Législatives en Guinée-Bissau, pays rongé par la pauvreté et le narcotrafic
Les 1,8 million de Bissau-Guinéens votent le 10 mars 2019 pour élire leurs 102 députés. Le scrutin a pour but de sortir de plus de trois ans de crise entre le président José Mario Vaz et le parti majoritaire de cette ancienne colonie portugaise d'Afrique de l'Ouest particulièrement pauvre et instable.
La campagne de trois semaines, qui s'achevait le 8 mars 2019, a été observée avec inquiétude à l'étranger. Elle s'est déroulée dans un climat de méfiance, en particulier sur la question de la révision des listes électorales. Et ce sur fond de grèves (chroniques dans ce pays) des enseignants, mais aussi des journalistes ou de pêcheurs.
Pour la première fois, un quota d'au minimum 36% de femmes candidates a été fixé.
Disputes au sommet
Ce vote pèsera dans le rapport de forces entre le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC, actuellement 42 députés), le Madem-G15, constitué de 15 frondeurs du PAIGC, qu'ils ont privé de sa majorité, et le Parti du renouveau social (PRS, 41 députés), confrontés à 18 autres formations.
La crise a éclaté en août 2015 lorsque le président a limogé son Premier ministre Domingos Simoes Pereira, chef du PAIGC, auquel appartient également José Mario Vaz. Cette formation, ex-parti unique, domine la vie politique depuis l'indépendance en 1974.
L'ONU se dit "préoccupée"
Les tensions inquiètent d'autant plus à l'extérieur que l'élection de l'actuel chef de l'Etat avait marqué un retour progressif à l'ordre constitutionnel dans ce pays jusqu'alors en proie à une instabilité chronique. En 45 ans, on a assisté à quatre putschs réussis (le dernier en 2012), 16 tentatives de coups d'Etat et une valse des gouvernements. Une situation qui a favorisé l'implantation de narcotrafiquants bénéficiant de la protection de hauts responsables militaires.
Dans une résolution adoptée le 28 février, le Conseil de sécurité de l'ONU se déclare "préoccupé par les répercussions néfastes que la récente crise politique et institutionnelle a eues sur les progrès réalisés depuis le retour à l'ordre constitutionnel après les élections de 2014".
Après plus de deux ans de blocage des institutions, notamment du Parlement, un accord, conclu le 14 avril 2018 à Lomé sous l'égide de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), a finalement abouti à la désignation d'un Premier ministre de consensus, Aristide Gomes.
Celui-ci s'est vu confier pour tâche principale de conduire le pays aux législatives, initialement fixées au 18 novembre mais reportées au 10 mars en raison de problèmes politiques et techniques, notamment dans l'enregistrement des électeurs. Aux dires de plusieurs partis, dont le PRS, le processus a été émaillé d'irrégularités. En campagne à Bubaque, dans l'archipel des Bijagos (ouest), le président du PRS, Alberto Nambéia, a averti que son parti "n'acceptera pas les résultats" s'il les estime faussés, notamment par des incohérences dans les listes électorales.
Le poids de l'armée
Alberto Nambéia n'a pas précisé comment se manifesterait cet éventuel refus. Mais des observateurs soulignent la proximité de sa formation avec certains dirigeants de l'armée. Et ce alors que le PRS fait partie des 19 partis signataires en février d'un "Pacte de stabilité" par lequel elles s'engagent à recourir aux voies légales en cas de contestation.
Dans sa résolution, le Conseil de sécurité réaffirme la nécessité "que les forces de défense et de sécurité continuent de s'abstenir de toute ingérence dans la situation politique". Il dit se féliciter "de la retenue dont elles font preuve à cet égard et du calme manifesté par le peuple bissau-guinéen".
Dans ce régime parlementaire, le Premier ministre sera issu du parti victorieux, ce qui pourrait conduire en cas de succès du PAIGC à un nouveau face-à-face entre Domingos Simoes Pereira et José Mario Vaz. Une élection présidentielle doit également se tenir d'ici la fin du premier semestre.
"Rien ne dit que ces élections permettront de résoudre les problèmes qui minent le pays", prévenait dans un rapport en décembre le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. A ses yeux, "la solution passe peut-être par une révision de la Constitution de sorte que la répartition des tâches entre les deux figures (à la tête de l'Etat, NDLR) y soit mieux définie".
Si le processus électoral se déroule de manière satisfaisante du point de vue de l'ONU, celle-ci pourrait lever les sanctions internationales imposées à la suite du dernier coup d'Etat, en 2012.
Entre noix de cajou...
Petit pays (36 100 km²) constitué d'une partie continentale et de l'archipel Bijagos (88 îles dans l'océan Atlantique), la Guinée Bissau a une frontière avec le Sénégal et avec la Guinée. Sa population s'élevait à 1,86 million d'habitants en 2017 (Banque mondiale), avec une grande variété de groupes ethniques, de langues et de religions.
Sa principale exportation est la noix de cajou, dont il est le 3e producteur africain. Celle-ci est cultivée sur 12% du territoire et ses recettes fiscales représentaient en 2017 près de la moitié du budget. En 2017, la croissance du PIB s'est établie à 5,9%. Mais l'activité a ralenti en 2018 à environ 3,8% en raison d'une moindre production de noix de cajou provoquée par un climat défavorable et une baisse des prix, selon le Fonds monétaire internationale et la Banque mondiale.
La Guinée-Bissau figure parmi les pays les plus pauvres au monde, classée 177e sur 189 pays, selon l'indice de développement humain du Pnud (classement 2018). Près de 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté (avec moins de 2 dollars par jour) et plus d'un tiers dans l'extrême pauvreté (moins de 1 dollar par jour). La mauvaise qualité des services de santé demeurent l'un des plus grands problèmes du pays où l'espérance de vie moyenne n'atteint que 57,8 ans.
En septembre, le 44e anniversaire de l'indépendance n'a pas été célébré faute d'argent.
... et narcotrafiquants
Un télégramme diplomatique américain de 2009, révélé par Wikileaks, qualifiait la Guinée-Bissau de "premier narco-Etat émergent d'Afrique". Motif : le pays est considéré comme un important point de transit du trafic de cocaïne de l'Amérique du Sud vers l'Europe. L'instabilité et la pauvreté y ont longtemps facilité l'implantation de narcotrafiquants, sous la protection de hauts responsables de l'armée.
En 2013, l'Agence fédérale anti-drogue américaine (DEA) avait procédé à l'arrestation du chef de la Marine "Bubo" Na Tchuto, condamné par la suite par un tribunal américain à quatre ans de prison et rentré à Bissau en octobre 2016. Une affaire qui a révélé au grand jour l'implication de la hiérarchie militaire dans le narcotrafic.
L'ONU a néanmoins salué ces dernières années les progrès réalisés dans la lutte contre le narcotrafic depuis l'élection de José Mario Vaz. Dans un récent rapport, l'organisation internationale a regretté que depuis près d'un an, la volonté des autorités en la matière se soit "peu affermie".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.