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Coup d'Etat au Niger : "La promesse de changement portée par les putschistes séduit les plus jeunes", explique l'analyste Jean-Hervé Jézéquel

Article rédigé par Zoé Aucaigne - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des soutiens au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie réunis à Niamey, au Niger, le 6 août 2023. (AFP)
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest se réunit jeudi pour un sommet sur le Niger, après le coup d'Etat du 26 juillet.

Imaginez le plus grand stade du Niger plein à craquer. Dimanche 6 août, plus de 30 000 personnes se sont réunies au stade Seyni-Kountché, à Niamey, pour scander leur soutien au Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), qui a renversé le président Mohamed Bazoum dix jours plus tôt. En réaction à ce coup d'Etat, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédeao) se réunit à Abuja (Nigeria), jeudi 10 août, pour un "sommet extraordinaire" sur le Niger.

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Dans les cortèges de manifestants soutenant les putschistes flottent des slogans hostiles à la France, mais aussi à cette alliance régionale, dont l'ultimatum posé aux militaires a pris fin dimanche. Mais l'opinion publique nigérienne est-elle massivement regroupée derrière les auteurs du coup d'Etat ? Jean-Hervé Jézéquel, analyste et directeur du projet Sahel à l'ONG International Crisis Group, fait le point pour franceinfo. 

Franceinfo : Comment la population nigérienne a-t-elle réagi au coup d'Etat ?

Jean-Hervé Jézéquel : C'est très difficile de mesurer exactement l'ampleur et la profondeur du soutien de la population aux putschistes. Il faut quand même souligner qu'ils ont réussi à mobiliser massivement la rue à Niamey, même si, à la base, c'est une ville où l'opposition au régime est forte. Les putschistes sont aussi parvenus à remplir le stade Seyni-Kountché le jour même où l'ultimatum posé par la Cédéao prenait fin. On a le sentiment qu'à Niamey et dans les grandes villes du Niger, le CNSP séduit, notamment la jeunesse. Mais 80% de la population vit en zone rurale et, dans ces territoires, il n'y a pas vraiment de prise de parole.

Pourquoi la jeunesse est-elle particulièrement mobilisée ? 

C'est une génération qui n'a vécu sous un régime militaire qu'un an, en 2010, lorsqu'un coup d'Etat a renversé le pouvoir en place. Autrement, elle n'a connu que la démocratie, née dans les années 1990 au Niger. Le président Mohamed Bazoum a une volonté de réforme qui, je pense, est sincère. Mais il est prisonnier d'équilibres politiques compliqués au sein du parti au pouvoir, et son gouvernement n'a pas les moyens de répondre aux aspirations d'une jeunesse qui veut du changement et qui accuse l'élite dirigeante d'être engluée dans la corruption. La promesse de changement portée par les putschistes séduit donc les plus jeunes. 

Comment la situation socio-économique du pays pèse-t-elle sur cette volonté de changement ? 

Le Niger est l'un des pays les plus pauvres du monde. Sur l'indice de développement humain, il se classe toujours dans les cinq derniers Etats [selon l'ONU]. On fait face à une population pauvre, qui vit dans un Etat ayant peu de moyens. La situation socio-économique ne s'est pas beaucoup améliorée durant la dernière décennie, d'autant plus qu'on a choisi d'investir dans la défense et la sécurité, au détriment d'autres budgets, comme ceux de l'éducation ou de la santé. 

Quels sont les points sur lesquels s'appuient les putschistes pour fédérer ? 

Le sentiment anti-France est très fort au Niger, comme il l'est dans les pays voisins. Cette jeunesse mobilisée est déçue du système démocratique, mais considère aussi que l'élite au pouvoir est responsable d'avoir donné les rênes du pays aux puissances étrangères, comme la France, l'Union européenne et la Russie. Il y a un certain nombre d'entrepreneurs politiques qui alimentent ce sentiment dans leurs discours, ce qui permet de créer une base de soutien très forte en très peu de temps. 

Les putschistes jouent également sur la corde de la corruption. C'était d'ailleurs un sujet sur lequel a insisté le général Abdourahamane Tiani, lors de sa première prise de parole à la télévision après le coup d'Etat.

Enfin, la junte dénonce le choix de l'alliance avec les Occidentaux pour garantir la sécurité du pays, car les politiques de stabilisation du Sahel, menées par la France surtout, ont globalement échoué. Et même si le nombre d'attaques a diminué, les jihadistes restent très présents sur le territoire, notamment dans les zones rurales où ils prélèvent l'impôt sur les populations. 

Comment l'opinion publique perçoit-elle la menace d'une intervention militaire de la Cédeao ? 

La Cédeao est en perte de crédibilité énorme. Cette alliance régionale est perçue comme un club de présidents, plutôt qu'une union qui défend les intérêts de la population ouest-africaine, comme elle prétend l'être. Elle est mise à mal par une série de coups : après le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, c'est le quatrième Etat de la région qui tombe aux mains de putschistes militaires en trois ans.

Un manifestant brandit une pancarte en soutien au CNSP, le 6 août 2023, devant le stade Seyni-Kountché, à Niamey (Niger). (AFP)

En faisant planer la menace d'une intervention militaire, la Cédeao est allée plus loin que lors du premier coup d'Etat au Mali en 2020. Or, face à cette position de fermeté, l'opinion publique préfère se ranger derrière les militaires pour "sauver la patrie". Si les pays voisins ouvraient les discussions sur une transition au Niger, cela donnerait plus d'espace aux civils pour se démarquer des putschistes. 

On entend beaucoup les soutiens au CNSP, est-ce parce qu'il n'y a de la place que pour les voix contestataires au Niger ?

Les manifestations prodémocratie et pro-Bazoum sont restées plutôt timides depuis le coup d'Etat. Il y en a eu une à Niamey, qui a été dispersée avec des tirs, mais il n'y avait pas beaucoup de monde. Au moins deux autres ont pris forme à Tahoua, le fief du parti qui était au pouvoir. Une partie des cadres ont été arrêtés et, en face, il y a un putsch armé, donc c'est assez difficile pour l'opposition de mobiliser.

Mais même s'il y a des pressions sur les opposants, c'est un coup d'Etat qui n'a pas de sang sur les mains. Il n'y a pas de vagues d'arrestations massives. Cela facilite les discussions avec les acteurs internationaux, qui continuent de privilégier le dialogue et la diplomatie. 

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