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Egypte: deux îlots pour le prix d’une réconciliation avec l’Arabie Saoudite

Une commission parlementaire égyptienne a approuvé le 12 juin 2017 un accord controversé prévoyant la rétrocession, par l’Egypte à l'Arabie saoudite, de deux îlots inhabités de la mer Rouge, Tiran et Sanafir. Une procédure qui ouvre la voie à un vote des députés. Et s’inscrit dans le rapprochement entre Le Caire et Ryad, opéré depuis plusieurs mois.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le roi Salman bin Abdulaziz al Saoudi d'Arabie Saoudite et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, à Ryad le 23 avril 2017. (AFP - BANDAR AL-JALOUD - SAUDI ROYAL PALACE)

La commission législative du parlement égyptien a donné son feu vert à l'accord avec 35 voix pour et 8 contre, a indiqué le député Moustafa Bakry. Un vote intervenu à l'issue de trois jours de débats mouvementés, durant lesquels des députés de l'opposition ont interrompu les séances en scandant des slogans dénonçant la rétrocession des îlots.

En avril 2016, Le Caire avait annoncé la rétrocession à Ryad de ces deux petites îles inhabitées de la mer Rouge. Ce qui avait soulevé une vive controverse et déclenché des manifestations contre le régime du président Abdel Fattah al-Sissi. Dans la soirée du 12 juin 2017, des dizaines de journalistes ont à nouveau manifesté contre l'accord dans le centre du Caire, avant que la police n'intervienne pour les disperser, a indiqué leur syndicat.
 
«Situées au nord de la mer Rouge à l’entrée du Golfe d’Aqaba, un étroit bras de mer donnant accès à la Jordanie et Israël, ces deux rochers inhabités, d’une longueur de 15 km pour Tiran, la plus grande, et de 8,7 km pour Sanafir, ont une importance stratégique tant pour l’Arabie Saoudite que pour l’Egypte», écrivait Géopolis le 4 janvier 2017. «Elles avaient été concédées provisoirement en 1950 par le roi Abdel Aziz ben Abderrahman al Saoud d’Arabie au roi Farouk d’Egypte pour qu’il les défende, après la conquête du Néguev par Israël en 1949.»

Manifestation de journalistes au Caire, le 13 juin 2017, contre la rétrocession de deux îlots à l'Arabie (AFP - ANADOLU AGENCY - AHMED AL SAYED )

«Capitulation» ?
L'accord doit encore être étudié par la commission parlementaire en charge des questions de Défense, avant la tenue d'un vote en séance plénière au Parlement, a précisé le député Ehab al-Khouli.

Certains responsables politiques égyptiens s’étonnent d’un processus peu transparent, selon eux, sur un dossier relevant de la souveraineté nationale. Les autorités insistent sur le fait que les deux îlots appartenaient à l'Arabie avant les années 50. Le dossier est aujourd’hui plongé dans un imbroglio juridique. «Même si l’Egypte reconnaît la souveraineté saoudienne sur ces îles, les juristes opposés à cette restitution se réfèrent pour leur part à un traité datant de 1906, un quart de siècle avant la création du royaume saoudien, accordant au Caire la souveraineté sur Tiran et Sanafir», expliquait l’article de Géopolis déjà cité.
 
Politiquement, l’affaire est très sensible en Egypte. «Les détracteurs du président Abdel Fattah al-Sissi ont été prompts à dénoncer une "capitulation" face aux pétrodollars saoudiens, d’autant que les militaires avaient accusé le président islamiste déchu Mohamed Morsi d’avoir voulu vendre le Sinaï au Qatar et céder le triangle contesté d’Halaïb au Soudan pour justifier leur coup d’Etat de juillet 2013», note Le Monde.
 
Rapprochement avec la dynastie wahhabite
Mais pour le régime du président Sissi, les préoccupations diplomatiques et économiques l’ont apparemment emporté sur les considérations politiques: la résolution de cet épineux conflit s’inscrit dans sa volonté de rapprochement avec la monarchie wahhabite. Histoire de toucher des milliards d’investissements saoudiens. Et de construire un pont sur la mer Rouge pour relier les deux pays.

Pour autant, les obstacles à des relations apaisées entre les deux grandes puissances de la région ne sont pas forcément tous aplanis. En octobre 2016, les tensions étaient telles que le royaume avait interrompu ses livraisons de pétrole à l’Egypte. Il n’avait pas apprécié que le régime Sissi ne partage pas ses analyses sur la crise syrienne et la guerre au Yémen. «Ryad finance des opposants en guerre contre le régime syrien de Bachar al-Assad, épaulé par l'Iran, tandis qu'au Yémen, elle est engagée militairement contre des rebelles chiites Houthis, également soutenus par Téhéran», observait alors Ouest France. De son côté, Le Caire ne voyait pas de menace iranienne dans ces deux régions.

Les présidents Abdel Fattah el-Sissi et Donald Trump se serrent la main à Ryad le 21 mai 2017. (AFP - EGYPTIAN PRESIDENCY - HANDOUT / ANADOLU AGENCY)

Mais depuis, le climat entre les deux capitales s’est détendu, comme le montre la reprise des livraisons de pétrole saoudien en mars 2017. L’élection à la présidence des Etats-Unis de Donald Trump, qui s’appuie sur les deux pays dans la région notamment pour lutter contre le groupe Etat islamique, n’y est pas pour rien.

De plus, comme l’Arabie, les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Yémen, l’Egypte a décidé de rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar. Celui-ci est accusé de soutenir le terrorisme et son rapprochement avec Téhéran inquiète ses voisins. Le Caire se rapproche ainsi de l’alliance anti-Iran que Ryad s’efforce de mettre sur pied. L’Iran, nouvel «axe du mal» de Donald Trump.

La rupture avec le riche émirat du Golfe ne fait sans doute pas verser de larmes au pouvoir égyptien: les deux pays ont des rapports très tendus depuis le renversement, par l’armée, du président Mohamed Morsi. Le Qatar était l’un des grands soutiens de ce dernier. Et n’a pas hésité à condamner la répression contre la mouvance islamiste.

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