Cet article date de plus d'un an.

Séisme au Maroc : la science arrivera-t-elle un jour à trouver la faille pour prévoir les tremblements de terre ?

Les progrès de la sismologie sont très encourageants, mais "nous sommes encore loin" de pouvoir détecter à l'avance la survenue d'un séisme, préviennent les scientifiques interrogés par franceinfo.
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Un scientifique montre sur un écran des ondes sismiques, à Clonas (Isère), le 19 juin 2023. (ROMAIN DOUCELIN / HANS LUCAS / AFP)

La question se pose après chaque séisme de grande ampleur, comme celui qui a frappé le Maroc vendredi 8 septembre : pourrons-nous un jour prévoir les tremblements de terre de façon précise ? Pour l'instant, ce n'est pas le cas, martèlent les experts, unanimes. "C'est impossible de prédire l'heure et le jour d'un séisme, a rappelé sur franceinfo Badaoui Rouhban, expert des séismes et de la prévention des catastrophes naturelles, lundi 11 septembre. "Pour une zone donnée, un pays donné, on peut dire que cette zone-là peut être sujette à des tremblements de terre d'une telle magnitude. On peut préciser cela, mais on ne peut jamais savoir quand le tremblement de terre se produira."

"C'est impossible de prédire l'heure et le jour d'un séisme", rappelle Badaoui Roubhan

Le tremblement de terre de Marrakech, qui a fait plus de 2 900 morts, selon un bilan encore provisoire, n'était pas totalement inattendu, même si sa puissance a étonné les experts. "Le séisme qui s'est produit ne surprend pas la science de la sismologie. C'est une zone où il peut y avoir des tremblements de terre", ajoute Badaoui Rouhban.

Pour l'instant, "même à l'année près, on ne peut pas"

Les experts savaient qu'un tel événement allait survenir. De là à pouvoir déterminer le jour et l'heure approximative de la secousse, un important fossé reste à franchir. "On en est loin", commente auprès de franceinfo le sismologue Philippe Guéguen, membre de l'équipe ondes et structures de l'Institut des sciences de la Terre de l'université de Grenoble-Alpes (ISTerre). "Même à l'année près, on ne peut pas", glisse Mohamed Chlieh, chercheur à l'ISTerre.

>> Séisme au Maroc : la technologie peut-elle aider à prévoir ou à prévenir les séismes ?

Toutefois, le savoir s'affine grâce à un volume croissant d'informations. "La connaissance que l'on a des tremblements de terre – leur origine, les processus – est en grande partie due à l'apport de données", remarque Philippe Guéguen. Or, les instruments s'avèrent de plus en plus précis, et "beaucoup de progrès ont été faits sur les enregistrements". Le scientifique mentionne l'apport de sismomètres plus performants, ou encore celui, considérable, de la géodésie : cette discipline ancienne, qui s'intéresse à la forme de la Terre, a fait un bond considérable ces dernières décennies grâce aux satellites. Les réseaux qui aident à la navigation à la surface de notre planète (comme le GPS), se révèlent précieux pour mieux comprendre les séismes. En effet, lorsque la croûte terrestre vient à bouger sous l'effet de la tectonique des plaques, ils peuvent détecter des mouvements avec une précision allant désormais jusqu'au millimètre.

La difficile quête de signes "précurseurs"

Malgré les progrès réalisés, un signe montre que la prévision des séismes n'est pas pour tout de suite : lors des rencontres entre sismologues, il n'existe pas encore de discussions centrées sur ce sujet. Il peut être abordé, mais "ce n'est pas présenté comme tel", note Philippe Guéguen. Par pudeur ? Tous les travaux en sismologie peuvent à terme y contribuer, estime-t-il, mais il est aujourd'hui prématuré de parler de prévisions.

A ce stade, les spécialistes se contentent d'évoquer des études portant sur les "précurseurs". Car le nœud du problème réside précisément dans l'identification des signes annonciateurs d'un séisme. Une tâche qui s'avère ardue, tant ils sont difficiles à repérer et à interpréter.

"Vous n'avez pas la même signature à chaque séisme. Pour chacun, nous voyons un précurseur différent."

Mohamed Chlieh, sismologue

à franceinfo

Quels sont les précurseurs scrutés ? Les scientifiques soupçonnent le radon, un gaz naturel radioactif et cancérigène, d'en être un. Des observations ont montré qu'il avait été dégagé peu avant certains séismes. Encore faut-il réussir à déceler un véritable signal qui diffère significativement de sa présence habituelle dans l'environnement. Certains scientifiques s'intéressent aussi à l'agitation de fourmis avant la survenue d'un séisme, ou au comportement anormal d'animaux comme les chats et les chiens. Les efforts déployés n'ont pas encore pu mettre au jour un mécanisme fiable.

