Liberia : le Sénat lance le chantier de l'indemnisation des victimes de la guerre civile
18 ans après la fin du conflit, aucune victime n'a été indemnisée par l'Etat qui se montre également incapable de poursuivre les responsables de crimes de guerre.
Au Liberia, les armes se sont tues en août 2003, date officielle de la fin d’une guerre civile qui aura duré 14 ans. Elle aura fait 250 000 morts dans un pays de 3,3 millions d’habitants. Pourtant à ce jour, l’Etat libérien n’a poursuivi personne pour crime de guerre, ni indemnisé la moindre victime. C’est pourtant ce que recommandait, dès 2009, la Commission Vérité et Justice.
Cette fois, sous l’impulsion du président George Weah qui réclame une feuille de route, le Sénat a voté une série de recommandations pour tourner enfin la page de cette guerre. Cela commence d’abord par la création d’un fonds d’indemnisation des victimes. Mais si la volonté est louable, les zones de flou demeurent nombreuses.
Qui est victime ?
Comme l’explique le site internet The Africa Report, "le conflit du Liberia est un conflit qui a englouti toute la nation, avec des effets sur l'ensemble de la population, et donc presque tous les Libériens, au Liberia pendant la guerre civile, peuvent revendiquer le statut de victime." De la même manière la notion de "victimes les plus touchées" est aussi très subjective. Le viol est-t-il plus important que la torture ? Voir massacrer des proches est-il secondaire quand on y a réchappé ? Que dire enfin des enfants soldats ? A la fois victimes et bourreaux. Le gouvernement devra donc établir des critères précis avant d’envisager d’octroyer des réparations.
Quelle somme prévoir ?
Sur ce point, le Sénat conseille au gouvernement de créer un Fonds de réparations crédité dans un premier temps de 2,5 millions de dollars et abondé par des dons de particuliers ou d’entreprises qu’il faudra dénicher tant au niveau national qu’à l’international. Le rapport de la commission Vérité et Justice estimait les besoins à 500 millions de dollars. En Sierra Leone voisine, le programme d’indemnisation a été interrompu faute d’argent. Moins de 50 000 personnes ont bénéficié d’aides qui souvent ne dépassaient pas les 100 dollars.
La cour de justice
Pas de réparation possible sans condamnation. Or, à ce jour, aucun des chefs de guerre impliqués dans le conflit n’a été jugé au Liberia. Les rares condamnations ont été prononcées par des tribunaux étrangers. Parfois même, et c’est le cas de l’ancien président Charles Taylor, pour leur implication dans l’extension du conflit à la Sierra Leone voisine.
A l’inverse, Gibril Massaquoi, un Sierra-Léonais, a été jugé en Finlande pour des crimes de guerre commis au Liberia. Il avait obtenu l’immunité pour avoir apporté des preuves pour faire condamner Charles Taylor. Mais cette immunité ne concernait pas ses actes au Liberia.
Jugés à l'étranger et jamais au Liberia
On le voit, les procédures sont complexes et les poursuites ne sont possibles que selon la compétence des tribunaux. Ainsi, le chef de guerre libérien Alieu Kosiah, qui durant vingt ans vivait réfugié en Suisse, n’a été poursuivi que grâce à la compétence récemment acquise en matière de crimes de guerre, du Tribunal pénal fédéral suisse.
Les débats sont donc lancés au Liberia pour qu’un tribunal spécial pour crimes de guerre soit créé. "Il est important d'établir un tribunal pour crimes de guerre non seulement pour rendre justice pour les atrocités commises en temps de guerre, mais aussi pour garantir la justice pour la corruption d'après-guerre et pour lutter contre l'impunité", estime Aaron Weah un spécialiste des questions de Droit.
Un chef de guerre au Sénat
C’était déjà une recommandation de la Commission vérité et Réconciliation (créée en 2006). Le président Weah, qui lors de la campagne électorale soutenait cette création, laisse aujourd’hui au Parlement le soin d’en décider. L'ancien footballeur est clairement entravé par ses accords électoraux passés avec d’anciens chefs de guerre comme Prince Johnson.
Ce dernier a récemment été nommé à la tête de la Commission de la Défense du sénat. Une nomination qui "sème le doute quant au sérieux du Sénat et à sa capacité à gérer les questions de défense et de sécurité", a réagi l'ambassade des Etats-Unis au Liberia.
Dans ce contexte, Weah est pourtant un des rares hommes politiques du pays à ne pas avoir été impliqué dans le conflit. Il peut mener le processus à son terme, à condition de se débarrasser d'alliés gênants.
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