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Coup d'Etat en Guinée-Bissau

La junte qui s'est emparée du pouvoir le 12 avril à deux semaines du second tour de la présidentielle a interrompu le processus électoral en cours. Depuis son indépendance, en 1974, cette ex-colonie portugaise de quelque 1,5 million d'habitants, fragilisée par le narcotrafic, est confrontée à une instabilité politique et militaire dans laquelle l'armée joue un rôle prépondérant.
Article rédigé par Jean Serjanian
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Un soldat patrouille dans une rue de Bissau au lendemain du putsh militaire du 12 avril 2012 (AFP PHOTO / STR)

Parmi les personnalités arrêtées par les putschistes se trouvent Raimundo Pereira, président de la République par intérim depuis le 9 janvier 2012, ainsi que le Premier ministre Carlos Gomes Junior, candidat du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), favori du second tour de la présidentielle.

Le coup d'Etat est intervenu à quelques jours du second tour de la présidentielle qui devait opposer le 29 avril Carlos Gomes Junior (en tête au 1er tour avec 48,97% des voix) à l'ex-président Kumba Yala (23,36%), son principal opposant. Mais ce dernier, qui avait dénoncé des "fraudes massives" au 1er tour tenu le 18 mars, avait prévenu qu'il ne participerait pas à un second tour.

Carte de la Guinée-Bissau et des pays voisins (AFP)

Les putschistes, conduits par le vice-chef d'état-major, le général Mamadu Turé Kuruma, et les principaux chefs de l'armée, justifient le coup d'Etat en dénonçant «un accord militaire secret» conclu selon eux «par le Premier  ministre Carlos Gomes Junior et le président intérimaire Raimundo Pereira, le gouvernement de Guinée-bissau et celui d'Angola», en vue de «faire éliminer» l'armée par les soldats angolais présents dans le pays.

Une semaine après le putsch, la junte militaire et les partis de l’opposition se sont tombés d'accord sur une transition de deux ans, faisant fi des pressions de la communauté internationale, qui exigeait un retour rapide à l’ordre constitutionnel. L’accord, confirme la dissolution des institutions renversées par le coup d’Etat du 12 avril.

Alternances tumultueuses depuis près de trente ans
Le pays, ancienne colonie portugaise (depuis le XVIe siècle), devenue indépendante en 1974 après une lutte de onze ans conduite notamment par Amilcar Cabral, devient le royaume des convulsions. Le premier président, Luis Cabral, est déposé par l'armée six ans plus tard en 1980. Joao Bernardo Vieira dit «Nino» est désigné pour le remplacer avant d'être élu, en 1984, président du Conseil d'Etat.

Après l'adoption du multipartisme en 1991, Vieira et son mouvement, le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée -Bissau et du Cap-Vert (PAIGC), remportent en 1994 les premières élections pluralistes. En 1998-1999, une rébellion aboutit au renversement de Vieira. Une junte lui succède avant une présidentielle remportée en 2000 par Kumba Yala (Parti de la rénovation sociale, PRS), renversé à son tour par une junte en 2003.

Vieira, de retour d'exil, remporte en 2005 la présidentielle en candidat indépendant. En 2008, le PAIGC, dirigé par Carlos Gomes Junior, remporte les législatives. Le président Vieira est tué en mars 2009 par des militaires à Bissau. Malam Bacaï Sanha est élu président en juillet 2009 sous la bannière du PAIGC. Mais malade, il est hospitalisé six mois plus tard à Paris où il décède le 9 janvier 2012. Raimundo Pereira, président de l'Assemblée nationale, devient chef de l'Etat par intérim, jusqu'au coup d'Etat du 12 avril.

La présence militaire angolaise en Guinée-Bissau
La force militaire angolaise, dont la présence en Guinée-Bissau a motivé le coup d'Etat, est accusée depuis des mois de s'être mise au service du Premier ministre renversé. But, protéger ses intérêts personnels mais aussi défendre les ambitions «colonialistes» de Luanda.

Déployée en mars 2011 dans le cadre d'un accord technico-militaire sur la réforme de l'armée, la Mission militaire angolaise (Missang) a été «instrumentalisée par l'ancien Premier ministre Carlos Gomes Junior pour servir sa stratégie d'hégémonie politique» déclare le politologue Fafali Koudawo. «Après avoir été arrêté par les militaires en avril 2010, Gomes Junior avait perdu confiance en l'armée», explique-t-il.

Forte initialement d'environ 200 hommes, la Missang a vu progressivement ses effectifs augmenter pour atteindre quelque 700 hommes, selon M. Koudawo. En outre, dit-il, «l'Angola a acheminé à Bissau du matériel lourd composé de tanks et d'hélicoptères créant ainsi une supériorité logistique et militaire au profit des Angolais» face à une armée bissau-guinéenne sous-équipée.

Candidat défait à la présidentielle du 18 mars, l'opposant Henrique Rosa avait dénoncé avant le scrutin l'«ingérence» du grand frère lusophone, qu'il a accusé de «disposer en Guinée-Bissau d'effectifs militaires nettement supérieurs à ce qui était prévu et d'un armement qui n'est pas adapté à sa mission».

Le narcotrafic
Dans ce petit pays considéré comme la plaque tournante en Afrique de l'Ouest du trafic de cocaïne entre l'Amérique du Sud et l'Europe, les convulsions politico-militaires compliquent la lutte contre les narcotrafiquants.

«Les autorités bissau-guinéennes et l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) affirment que le trafic, loin d'avoir diminué, est surtout plus discret et mieux couvert, mieux monopolisé par certains segments de l'Etat», écrit International Crisis Group (ICG) dans un rapport consacré à la Guinée-Bissau publié en janvier.

Selon des journalistes locaux, diplomates, analystes et policiers, des responsables militaires et politiques bissau-guinéens sont liés à des trafiquants de drogue. Un des chefs de la Marine, le contre-amiral José Américo Bubo Na Tchuto, soupçonné d'être impliqué dans plusieurs coups de force avortés ou réussis, figure depuis 2010 sur la liste des "barons de la drogue" établie par les Etats-Unis.

«Pour les responsables militaires qui ont été mêlés aux crimes des dernières années, tentatives de coup d'Etat, meurtres et trafic de drogue», demeurer aux affaires est «crucial», note encore ICG, cela «leur apparaît comme la seule protection contre d'éventuelles sanctions».

Le manque de moyens, l'implication de dirigeants politiques et militaires dans le trafic, mais aussi son instabilité chronique, rendent ardue la lutte contre la drogue.

 

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