La piste des "glissements lents"

Un autre indicateur dans le viseur sont les "séismes précurseurs", qui témoigneraient du début de l'instabilité de la zone touchée. C'est tout l'objet d'un article publié en juillet dans le magazine scientifique Science et titré "La phase précurseure des grands tremblements de terre". De façon schématique, un séisme peut être présenté comme un "glissement rapide" de deux plaques au niveau d'une faille de la croûte terrestre, explique à franceinfo Jean-Mathieu Nocquet, sismologue à l'institut GeoAzur et auteur de l'article. "L'idée est de se dire que ce glissement rapide est précédé par un glissement plus lent, explique-t-il. Nous savons depuis une vingtaine d'années qu'ils existent. Ils ont été trouvés sur un grand nombre de failles."

Partant d'un modèle physique reliant glissement au niveau de la faille et déplacement en surface, Jean-Mathieu Nocquet a repris les données disponibles sur 70 grands séismes et des "mesures GPS très précises de stations". Il a réussi à dégager "un signal très subtil, de l'ordre du centimètre". Il suggère que des séismes puissants pourraient être décelables de quelques minutes à deux heures avant l'événement. L'avantage de cet indicateur, note-t-il, réside dans le fait qu'il repose sur une "hypothèse vérifiable par des observations". "C'est porteur d'espoir et de pistes à explorer, à développer", poursuit le spécialiste, tout en se montrant d'une grande prudence : "Nous ne savons pas si tous les séismes présentent cette forme et ce comportement."

"Il est possible que les séismes obéissent à une loi unique, mais aussi qu'il y ait une diversité de comportements."

Jean-Mathieu Nocquet, sismologue

à franceinfo

Pour consolider ce travail, Jean-Mathieu Nocquet estime qu'il est nécessaire de gagner en précision en observant davantage de tremblements de terre. Cela induit des investissements pour déployer "des réseaux de capteurs systématiquement denses dans les zones où se produisent des séismes".

Des données précieuses recueillies par des agriculteurs

De son côté, le géologue Philippe Vernant, ne cache pas un certain enthousiasme. Cet enseignant-chercheur au laboratoire Géosciences Montpellier souligne que le prix de certains appareils a drastiquement baissé – de plusieurs de dizaines de milliers d'euros à quelques centaines d'euros – tout en produisant des données précises et fiables. Il mentionne le déploiement du réseau Centipede lancé par Julien Ancelin, agriculteur en Charente-Maritime et ingénieur d'études à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement.

Ce réseau permet aux agriculteurs d'accéder à moindres frais à une technologie pour faire de l'agriculture de haute précision, notamment de l'autoguidage de tracteur. Pour accéder à ce système basé sur la géolocalisation, les exploitants placent un petit GPS sur un point fixe, comme une grange, et un autre sur un engin agricole, comme expliqué dans la vidéo ci-dessous.

En l'espace de trois ans, des centaines de récepteurs ont été installés par des acteurs privés partout en France, souligne-t-il. Et cette initiative commence à s'étendre à d'autres pays européens, comme la Hongrie. D'abord pensé pour les agriculteurs, le système produit des données partagées en temps réel et en permanence, qui intéressent les sismologues et les géologues. En les traitant, "nous trouvons plein de choses sur lesquelles nous allons pouvoir travailler", se félicite Philippe Vernant. L'arrivée de ces données supplémentaires, couplée au développement de l'intelligence artificielle pourrait, selon lui, accélérer les choses et, éventuellement, permettre la mise en place d'un système d'alerte dans les décennies à venir.

Mais prudence : Jean-Mathieu Nocquet rappelle que plusieurs modèles physiques demeurent en compétition, dont l'un suppose que les séismes ne sont absolument pas prédictibles. "Dans cette vision, qui est peut-être juste, le système des séismes est chaotique dans le sens où il obéit à des détails physiques et des variations de formes tellement fins qu'ils ne sont pas accessibles à l'observation", expose-t-il. Pour lui, "il est trop tôt pour émettre un pronostic" quant à l'avènement de potentielles prévisions. Tout en étant précautionneux, Jean-Philippe Guéguen estime qu'il n'est pas déraisonnable de penser y parvenir un jour : "On aurait aussi pu dire qu'il est complètement délirant d'envoyer quelqu'un sur la Lune."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.