Charlotte Hinet et Valérie Lucas)

Tout laissait donc croire que le pieux général de 58 ans allait être celui qui rendrait l’armée plus proche des islamistes. Juste après la chute de Moubarak, il avait créé la polémique en défendant les tests de virginité pratiqués par les militaires sur les manifestantes arrêtées. Au moment de sa nomination, certaines rumeurs ont même laissé entendre qu’il était une taupe islamiste au sein de l’armée. Au début de son mandat, "il surprit certains en ouvrant les portes des écoles militaires aux islamistes – ce qu'avaient banni les régimes antérieurs, farouchement hostiles aux intégristes", rappelle Le Figaro.

L’artisan du coup d’Etat du 3 juillet

Quelques mois après sa nomination, les événements prennent cependant une tournure imprévue. En novembre 2012, le président Morsi décide de modifier la Constitution pour s’attribuer les pleins pouvoirs. C’est un tollé dans la population, et le pays est secoué de manifestations monstres. Abdel Fattah Al-Sissi tente alors d’organiser une table ronde entre l’opposition et le pouvoir. Mais Morsi s’y refuse au dernier moment. "Pour le général Sissi, c’est un affront personnel, qui marque aussi la volonté de la confrérie de marginaliser l’armée", relate La Croix.

Ces événements marquent le début d'une opposition avec le pouvoir, qui aboutira à la décision de l'armée, le 1er juillet, de donner un ultimatum au président : 48 heures pour "satisfaire les revendications du peuple". Le soir même de cette annonce, le général Abdel Fattah Al-Sissi envoie des hélicoptères militaires déployant le drapeau national au-dessus du Caire, en signe de soutien aux manifestants. Puis, deux jours plus tard, on le voit  s'exprimer à la télévision. Sans laisser apparaître une émotion, il annonce la suspension de la Constitution, la destitution de Mohamed Morsi et déplie la feuille de route préparée par l'armée pour sortir de la crise. Abdel Fattah Al-Sissi devient l'homme fort de l’Egypte après un coup d’Etat qui ne dit pas son nom. Il nomme une personnalité de son choix, le juge Adly Mansour, à la présidence, pour installer un gouvernement de transition.

Le commanditaire de la répression, admirateur de Nasser 

Les Frères musulmans n'acceptent pas cette prise de pouvoir et, le 14 août, le divorce est définitivement acté. Abdel Fattah Al-Sissi ordonne la dispersion des camps pro-Morsi au Caire. La répression menée par son armée fait des centaines de morts. S’il continue d’être perçu par de nombreux Egyptiens comme "l’homme providentiel" selon Libération, son comportement commence à susciter de nombreuses interrogations à l’étranger. "Le personnage est extrêmement versatile", confie une source officielle française au JDD. "Qui peut assurer que cet homme-là redonnera un jour le pouvoir aux civils ?", s’interroge Alexandra Schwartzbrod dans Libération.

Le doute plane surtout sur son positionnement vis-à-vis des Etats-Unis, le pays le plus à même d’infléchir la politique égyptienne pour éviter la guerre civile. "Vous avez tourné le dos aux Egyptiens, ils ne l’oublieront pas", a lâché Sissi à l'encontre des Américains dans une rare interview au Washington Post (lien en anglais), après la destitution de Mohamed Morsi. Selon le site israélien DebkaFiles, cité par le JDD, il a refusé de prendre au téléphone le président Obama mercredi 14 août au soir. Formé dans une académie militaire britannique avant de rejoindre, comme de nombreux officiers égyptiens, l'Ecole de guerre américaine en 2006, le général Al-Sissi reste un fervent admirateur de la période des officiers libres et de leur chef, Gamal Abdel Nasser (qui a dirigé le pays de 1954 à 1970). 

Plus inquiétant encore, comme l’explique France24, des écrits publiés par Al-Sissi en 2006 ont pris un nouvel écho : les autocrates de la région ont des "raisons valables" de se méfier "d’un contrôle de leur régime par le vote populaire", avançait-il dans l'introduction d'une réflexion sur "La Démocratie et le Moyen-Orient".

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