La grande distribution mise sur l'Afrique subsaharienne
C'est l'une des dernières ouvertures de centres commerciaux en Afrique subsaharienne. Avec ses 27.700 m², le West Hills Mall devenait, en octobre 2014, le plus important centre commercial de la capitale ghanéenne, supplantant le fameux Accra Mall, point de chute des touristes ou de ses habitants, simples promeneurs ou vrais clients.
Dans les grandes villes africaines, les supermarchés et les centres commerciaux jaillissent de terre. «Depuis janvier 2014, indique une étude de Sagaci Research, cabinet spécialisé dans les études de marché en Afrique, publiée le 25 juin 2015, 31 nouveaux centres commerciaux ont ouvert leurs portes sur l’ensemble du continent» sur un total de «292 centres commerciaux actuellement recensés (hors Afrique du Sud)».
«Le nombre de centres commerciaux en Afrique de l’Ouest a augmenté de 19% ces 18 derniers mois et de 9% en moyenne dans les autres régions. L’Afrique du Nord détient toujours le plus grand nombre de centres commerciaux avec 112 centres.»
Nouveau territoire de conquête
Les investisseurs misent tous sur la classe moyenne. Le cabinet Euromonitor international estime ainsi que l’Afrique subsaharienne «est la dernière frontière du commerce de détail». L'entreprise de conseil AT Kearney prédit, quant à elle, que la région sera dans trente ans «la plus attractive» pour le secteur de la distribution dans son édition 2015 du Global Retail Development Index qui met en lumière les marchés à fort potentiel.
Aussi l’Américain Walmart, leader mondial de la grande distribution, s’est-il offert en 2011 son concurrent sud-africain Massmart pour ne pas rater cette opportunité. Le numéro 4, le français Carrefour, est pour sa part au cœur de deux projets de centres commerciaux au Kenya et en Côte d’Ivoire qui verront le jour avant la fin de l'année.
Au Kenya, le projet est porté par son partenaire émirati, Majid Al Futtaim. Bien implanté, il dispose d’un accord exclusif de franchise avec Carrefour dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient, rapporte l’agence Ecofin. La deuxième ouverture, prévue pour le dernier trimestre de l’année, se fera par le biais de l'entreprise commune de Carrefour avec CFAO, spécialiste de la distribution en Afrique, CFAO Retail.
Abidjan sera la première étape d’une stratégie qui vise huit pays d’Afrique de l’Ouest et du centre (Cameroun, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Ghana, Nigeria, République démocratique du Congo et Sénégal). Des pays qui sont situés dans une région, selon le patron de CFAO Retail, Xavier Desjobert, «où il y a le plus grand écart entre l’offre et la demande», comparé à l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Est et la zone australe du continent. «Il faut remplir le gap, poursuit-il, entre la demande des gens et l’inexistence de magasins» afin de satisfaire les besoins de consommation d'une tranche de population dans des pays où l'extrême richesse côtoie la plus grande précarité.
Un pouvoir d'achat hétérogène
«L’apparition d’une classe moyenne alimente la croissance africaine et créée de nouvelles opportunités pour CFAO», peut-on lire sur une brochure du groupe. Le directeur général de CFAO Retail précise sa stratégie : cette classe moyenne «compte sur moi pour ouvrir des magasins (parce qu’elle) a envie de sécurité alimentaire, de modernité». modernité». Le marché de Carrefour représenterait «en moyenne 10% de la population (africaine), soit environ «50 millions de personnes».
Profils singuliers, la Côte d'Ivoire et le Kenya connaissent le même niveau de développement en ce qui concerne l’«organised retail» (le terme renvoie à une chaîne qui comprend au moins quatre magasins ou à des enseignes dont la surface fait plus de 1500-2000 m²), analyse Julien Garcier, fondateur et directeur de Sagaci Research. «Ailleurs, il représente moins de 5% du marché de la distribution.»
Dans les magasins Carrefour, le client attendu voudra se faire «un petit plaisir» en s’achetant «des yaourts, des biscuits et du chocolat (...) entre 5 -15 euros», ou, s'il dispose d’un grand frigo, dépensera jusqu’à «70 euros» et plus. Le panier moyen au Kenya aurait augmenté de 67% en cinq ans pour atteindre 20 dollars, selon les spécialistes cités par Reuters en février 2015, faisant de ce pays celui qui connaît la plus grosse croissance dans le secteur de la grande distribution en Afrique.
