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Terrorisme en Côte d'Ivoire : "Une longue guerre s'annonce" dans la région, selon des spécialistes

Plusieurs chercheurs et spécialistes de l'islamisme et du terrorisme en Afrique de l'Ouest tirent la sonnette d'alarme. Les jihadistes avancent leurs pions du Sahel vers les pays de la côte atlantique, dont la Côte d'Ivoire. 

Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Des membres des forces spéciales ivoiriennes en entraînement à Abidjan, le 1er mars 2016. Des renforts ont été déployés à la frontière avec le Burkina, depuis l'attaque terroriste du 11 juin 2020. (THIERRY GOUEGNON / X01735)

"Le ver est-il dans le fruit ?", s'interrogeait le journal burkinabè Le Pays, au lendemain de l'attaque d'une base militaire ivoirienne à la frontière avec le Burkina Faso le 11 juin. Une attaque terroriste qui a fait une dizaine de morts et plusieurs blessés. Pour notre confrère, tout porte à croire malheureusement que oui. "Il ne fait l'ombre d'aucun doute que l'hydre est en train, si ce n'est déjà fait, d'étendre ses tentacules au pays de Félix Houphouët Boigny. On est d'autant plus fondé à le penser que cette attaque n'est pas la première et il faut, hélas, en craindre d'autres", prévenait le journal.

"L'aiguille de la terreur glisse vers les Etats côtiers"

Cette attaque est intervenue quatre ans après celle qui avait visé des hôtels touristiques en mars 2016, dans la station balnéaire ivoirienne de Grand-Bassam, faisant 19 morts et une trentaine de blessés. Les enquêtes menées par les autorités n'ont pas encore révélé avec exactitude quel groupe terroriste était responsable de l'attaque, jamais revendiquée. Mais les spécialistes dans la région sont tous formels : la menace terroriste descend de plus en plus vers la Côte d'Ivoire à partir du Burkina Faso. La katiba Macina, un groupe jihadiste d'origine malienne, est pointée du doigt.

"Les informations qui me sont parvenues faisaient état de la présence éventuelle d'individus qui se réclament de la katiba Macina. C'est nouveau, parce que leurs opérations étaient plutôt concentrées au centre du Mali et un peu au centre et au nord du Burkina Faso. C'est donc nouveau qu'ils essaient d'opérer en Côte d'Ivoire, où leur présence n'avait pas été suffisament signalée", explique à RFI le chercheur Lassina Diarra, spécialiste de l'islamisme et du terrorisme en Afrique de l'Ouest.

Malgré le discours rassurant des autorités ivoiriennes, l'exemple du Burkina Faso, entraîné par la spirale jihadiste depuis cinq ans, est dans toutes les têtes. Cela a commencé un peu comme ça au Burkina, rappelle Mahoumoudou Savadogo, chercheur, spécialiste du jihadisme. Il met en garde ceux qui tentent de minimiser l'ampleur de la menace. "Si les jihadistes ont attaqué un poste de l'armée, c'est qu'ils étaient outillés et entraînés. C'est qu'ils connaissaient la zone. Ils peuvent le refaire", explique-t-il à l'AFP.

Son inquiétude est partagée par son collègue Lassina Diarra. Il travaille depuis plusieurs années sur la question du "terrorisme transnational" en Afrique de l'Ouest.

Les jihadistes sont dans une logique d'extension et de conquête territoriale. Ils veulent diversifier les zones d'opération pour étendre leurs mouvements et leur idéologie sur l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest

Lassina Diarra, chercheur, spécialiste de l'islamisme et du terrorisme en Afrique de l'Ouest

à RFI

Le golfe de Guinée serait-il en passe de devenir la future terre du jihad islamiste ? C'est la question que posait déjà en septembre 2019 le chercheur Lassana Diarra dans une analyse publiée sur le site du Centre 4s qui planche sur les stratégies pour la sécurité du Sahel-Sahara. Il s'inquiétait de la transformation rapide de la quasi-totalité du territoire burkinabè en zone d'opérations militaires.

"Visiblement, les groupes terroristes multiplient des stratagèmes et des diversions pour absorber d'autres territoires. L'aiguille de la terreur glisse insidieusement vers les Etats côtiers qui constituent un espace stratégique", observe-t-il.

C'est aussi la conviction du chercheur Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute basé à Dakar, au Sénégal. La récente attaque terroriste dans le nord de la Côte d'Ivoire, analyse-t-il, est un signal fort aux pays côtiers, qui doivent de plus en plus prendre au sérieux la menace jihadiste. Pour lui, tous les pays frontaliers du Mali et du Burkina Faso sont concernés par la menace qui se régionalise.

C'est donc tous les pays du golfe de Guinée qui sont dans le viseur, à savoir le Togo, le Bénin, le Ghana et la Guinée, confirme Arthur Banga, docteur en histoire des stratégies militaires. Il faut "être vigilant et se préparer à une longue guerre" en renforçant la coopération militaire au niveau de tous les pays de cette région, confie-t-il à RFI. Il pense aussi que la réponse militaire ne suffira pas à venir à bout de la menace terroriste. Il recommande aux pays concernés de travailler sur des projets de lutte contre la radicalisation, contre les inégalités et les injustices sociales, pour impliquer les populations locales dans la gestion de cette crise.

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