"Le Bleu du caftan" : Maryam Touzani plonge dans les arcanes d'un amour libérateur
Le dernier film de Maryam Touzani, présenté à Cannes, est en compétition au prochain Festival du film francophone d'Angoulême. Entretien avec la cinéaste marocaine.
Halim (Saleh Bakri) et Mina (Lubna Azabal) possèdent un magasin traditionnel de caftans dans la médina de Salé, au Maroc. Mina protège jalousement le talent de son compagnon, un maalem (maître tailleur de caftan), dont le savoir-faire tend aujourd'hui à disparaître. Avec la maladie qui la ronge, c'est aussi la liberté de vivre comme il le souhaite de son époux qu'elle entend assurer. L'arrivée d'un jeune apprenti, Youssef (Ayoub Missioui), s'avère être un puissant catalyseur. Le couple vit en effet avec un secret : celui de l'homosexualité d'Halim.
Pour son deuxième long métrage, la réalisatrice marocaine Maryam Touzani s'attaque à un sujet tabou dans son pays. Comme dans son précédent film, Adam, elle choisit le huis clos, celui d'un ménage à trois cette fois-ci, pour traiter les tourments qu'induisent une sexualité refoulée, aussi bien pour la personne concernée que son entourage. Ses personnages sont quasi mutiques mais leurs yeux, sur lesquels elle s'attarde en filmant très souvent de près leurs visages, s'avèrent très bavards, notamment ceux d'Halim. Ses yeux bleus gris sont le reflet d'une âme tourmentée. Guidée par la mise en scène de Touzani, toujours épurée, le spectateur rentre progressivement dans l'intimité d'un trio dont les motivations se résument à un sentiment : l'amour.
Le Bleu du caftan a été projeté dans la section Un Certain Regard lors de la dernière édition du Festival de Cannes durant lequel Franceinfo Afrique a rencontré Maryam Touzani. Son deuxième film est en lice pour le Valois de diamant du Festival du film francophone d'Angoulême qui se tient du 23 au 28 août et le Rwanda est le pays invité de cette 15e édition.
Franceinfo Afrique : votre dernier long métrage est un film courageux sur un sujet qui reste très sensible au Maroc et dans le monde arabe et musulman. Pourquoi avez-vous choisi d'évoquer cette thématique de l'homosexualité refoulée ?
Maryam Touzani : je ne voulais pas évoquer ce sujet en particulier mais plutôt des personnages qui m’émeuvent. Celui d'Halim est inspiré par beaucoup d’hommes que j’ai rencontrés dans ma vie et des couples que j’ai croisés qui vivent avec ce type de non-dits. Je pense que cela doit être très dur de se lever chaque matin et de prétendre être quelqu’un d’autre à cause de la pression sociale. J’ai rencontré un homme dans la médina sur mon dernier long métrage. Je n’ai jamais évoqué sa vie intime avec lui, mais j’avais l’impression qu’il taisait quelque chose. C’était peut-être mon imagination mais tout cela a ramené ces vieux souvenirs. Le personnage d'Halim que j’ai commencé à écrire, c’était cet homme qui est devenu un maalem, qui cachait son homosexualité et qui vivait livré à lui-même, dans une sorte d’obscurité.
Vous vous êtes appesantie sur les visages de vos personnages et les yeux bleus gris d’Halim qui disent tout. Avez-vous abordé cela avec Saleh Bakri qui l'incarne ?
Pour moi, il est très important de pouvoir dire les choses sans mot, de réduire les dialogues à leur minimum et j'aime faire passer les émotions à travers les regards. Avec Halim, c’est particulièrement intéressant parce que le bleu est une couleur importante dans ce film. Je ne savais d’ailleurs pas pourquoi mon caftan était bleu parce que celui de ma mère, qui m’a inspiré, est noir. C’est peut-être parce que le bleu est un symbole qui renvoie à des espaces infinis comme la mer et le ciel ou encore qui rime avec liberté. Du moins, pour moi, quand je tente de rationaliser un choix qui ne l’est pas en réalité. J’ai passé des mois à rechercher ce bleu particulier, ce bleu pétrole qui existe dans différentes nuances. Mais j’en avais une en tête et c’est devenu une obsession. Mon sac était plein de morceaux de tissus bleus. Je l’ai finalement trouvé, ce bleu, au marché Saint-Pierre à Paris. Cependant, je n’avais pas encore trouvé Halim. Et je n’espérais pas qu’il ait les yeux bleus. Je crois aux symboles et aux petits signes que la vie vous envoie. C’est venu naturellement et ça avait du sens. Saleh Bakri avait tout ce que j’avais imaginé pour le personnage d’Halim.
Lubna Azabal incarne Mina, une femme qui a choisi de vivre avec l'homme qu'elle aime tout en étant consciente de son identité sexuelle. Quelle est la place de ce personnage et de son choix dans cette histoire ?
C’est une femme qui est aussi forte que fragile. Mina a fait le choix de rester avec son homme, envers et contre tout parce qu’elle l'aime tout simplement. Leur amour a évolué parce qu’ils ont appris à s’aimer différemment mais ça ne concerne qu’eux. Halim et Mina ont redéfini leur amour et ils vont le redéfinir encore avec l'arrivée de ce jeune homme, Youssef, dans leur vie. Mina est le moteur de ce processus, notamment parce qu'elle doit faire face à la mort. Elle a toujours cherché à protéger Halim et, dans ce sens, elle est comme une mère pour lui. Elle veut lui donner, d’une certaine manière, le courage d’affronter le monde. Mina veut laisser derrière elle un homme heureux. Elle a une immense force de caractère parce que n’est pas facile d’accepter que celui que vous aimez est amoureux de quelqu’un d’autre. Mais Mina sait ce que c’est que d’aimer !
Vous retrouvez Lubna Azabal après Adam, votre première collaboration. Vous expliquez que vous avez tout de suite pensé à elle pour le rôle de Mina. Qu'est-ce qui vous touche chez Lubna Azabal ?
Elle est entière ! Quand elle aime un personnage, c’est pour de vrai ! Elle est son personnage quand elle joue. En tant que cinéaste, c’est quelque chose que j’apprécie. C’est un don pour une réalisatrice et c’est très beau de la diriger. C’était Lubna depuis le début parce que Mina est un personnage très singulier. Et je savais que Lubna avait ce que je recherchais pour l’incarner.
Le Bleu du caftan, de Maryam Touzani
avec Lubna Azabal, Saleh Bakri et Ayoub Missioui
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