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Egypte: la restitution des îles de la mer Rouge à Ryad, un piège pour Sissi

La crise entre le Caire et Ryad a remis en lumière le serpent de mer du vieux contentieux sur les îles Tiran et Sanafir à l’entrée du Golfe d’Aqaba. Les forces de sécurité ont dispersé le 2 janvier 2017 des manifestants descendus contester la décision du gouvernement de rétrocéder ces deux rochers inhabités à l’Arabie Saoudite. Mais pour le Caire comme pour Ryad l’enjeu est multiple.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des dizaines de manifestants rassemblés devant le siège du syndicat des journalistes au Caire, le 2 janvier 2017, pour protester contre l'accord annoncé d'une rétrocession des îles de Titan et Sanafir à l'Arabie Saoudite. (Mohamed El Raai/ANADOLU AGENCY/AFP)

La police égyptienne a dispersé des dizaines de manifestants rassemblés, lundi 2 janvier 2017, devant le siège du syndicat des journalistes au Caire. Ils projetaient de marcher sur le parlement pour protester contre l’accord donné par le gouvernement à la rétrocession des deux îlots de Tiran et Sanafir à l’Arabie Saoudite.
 
Un abandon de souveraineté de la part de l'Etat sur deux îlots stratégiques
Trois jours auparavant, la télévision publique égyptienne avait diffusé l’information indiquant que l’accord avait été soumis au parlement pour ratification. Et, comme chaque fois qu'il est abordé, ce dossier a suscité la colère des Egyptiens qui y voient un abandon de souveraineté sur leur terre de la part de l’Etat.
 
Le gouvernement a en effet décidé cette fois-ci de passer outre l’invalidation de cette restitution par la haute cour administrative égyptienne en juin 2016, suite à un premier accord en avril 2016 lors d'une visite du Roi Salman. L'affaire avait déjà déclenché de nombreuses manifestations.
 
Les autorités égyptiennes avaient fait appel de la décision de justice, non contraignante, mais ont choisi également d’accélérer la résolution de ce contentieux sans attendre le jugement, dans un contexte de tensions grandissantes entre Ryad et le Caire.

Vue aérienne de la mer Rouge et des deux îles de Tiran et Sanafir prise à travers un hublot, au-dessus de Charm el Cheikh, le 1er novembre 2016.  (REUTERS/Amr Abdallah Dalsh)
 
Situées au Nord de la mer Rouge à l’entrée du Golfe d’Aqaba, un étroit bras de mer donnant accès à la Jordanie et Israël, ces deux rochers inhabités, d’une longueur de 15 km pour Tiran, la plus grande, et de 8,7 km pour Sanafir, ont une importance stratégique tant pour l’Arabie Saoudite que pour l’Egypte.
 
Elles avaient été concédées provisoirement en 1950 par le roi Abdel Aziz ben Abderrahman al Saoud d’Arabie au roi Farouk d’Egypte pour qu’il les défende, après la conquête du Néguev par Israël en 1949. Même si l’Egypte reconnaît la souveraineté saoudienne sur ces îles, les juristes opposés à cette restitution se réfèrent pour leur part à un traité datant de 1906, un quart de siècle avant la création du royaume saoudien, accordant au Caire la souveraineté sur Tiran et Sanafir.

Après la guerre israélo-arabe de 1967, elles sont passées sous contrôle de l'Etat hébreu jusqu'à la signature du traité de paix avec le président Sadate en 1969. L'Arabie Saoudite avait refusé la restitution d'une des deux îles par Israël, estimant que tout retour de territoire devait s'inscrire dans le cadre d'un règlement israélo-arabe global.

Le président Sissi cherche à maintenir des relations avec Ryad et avec Damas à la fois  
Un blocage juridique et une opposition populaire qui handicapent aujourd'hui Abdel Fattah al-Sissi dans sa volonté d'entretenir des relations avec le régime saoudien et son ennemi juré syrien à la fois.
 
Avec le contentieux sur ces cailloux arides, le rapprochement opéré par le président égyptien avec le régime de Bachar al-Assad et son allié russe est en effet une des raisons de la montée des tensions entre ces deux pays, sunnites et partenaires de longue date.
 
Déjà mises à mal par le refus égyptien de participer à la coalition saoudienne contre la rébellion houthie pro-iranienne au Yémen, les relations avec le Caire se sont dégradées encore plus, au point que Ryad a coupé l’approvisionnement de l’Egypte en pétrole.
 
Le président Sissi, qui envisage de se tourner vers l’Iran, autre ennemi juré des Saoudiens, pour palier cette défection, ne semble toutefois pas prêt à couper complètement les ponts avec la monarchie wahhabite. Ceci expliquerait sa volonté d’accélérer le règlement du dossier des îlots contestés.

Une résolution de ce contentieux permettrait, en outre, la réalisation de projets bénéfiques pour les deux pays. Telle la construction d’un pont sur la mer Rouge entre le sud du Sinaï et le Nord-Ouest de l’Arabie, permettant des échanges directs entre la Péninsule arabique et le continent africain.
 
Toutefois, même si ce geste peut constituer une amorce de réconciliation avec le roi Salman, sa réalisation n’est pas simple. Nombreux sont ceux, au pays des pyramides, qui s’opposent à cette perte de souveraineté.
 
Un éditorialiste de renom accuse le Caire et Ryad de faire le jeu des islamistes
Emblématique des difficultés que le président égyptien pourrait rencontrer, le célèbre éditorialiste d’une télévision égyptienne, Ibrahim Issa, a officiellement sabordé son émission le 1er janvier 2017, «en attendant des jours meilleurs», a-t-il écrit sur son compte Facebook.
 
Connu pour ses critiques acerbes contre le régime Moubarak, puis contre celui du Frère Musulman Mohammed Morsi, Ibrahim Issa avait soutenu le président Sissi à ses débuts avant de devenir plus critique.
 
Selon le correspondant de RFI au Caire, «l’accord entre l’Egypte et l’Arabie Saoudite sur la remise des deux îles de la mer Rouge à Ryad a fait déborder le vase». L’éditorialiste s’en est pris à la monarchie saoudienne et aux autorités égyptiennes, les accusant de faire la part belle aux islamistes.
 
Le président du parlement a contre-attaqué accusant le journaliste contestataire de «désinformation criminelle.»

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