Mouammar Kadhafi : 42 ans de règne, deux mois de cavale... et la fin à Syrte
Syrte était son dernier bastion. Syrte, berceau et donc tombeau de son régime. Syrte, le port du centre, près duquel il est né, voilà 69 ans. Lui, le fils de berger, a poussé son premier cri dans le désert voisin, sous la toile d'une tente bédouine qu'il a rarement quittée depuis, jusqu'à venir la planter dans les jardins de l'Elysée.
Le mois dernier encore, fuyard, invisible et plus isolé que jamais, il s'affichait toujours hautain, fier et persuadé de sa victoire prochaine. Dans un message audio, il continuait de nier l'évidence: "ne croyez pas qu'un régime a été renversé et un autre imposé par des frappes aériennes".
Il répétait invariablement son crédo: "le pouvoir légitime est celui du peuple". Et le peuple, d'après lui, continuait de le soutenir. Le même peuple qui fête aujourd'hui sa mort.
Jamais Mouammar Kadhafi n'aura montré ses doutes, ni en mai au moment de la mort de son fils Saïf al-Arab, sous les bombardements de l'OTAN, ni même lors de la prise de son palais, le 22 août dernier. Au contraire, il appelait alors les Libyens à "nettoyer" la capitale des rebelles.
D'où lui venait cette confiance? Une éducation religieuse stricte. Ses premières années d'armée. Il se révèle vite militaire brillant, stratège parfait et leader charismatique. Sa mégalomanie, il l'aura contractée sur son cheval, galopant vers Tripoli pour renverser le vieux roi Idriss 1er, parti à l'étranger se faire soigner.
Nous sommes en 1969. Neil Armstrong marche sur la lune. Mouammar Kadhafi, 27 ans, marche sur le royaume. Il offre à son peuple une révolution sans violence, pas une goutte de sang versé et la promesse de la liberté et des richesses partagées.
Il passe huit ans à dessiner son régime, la Jamahiriya. Il en résumera les principes dans son "Livre vert", singeant le "Petit livre rouge" de Mao. Les comités révolutionnaires apparaissent en 1977. Il se déclare "Guide suprême de la Révolution", laissant officiellement tous ses pouvoirs au peuple.
En réalité, il gouverne d'une main de fer et réprime l'opposition en torturant les prisonniers. Il dépense une fortune en infrastructures, irriguant le désert pour réinventer l'agriculture. Il délivre les femmes, autorisant leur entrée dans les universités et dans l'armée.
Enfin, il lance une politique extérieure agressive, panarabique. Il oblige les militaires britanniques en poste à quitter son territoire, mène une guerre au Tchad voisin pour récupérer une bande de terre, et goûte au terrorisme international.
Il est soupçonné de financer l'IRA, l'ETA, les Brigades rouges. En 1988, un Boeing de la Pan-Am explose au dessus de Lockerbie, en Ecosse. 270 victimes. L'année suivante, le vol 772 d'UTA qui quittait Brazzaville pour Paris s'écrase au Niger. 170 morts. Le régime libyen est impliqué, et le dictateur, ostracisé.
A la fin des années 1990, il se rachète une place sur l'échiquier mondial. Il livre les responsables de Lockerbie et verse plus de deux milliards de dollars d'indemnités aux familles des victimes. Il fustige publiquement Al-Qaïda, et libère cinq infirmières et un médecin bulgares, torturés pour avoir prétendument inoculé le SIDA à des enfants libyens.
Ses geôles sont alors encore pleines d'innocents, saturées de leurs hurlements. Et dehors, le peuple n'en peut plus. Corruption, violence, famine, chômage, la colère éclate dans le sillage des révolutions tunisienne et egyptienne.
Mouammar Kadhafi avait pris le pouvoir sans faire un seul blessé. Quarante-deux ans plus tard, il n'aura pas hésité, pour le conserver, à transformer son désert en océan de sang. Comme il l'avait promis, il n'aura pas quitté sa terre, mais laissé ses proches se sacrifier un à un pour lui permettre d'y rester.
Dans le dernier cercle de fidèles: son ministre de la défense, Aboubakr Younès Jaber, et son fils Mouatassim. Ils se seront battus jusqu'au bout, jusqu'à ce que les forces du CNT les trouvent morts ce matin, dans les rues de Syrte. Mouammar, lui, tentait encore de fuir quand son convoi a été attaqué.
Une image de son visage tuméfié, rougi d'hémoglobine vient d'être présentée au monde, pendant que son corps était transféré vers Misrata. Abdel Hafez Ghoga, le porte-parole du Conseil national de transition, a pu célébrer la victoire: "c'est un moment historique, la fin de la tyrannie et de la dictature. Kadhafi a rencontré son destin" .
Augustin Arrivé, avec agences
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