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Mali : pourquoi le Nord s'embrase à nouveau

Depuis le 17 mai, de violents combats entre les rebelles touareg et l'armée malienne ont fait au moins 56 morts à Kidal.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Des soldats maliens patrouillent à l'extérieur de la ville de Kidal (Mali), le 29 juillet 2013. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Des dizaines de morts, deux préfets assassinés, deux villes hors de contrôle... La guerre a fait brusquement son retour dans le nord du Mali. Mercredi 21 mai, l'armée malienne a tenté de reprendre le gouvernorat de Kidal, fief des rebelles touareg, au Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA), le principal mouvement indépendantiste touareg. Bilan : une vingtaine de soldats tués et une cuisante défaite pour Bamako. 

Au lendemain de la signature d'un cessez-le-feu, vendredi, une question subsiste : pourquoi un tel déchaînement de violences, un an après l'intervention militaire française dans le pays ? Eléments de réponse.

"La situation de Kidal n'a jamais été résolue"

Tout commence avec la visite du Premier ministre, Moussa Mara, samedi 17 mai à Kidal. Les rebelles du MNLA, qui voient dans cette venue une provocation, passent à l'attaque, repoussent les forces maliennes, et prennent le contrôle de la ville. Quelques jours plus tard, Ménaka, 660 km plus au sud, tombe."Les Maliens ont voulu reconquérir symboliquement et militairement Kidal alors qu'ils n’en ont pas les moyens, et cela n'a pas marché", explique à francetv info Michel Galy, chercheur au Centre d'études sur les conflits et auteur de La Guerre au Mali.

Contrairement à Tombouctou et Gao, les deux autres villes importantes du Nord-Mali, Kidal n'est en effet jamais vraiment revenue sous le contrôle de l'armée malienne. Devant l'offensive française, les groupes jihadistes ont bien quitté les lieux, mais ils ont été rapidement remplacés par les séparatistes laïcs du MNLA. Ces derniers réclament au minimum une plus grande autonomie du nord du pays, dont Bamako ne veut pas entendre parler. "A partir de ce moment-là, la situation de Kidal n'a jamais été résolue", observe depuis Dakar (Sénégal) Gilles Yabi, du think tank International Crisis Group (ICG), contacté par francetv info.

Le MNLA a certes accepté de céder le contrôle de la ville en juillet, dans le cadre des accords de Ouagadougou (Burkina Faso). Mais le processus de paix qu'ils prévoyaient s'est perdu dans les sables du Sahel. "Cela a été complètement imposé de l'extérieur par les Français. Les deux parties ont accepté du bout des lèvres", rappelle Michel Galy. Les pourparlers qui devaient se tenir dans les soixante jours après la présidentielle du 28 juillet n'ont jamais démarré.

La France ne veut pas intervenir

Pour Gilles Yabi, les autorités maliennes sont responsables de cette impasse. "Il y a eu, de la part de Bamako, la tentation de laisser la situation se déliter, et de compter sur la France pour faire le travail", analyse-t-il. Jeudi, des manifestants ont d'ailleurs défilé à Bamako pour réclamer une intervention de la France contre le MNLA, raconte RFI. Sauf que Paris, qui s'était engagé pour stopper l'avancée des jihadistes "terroristes", refuse jusqu'à présent de prendre position pour son allié malien. "La force Serval n'a pas vocation à intervenir dans les questions de sécurité intérieure", a déclaré le colonel Gilles Jaron, porte-parole de l'armée française.

La France se retrouve en effet dans une position délicate. "Il ne faut pas oublier que les Touareg ont servi d'auxiliaires à l'armée française, notamment dans l'Adrar des Ifoghas [le bastion d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique]. Ce serait difficile de se retourner contre eux", rappelle Michel Galy. L'actuel ambassadeur de France à Bamako, Gilles Huberson, est un autre exemple des liens avec les Touareg : il a été "l'émissaire secret" du Quai d'Orsay auprès du MNLA, comme l'expliquait un membre du mouvement au Monde.

"Un foyer de tensions et de pénétration jihadiste"

Cette non-intervention ne risque-t-elle pas de favoriser le retour des groupes jihadistes à Kidal ? En janvier 2012, ce sont les conquêtes de Kidal, Gao puis Tombouctou par le MNLA qui avaient déclenché la crise. Alliés dans un premier temps aux rebelles touareg, les jihadistes d'Ansar Dine, du Mujao et d'Aqmi avaient ensuite supplanté leur allié pour prendre le contrôle de la zone. "La présence militaire française ne devrait pas permettre de relancer la guerre totale de 2012", estime Gilles Yabi. 

En revanche, le pourrissement de la situation peut profiter à "ces groupes qui ne se sont pas volatilisés" avec l'intervention française de 2013. "Tant que la situation à Kidal ne sera pas clarifiée, nous risquons d'avoir un foyer de tensions et de pénétration jihadiste", développe Gilles Yabi. Une pénétration d'autant plus probable qu'"à l'intérieur du mouvement touareg, vous avez des scissions et des mouvements en permanence", abonde Michel Galy.

Le redéploiement de Serval repoussé

A Kidal, le MNLA combat aux côtés du Haut Conseil pour l'unité de l'Azawad, "une faction d'Ansar Dine, groupe considéré comme jihadiste", observe Gilles Yabi. Un témoin des affrontements du 17 mai dans la ville a raconté à l'AFP avoir vu "des jihadistes", dont certains "aux pantalons coupés court, criaient "Allah akbar (Dieu est grand) ! Allah akbar !".

Consciente du problème, la France, qui réclame un cessez-le feu et l'ouverture de négociations, a reporté le redéploiement de son dispositif militaire au Sahel. Il devrait être engagé "d'ici un mois ou deux si les choses évoluent bien". Rien n'est moins sûr.

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