«Le panier moyen est extrêmement variable» mais CFAO Retail reste confiant. «Dans les pays émergents ou émergés, les gens vont plus souvent faire leurs courses que dans les pays matures», affirme Xavier Desjobert. Résultat : «un panier moyen faible» mais «un nombre de passages en caisse élevé».
Des habitudes de consommation en mutation
Depuis le début des années 90, la grande distribution s’est fortement développée en Afrique du Sud et dans les pays voisins comme «la Namibie, le Bostwana, le Swaziland où l’on retrouve des chaînes sud-africaines», indique Julien Garcier. En Afrique du Nord, l’importance des classes moyennes a favorisé naturellement le développement du secteur.
Dans cette cartographie africaine de la grande-distribution, la première économie du continent depuis 2014 fait figure d'ovni : «Le Nigeria est l'un des pays où la distribution moderne est la moins développée». En 2012, indique le African Retail development Index 2014, le pays ne comptait que deux centres commerciaux contre plus de 200 pour l'Afrique du Sud, deuxième puissance économique africaine.
D'où les ambitions d'un géant africain de la grande-distribution : le sud-africain Shoprite. S’exporter au-delà de ses voisins, en particulier au Nigeria, est devenue aujourd'hui une question de survie. «Si j’avais le choix entre ouvrir un magasin en Afrique du Sud ou au Nigeria, je choisirai le Nigeria», affirmait Whithey Basson, le patron du groupe, en 2012. Shoprite est implanté depuis 2005 sur le territoire nigérian. L’insécurité, qu'y fait régner le groupe terroriste Boko Haram, est mauvaise pour les affaires. L’Angola et le Kenya constituent aujourd'hui une alternative pour le distributeur.
Faire avec les marchés traditionnels et les petits producteurs
Si la grande distribution a le vent en poupe en Afrique sub-saharienne, il n'en demeure pas moins que leurs clients continuent de fréquenter en parallèle les circuits traditionnels au point de la mettre en minorité. Les marchés traditionnels vendent plus de 85% des aliments consommés dans la zone, selon une étude de l'International Livestock Research Institute (ILRI) parue en janvier 2015 et citée par l'agence Reuters.
Les chercheurs estiment qu’ils offrent parfois des produits plus frais que la grande distribution. Cette dernière n’arrive pas toujours à optimiser son approvisionnement. Selon l’ILRI, l’urbanisation et l’émergence d’une classe moyenne en Afrique ne signent en rien la fin des marchés informels qui devraient, à l’horizon 2040, répondre à 50-70% des besoins alimentaires des populations.
L’institut de recherche préconise ainsi de former les petits commerçants aux normes d'hygiène. Les décideurs politiques auraient tort, selon l’ILRI, de favoriser le développement de la grande distribution au détriment des circuits informels. La collaboration est une piste privilégiée depuis des années par les experts. «Si nous n’aidons pas les petits producteurs à se faire une place sur ce nouveau marché (où les grandes surfaces sont de plus en plus présentes), ils resteront au bord de la route et cela pourrait être catastrophique», dixit des experts de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dont RFI rapportait les propos en 2007.
«Quand vous êtes un opérateur de la grande distribution, il vous faut des produits (...) Si votre business est uniquement porté sur l’importation, ça ne marche pas parce qu’ils sont trops chers, qu’ils n’arrivent pas au bon moment… Pour que que vous ayez des prix attractifs, de bons produits, il faut (intégrer une production locale)», explique Julien Garcier. Xavier Desjobert n'en pense pas moins. «Mon intérêt est d'acheter le plus possible localement», souligne-t-il. «Des engagements ont été pris (…) pour aider les producteurs ivoiriens à rentrer dans les normes de qualité des produits Carrefour. Ainsi, on participe vraiment à la modernisation de l’industrie du pays.»
Selon Sagaci Research, «d’ici 2018, 223 nouveaux centres commerciaux sont attendus sur l’ensemble du continent, hors Afrique du Sud».
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