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Vidéo Militaire français tué au Mali : "Partir, c'est offrir une magnifique victoire à la propagande jihadiste, rester a un coût"

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Article rédigé par franceinfo
Radio France

Le journaliste, enseignant à Sciences Po, Vincent Hugeux, livre son analyse de la situation après la mort au combat d'un 53e militaire français au Sahel depuis 2013.

Vincent Hugeux, journaliste, enseignant à Sciences Po, auteur de "Tyrans d’Afrique", aux éditions Perrin, a estimé lundi 24 janvier sur franceinfo que la France avait "perdu la main" au Sahel alors qu’un soldat français a été tué au Mali samedi lors d'une attaque au mortier contre le camp militaire de Gao. Il s'agit du 53e militaire français tué au combat au Sahel depuis 2013. La France est "dans une procédure réactive et non pas proactive". Selon lui, elle est face à un "dilemme". Partir, "c’est offrir une magnifique victoire à la propagande jihadiste", rester, "cela a un coût", humain et financier.

franceinfo : Existe-t-il une autre piste que jihadiste ?

Vincent Hugeux : Non. C’est très clairement un mode opératoire connu. Il y a eu d'ailleurs également le lendemain, sur une autre base militaire, un camp de la Minusma, la mission des Nations unies au Mali, une attaque d’obus de mortier. Donc, tout cela n'a rien d'insolite, ni d'inhabituel. Il est très probable, compte tenu de ce que l'on sait des zones d'évolution des différentes matrices jihadistes au Sahel, que cette attaque soit imputable à ce qu'on appelle le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans affiliés à la nébuleuse Al-Qaïda.

C’est la première fois qu’on attaque une base militaire française au Mali ?

Non. Il y a eu des attaques de différents types. On connaît les engins explosifs improvisés au passage des convois. Les attaques à l'arme lourde, type mortier, n'ont rien d'inédites. Cela prouve la capacité de nuisance et le degré d'organisation des cellules combattantes jihadistes. Et puis, le fait qu’on s'attaque à Gao est évidemment hautement significatif. C’est une immense base qui est accolée également à un camp de la mission onusienne Minusma. Et par ailleurs, c'est censé être le centre névralgique, demain, du nouveau dispositif tel qu'il doit être réaménagé avec comme priorité ce qu'on appelle la zone des trois frontières, aux confins du Mali, Niger, Burkina Faso avec le soutien de ce qu'on appelle l'opération Takuba, donc une alliance des forces spéciales européennes. Il est assez frappant de voir que les deux dernières attaques au mortier dans les 48 heures écoulées ont visé Ménaka, qui est le point actuel, focal de cette fameuse force à Takuba et Gao, qui devrait l'être demain, dans un contexte politique que l'on sait extrêmement turbulent.

Cette attaque tombe mal à quelque mois de la présidentielle ?

On appelle cela un dilemme dans la tragédie classique, c'est-à-dire une alternative dont aucun des termes n’est satisfaisant. Rester ou partir ? Partir, c'est offrir une magnifique victoire à la propagande jihadiste. 'Nous avons fait reculer la puissance française, coloniale, etc.' Et puis rester, ça a un coût. Le scénario idéal, c'était un désengagement graduel de la fameuse opération Barkhane avec une réduction des effectifs. Il y a eu la fermeture de trois bases, les plus septentrionales du Mali dans les mois écoulés. Là, la France a perdu la main, c’est-à-dire qu'on est dans une procédure réactive et non pas proactive. Vous êtes coincé en plus entre deux adversités. L’adversité opérationnelle militaire qui est connue et dont on a vu encore la vigueur dans les deux jours écoulés. Puis, une adversité politique. Les relations avec Bamako sont exécrables. Donc, il arrive un moment où le coût du maintien d’un dispositif de cette nature, à la fois en termes humains, en termes financiers, en termes symboliques, peut être jugé prohibitif. 

"Et puis, évidemment, les périodes électorales sont propices à la démagogie et on voit encore là, que pas mal de leaders politiques, y compris des candidats à la magistrature suprême, naviguent entre la démagogie et la méconnaissance des réalités du terrain."

Vincent Hugeux, journaliste, enseignant à Sciences Po

à franceinfo

Ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle on peut organiser un départ bête et brutal, comme cela, en 48 heures, ne connaissent rien de ce qu’est le démontage d'une opération d'une telle ampleur et d'une telle durée. Et puis, n'oublions pas la charge symbolique écrasante qu'aurait ce qui apparaîtrait comme une reddition devant le fléau jihadiste qui ne menace pas seulement le Mali, mais également le Burkina Faso, lequel, pays voisin, est lui aussi fragilisé avec des mutineries qui tendent à montrer qu'il y a une forme de contagion de la putschiste aiguë qui est en train de gagner, notamment l'Afrique de l'Ouest.

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