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La flotte de pêche chinoise, «nouveau pirate des mers» en Afrique de l'Ouest

La flotte industrielle chinoise pourrait-elle épuiser les fonds marins ouest-africains? C’est la crainte de l’ONG Greenpeace qui a multiplié les signaux d’alerte en 2017 en dénonçant «le pillage éhonté des eaux africaines», où les moyens de contrôle dérisoires laissent libre cours à tous les trafics.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min

Ils étaient à peine une dizaine de navires le long des côtes africaines en 1985. Aujourd’hui, ce sont plusieurs centaines de gros chalutiers chinois qui raclent les fonds marins ouest-africains en toute illégalité.

«La plupart des navires pratiquent le chalutage par le fond, une forme extrêmement destructrice de pêche qui rafle tout sur son passage et qui est en large partie responsable de la disparition des stocks de poissons dans les eaux chinoises», explique Greenpeace.

«Tout est démesuré et obscur»
Avec plus de 400 navires qui réalisent des prises annuelles d’un montant de 400 millions d’euros, la flotte de pêche en haute mer chinoise est la plus importante aujourd’hui dans les eaux ouest-africaines.

«La Chine a trouvé au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest des eaux très poissonneuses et très peu surveillées. Cela a donc favorisé la prolifération des navires de pêche étrangers dans cette région, où ils opèrent parfois de manière totalement illégale. La surpêche est donc rapidement devenue une réalité», explique Frédéric Le Manach, directeur scientifique de l’association Bloom.

Et de préciser que si la Chine n’est pas la seule responsable de ce désastre, ce qui fait peur avec ses flottes industrielles, «c’est l’échelle et la manière: tout est démesuré et obscur», explique-t-il.

40% des poissons sont pêchés illégalement
Selon Greenpeace, plus de 70% des bateaux de pêche chinois en Afrique se trouvent au large des côtes ouest-africaines. 40% des poissons y sont pêchés illégalement. Des pratiques attribuées en grande partie aux chalutiers chinois.

L'année 2018 a débuté sur un nouveau cas de flagrant délit. Le Guoji 809, un chalutier chinois, a été intercepté par les gardes-côtes libériens et amené au port de Monrovia début janvier. Avec à son bord, des poissons encore vivants, tout juste pêchés illégalement.

«La plupart des officiers à bord sont chinois. Les pêcheurs, eux, sont originaires de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest», explique un porte-parole de l’équipe d’inspection.

En mai 2017, sept bateaux chinois ont été interceptés au large des côtes de Sierra Leone, de Guinée Conakry et de Guinée Bissau. Avec l’aide de l’ONG Greenpeace dans le cadre d’une campagne de surveillance des côtes en Afrique de l’Ouest.


Des moyens de contrôle très dérisoires
Si les prédateurs prolifèrent dans ces fonds marins surexploités, c’est que les moyens de contrôle sont très dérisoires. Ils laissent libre cours à tous les trafics.

«Tous ces pays disposent de services de contrôle chargés de la surveillance. Ils ont quelques vedettes. Mais il faudrait beaucoup plus de moyens et une collaboration au niveau sous-régional pour une harmonisation des sanctions et des règlementations au niveau de la sous-région», explique Ibrahima Cissé, responsable de campagne Océan à Greenpeace Afrique, basée à Dakar.

Selon Greenpeace, la pêche illégale (pas seulement chinoise) coûterait chaque année à l’Afrique de l’Ouest plus de deux milliards de dollars. Un manque à gagner qui pénalise non seulement les économies de la région mais aussi la pêche artisanale et les millions de familles qui en vivent.

«Cela fait plus de 30 ans que j’exerce ce métier. Mais mon activité est en train de péricliter. Les étrangers et les bateaux étrangers ont pris le contrôle. Ils vendent au détail et en gros. C’est eux qui possèdent les bateaux de pêche et qui vendent aussi. Cela est en train de nous tuer», se plaint une marchande de poisson sierra léonaise dont les propos sont rapportés par le site Politico SL.

Sécurité alimentaire menacée pour 7 millions de personnes
L’inquiétude est de plus en plus grande au sein des communautés côtières ouest-africaines qui ne savent plus à quel saint se vouer.

«En Afrique de l’Ouest, le poisson représente une importante source de protéines et génère du revenu et des emplois pour quelque 7 millions de personnes. L’épuisement des stocks de poisson a des répercussions extrêmement préoccupantes sur la sécurité alimentaire et l’économie de pays qui comptent parmi les plus vulnérables du monde», confirme Ibrahima Cissé, responsable de la campagne Océans pour Greenpeace Afrique.

L’ONG explique que la situation actuelle en Afrique de l’Ouest est le résultat non seulement des décennies de surpêche et d’inaction, mais aussi de la non-concrétisation des engagements pris par les gouvernements des Etats ouest-africains et des Etats qui s’adonnent au pillage des eaux de la région.

«Les pays d’Afrique de l’Ouest continuent de signer des accords de pêche opaques avec des pays étrangers, sans mettre en place les moyens de surveiller leurs activités et sans prendre en considération les intérêts des pêcheurs locaux et toutes les populations qui en subissent les conséquences», déplore Greenpeace qui appelle les pays de la région à collaborer plus étroitement pour lutter contre la pêche illicite.

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