Egypte : le président Sissi échoue à censurer sa propre interview sur CBS
La chaîne américaine a diffusé le 6 janvier 2019 un entretien avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi malgré la demande insistante du Caire de ne pas le faire. Le président y reconnaît officiellement une coopération sécuritaire avec Israël et nie détenir des prisonniers politiques dans ses prisons.
Lors de sa présence à New York pour l’Assemblée générale des Nations unies, Abdel Fattah al-Sissi a accepté d’accorder un entretien au programme d’informations 60 minutes de la chaîne américaine CBS, pour diffusion le dimanche 6 janvier 2019.
CBS refuse de communiquer les questions à l'avance
En dépit du refus de la chaîne de communiquer les questions au préalable, le président égyptien, désireux d’apparaître dans cette émission prestigieuse, a fini par se prêter au jeu de l’enregistrement d'un entretien spontané. L'opération a tourné au pugilat entre les autorités égyptiennes et la chaîne.
"J’essayais de lui poser des questions qu’on ne lui pose pas en général chez lui", a expliqué l’intervieweur vedette de l'émission Scott Pelley.
"C’est un homme qui est accusé des plus horribles violations des droits de l’Homme depuis plusieurs années. Dans son propre pays, nul ne s’en préoccupe ni ne dit mot sur cela", a-t-il précisé dans un entretien à sa propre chaîne intitulé Comment l’Egypte a essayé de tuer une interview de 60 minutes.
C’est ainsi qu’à la question de savoir combien de détenus politiques croupissent dans ses prisons, al-Sissi répond sans sourciller : "Nous n’avons pas de prisonniers politiques ou d’opinion. Nous essayons de contrer des extrémistes qui imposent leur idéologie à la population".
Quant au chiffre de 60 000 détenus politiques avancé par Human Rights Watch (HRW), il le balaie d’un "je ne sais pas d’où ils tiennent ce chiffre", confirmant sa détermination à combattre les extrémistes quel que soit leur nombre.
"Monsieur le président j’ai parlé à plusieurs personnes de votre pays qui refusent de vous appeler président parce que, disent-ils, vous êtes un dictateur militaire", poursuit le journaliste de CBS. "Je ne sais pas à qui vous avez parlé, a répondu al-Sissi avec un rire quelque peu forcé, mais 30 millions d’Egyptiens étaient dans la rue pour s’opposer au régime à l’époque. Je me devais de répondre à leur souhait", a-t-il ajouté.
Autre question dérangeante concernant le massacre de quelque 800 opposants des Frères Musulmans Place Rabaa el-Adaouïa au Caire en 2013, attribué à al-Sissi, alors ministre de la Défense. "En avez-vous donné l’ordre ?", lui demande sans détour Scott Pelley. "Laissez-moi vous poser cette question, est-ce que vous suivez de près la situation en Egypte ? D’où vous procurez-vous vos informations ?", a rétorqué sèchement le président égyptien.
Une étroite coopération avec Israël
Au cours de l’entretien, Abdel Fattah al-Sissi "a confirmé que son armée travaillait avec Israël contre les terroristes dans le Nord-Sinaï", a indiqué CBS. A la question de savoir si cette coopération était la plus étroite qui ait jamais existé entre les deux anciens ennemis, il a répondu : "C'est exact", a précisé la chaîne.
"Nous avons un large éventail de coopération avec les Israéliens"
Abdel Fattah al-Sissià CBS
Quelques minutes après l’enregistrement de l’émission dans un hôtel de New York, réalisant sans doute que ces réponses pourraient choquer son opinion publique, le président égyptien tentent de rétropédaler.
"L’entretien a eu lieu à 20 heures et, en route pour mon domicile, mon contact à l’ambassade d’Egypte m’a envoyé un mail me demandant formellement de ne pas diffuser l’émission", a indiqué de son côté Rachael Morehouse, productrice de l’émission. CBS, qui précise n’avoir jamais été confronté à une demande des questions avant l'interview, a résisté aux multiples pressions et maintenu la diffusion de l’émission.
Selon le correspondant de RFI au Caire, "ce qui pourrait déplaire aux autorités égyptiennes, ce sont les commentaires de la chaîne accompagnant l’interview". CBS rapporte en effet que pour le département d’Etat, "assassinats et torture sont pratiqués dans les prisons de Sissi aujourd’hui". Des accusations démenties avec virulence par les autorités égyptiennes, écrit son correspondant.
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