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Madagascar: l'énigme d'une crise politique chronique

L'instabilité politique poursuit Madagascar où l'Assemblée nationale vient de voter la destitution du président Rajaonarimanpianina. Son éventuel départ doit être examiné par la Haute Cour constitutionnelle. Madagascar: autopsie d'un échec politique et économique sans fin. Mireille Razafindrakoto et François Roubaud chercheurs à l'IRD/DIAL ont répondu aux questions de Géopolis.
Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Mars 2009 les partisans du président marc Ravalomanana descendent dans la rue après le coup de force du maire de la capitale Andry Rajoelina. (AFP/ Grégoire Pourtier)
La Haute Cour Constitutionnelle doit examiner la destitution du président malgache décidée fin mai par une majorité de l'Assemblée nationale. (AFP/ Rijasolo)

L’élection du président Rajaonarimanpianina, devait relancer un pays épuisé par cinq années de crise politique.  Peut-on esquisser un premier bilan de son action à la tête du pays?
 
Après le renversement de Marc Ravalomanana au début de l’année 2009 et une période dite de transition qui a duré près de 5 années, les élections présidentielles fin 2013 étaient censées marquer le terme de la crise socio-politique à Madagascar. Cependant, rien n’a vraiment changé, le système s'est même encore fragilisé. Tous les facteurs à l’origine de la crise sont toujours à l’œuvre. Le président Rajaonarimampianina a été élu avec un quart des voix des électeurs potentiels et sans représentant de son parti à l’Assemblée nationale. Il a consacré une grande partie de son énergie à essayer de renforcer son assise en jouant sur des alliances mais sans y réussir.

Comme le montre l’histoire politique malgache, les coalitions se sont toujours avérées passagères et mouvantes puisqu’elles n’engagent que des individualités qui défendent des intérêts personnels et non de véritables partis politiques ou organisations dotés de projets et soucieux de leur crédibilité.

Pendant ce temps, la population reste toujours la grande oubliée. La nouvelle équipe n’a pas fait preuve d’une volonté de remédier à la déliquescence des institutions, de contrôler la corruption, les détournements ou les trafics à grande échelle.  Aucun signe de reprise économique n'a pu être décelé. Les investisseurs privés, tous comme les bailleurs de fonds, sont restés dans l’expectative.        
 
Le président Hery Rajaonarimanpianina menacé de destitution après le vote de l'Assemblée nationale malgache. (AFP/Tantely Andria Malala)

 Dans quel état a-t-il trouvé le pays fin 2013, après cinq années de crises politiques et économiques ?
 
Un énorme défi attendait le président élu à la fin de l’année 2013. Pour donner quelques chiffres à titre de repère, le pouvoir d'achat des Malgaches a diminué de 40% entre 1960 et 2014. Si on peut estimer l’incidence de la pauvreté à moins de 50 % de la population à la fin des années 1970, elle est de 76,5 % en 2010. Les secteurs sociaux, la santé et surtout l’éducation, ont particulièrement souffert des restrictions budgétaires, dues notamment au gel des financements des bailleurs de fonds durant la crise de la transition. Marc Ravalomanana a été évincé en raison d’une gestion autocratique mêlant ses intérêts privés avec les affaires de l’Etat. Mais la période de transition qui a suivi son éviction n’a pas mis fin aux dérives, bien au contraire.

Pour remédier aux difficultés budgétaires, les autorités se sont lancées dans des opérations telles que la signature de contrats de prospection minière avec des compagnies étrangères ou se sont assurées le soutien financier d’opérateurs économiques privés. L’absence de contrôle véritable sur ces opérations, combiné à un climat d’incertitude politique a favorisé les logiques de court terme, le développement de trafics à grande échelle, l’accroissement de la corruption et des détournements massifs au sein de l’administration.
 
 L' élection d'Hery Rajaonarimanpianina avait été saluée comme une chance pour stabiliser le pays. Et le voilà abandonné par son propre camp à l’Assemblée, il s’est depuis allié avec le parti de son ancien adversaire Ravalomanana. Quelle est le problème de fond ? 
 
son élection n’a en rien résolu les problèmes structurels qui minent le pays depuis l’indépendance. Le clivage abyssal entre les élites et la population permet aux dirigeants politiques d’agir sans accorder d’importance à leurs administrés. On assiste ainsi à un jeu entre les acteurs politiques, membres de l’élite, pour l’accès (ou le maintien) au pouvoir, une source facile et importante de rentes dans un pays comme Madagascar.
Des alliances se nouent, mais elles ne sont pas stables : les arrangements sont temporaires, les alliances sont de circonstance et flexibles. Les retournements ou changements de camps sont pratique courante, voire une règle du jeu acceptée et partagée, et n’entraînent aucune perte de crédibilité.

 les évictions politiques, en général passagères ou partielles, ne changent pas la configuration globale : la minorité, constituée par les membres d’une oligarchie politico-économique qui se succèdent au pouvoir, arrive toujours à s’en sortir. Les seuls vrais perdants, quelles que soient les périodes, sont invariablement la grande masse de la population.
 
Les dures conditions de travail d'un paysan malgache dans une rizière proche de la capitale. (Reuters/Thomas Mukoya)

 Vous parlez de l’énigme et du paradoxe malgache. Pourquoi ce pays n’arrive-t’-il  pas à sortir du marasme ?
 
Une véritable question : pourquoi un pays doté a priori de "circonstances" favorables (frontières naturelles, richesse en terres arables et en ressources minières, avec une unicité culturelle et linguistique, etc.) figure aujourd’hui parmi les pays les plus pauvres du monde ? La trajectoire de l’économie malgache constitue véritablement une énigme : une tendance récessive perdure depuis l'indépendance. Le pouvoir d'achat de sa population a été amputé d'un tiers de sa valeur entre 1950 et 2010, alors que celui de l'Afrique sub-saharienne, dont les performances sont pourtant loin d’être exceptionnelles, a presque triplé.

Cette énigme se double d'un paradoxe car à de nombreuses reprises, le pays a semblé enclencher un cycle de croissance. Néanmoins, à chaque fois que Madagascar a connu un début de décollage, celui-ci s’est soldé au bout de quelques années par une crise politique majeure qui a remis en question la dynamique positive amorcée. Il serait trop long de développer ici la nature et l'origine de ces crises récurrentes, mais on peut d’ores et déjà pointer du doigt l'imbrication entre le politique et l'économique, un constat évident et pourtant jamais pris en compte par la communauté internationale jusqu'à très récemment. Invariablement, pour chaque crise, les événements résultent à la fois de jeux de coalition entre groupes d'acteurs, et notamment entre les élites, et de la perte d’assise populaire du régime.
 
Repas à la cantine : enfants malgaches nourris par les Nations-Unies (PAM) pour encourager leur scolarisations.  (Reuters/Thomas Mukoya)

Dans vos travaux vous pointez des entraves structurelles au développement ?
 
Nos travaux de recherches, qui portent sur la période qui va de l’indépendance à aujourd'hui, mettent en avant des entraves structurelles qui peuvent expliquer l’impasse dans lequel se trouve actuellement le pays. 
La société malgache est très fragmentée avec un fort cloisonnement entre groupes statutaires (castes). Un système dominé d’un côté par de  grandes familles s’est pérennisé au cours de l’histoire. Aujourd’hui encore ce principe hiérarchique inégalitaire reste profondément ancré. En dépit de la démocratisation amorcée dans les années 1980, le pouvoir est resté aux mains de cette oligarchie politico-économique.

De l’autre côté, la population de l’île, à majorité rurale, est très dispersée sur le territoire. La faible densité et l’isolement des populations en zone rurale se traduisent par l’atrophie des corps dits  intermédiaires (syndicats, associations)... chaînon vertical manquant entre les citoyens et les élites,  (fondamentalement urbaines). Ni les autorités locales, ni les partis politiques, ni les syndicats et autres organisations de la société civile, n’exercent de véritable contre-pouvoir. En l’absence de ces relais entre la population et les dirigeants, ces derniers ne sont ni contraints ni incités à prendre en compte les intérêts de la majorité, ni à avoir une vision à moyen ou long terme pour le pays.
 
On assiste aujourd’hui une parfaite illustration du cercle vicieux dans lequel Madagascar se trouve enfermé. A chaque fois, sentant leur fragilité, chaque régime, immanquablement, cherche à renforcer son pouvoir en le concentrant, en le personnalisant, et en s'assurant le soutien d'un groupe d'acteurs membre de l’oligarchie politico-économique (des représentants des Eglises, des dirigeants d’entreprises, etc.). Enfermé dans une vision de court terme, aucun n'a cherché l'appui de la grande masse populaire en répondant à leurs besoins. Agissant ainsi, les présidents successifs n’ont jamais réussi à avoir une assise stable, puisque tout acteur aujourd’hui allié peut se détourner à la moindre occasion et s’appuyer sur le mécontentement de la population pour remettre en question leur légitimité.

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