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Nigeria : cinq ans après l'enlèvement des lycéennes de Chibok, "la mobilisation est retombée" déplore un spécialiste de l'Afrique

Thomas Hofnung, le chef de la rubrique International sur le site "The Conversation", était l'invité de franceinfo dimanche. 

Article rédigé par franceinfo - Édité par Thomas Pontillon
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des lycéennes ont pu échapper aux griffes de Boko Haram, en février 2018.  (AMINU ABUBAKAR / AFP)

"La mobilisation est retombée" déplore le spécialiste de l'Afrique Thomas Hofnung, cinq ans après l'enlèvement par Boko Haram des lycéennes de Chibok au Nigeria. Selon le chef de la rubrique International sur le site "The Conversation", une centaine de jeunes filles sont toujours portées disparues et la menace terroriste est toujours importante mais "localisée".

franceinfo : cinq ans après l'enlèvement des 300 lycéennes de Chibok, certaines ont pu s'échapper, certaines ont été libérées après négociations mais 112 familles sont toujours sans nouvelles de leurs filles ?

Thomas Hofnung : Oui, plus d'une centaine de ces jeunes filles sont toujours portées disparues et on pense que certaines d'entre elles se trouvent aujourd'hui dans un pays limitrophe du Nigéria, au Cameroun. Visiblement elles ont été mariées de force aux combattants du groupe Boko Haram.

Parmi celles dont on est sans nouvelle, certaines ont pu être tuées lors de bombardements et d'autres converties aux croyances du groupe ?

Converties sous la contrainte, oui, puisqu'elles ont été enlevées. Boko Haram est un groupe qui manie, comme d'autres groupes terroristes, la vidéo pour donner des nouvelles et pour terroriser. L'idée c'est vraiment de montrer que ce groupe garde un pouvoir de nuisance alors qu'il est plutôt affaibli.

Cinq ans plus tard, est-ce que la cause de ces jeunes filles intéresse toujours les gens au Nigeria ?

Leur enlèvement a frappé les esprits. Il faut dire que près de 300 jeunes filles ont été enlevées d'un coup. La mobilisation a donc été forte avec une campagne internationale et le hashtag "bringbackourgirls" porté notamment par Michelle Obama. Mais aujourd'hui cette mobilisation est retombée. Cela fait quand même cinq ans et il faut savoir que non seulement le Nigeria est un géant d'Afrique qui a énormément de problèmes à gérer mais aussi que Boko Haram se situe dans une zone assez éloignée du centre nerveux du pays, dans le nord-est du pays, près du lac Tchad. Donc finalement, tout ce qui se passe autour de Boko Haram, ça se passe assez loin du centre de gravité du pays, donc la mobilisation est retombée hélas.

Le problème endémique qui affecte le Nigeria, c'est la corruption ?

Le Nigéria est un pays qui a une croissance démographique énorme et qui représentera, dans 30 ans, la 3e population au monde. C'est un géant économique également avec la ressource du pétrole qui est fondamentale pour ce pays mais avec un taux de pauvreté très élevé. Autant le sud est assez dynamique, autant le nord, où sévit Boko Haram, est une zone reculée, et économiquement délicate à gérer. C'est là que Boko Haram marque des points en recrutant auprès des populations les plus démunies, où l'état est absent.

Quel poids représente Boko Haram parmi les mouvements djihadistes en Afrique ?

C'est un mouvement qui est assez circonscrit. C'est-à-dire qu'en dehors des pays frontaliers du Nigéria, le Tchad, le Niger et le Cameroun, on ne peut pas dire que Boko Haram représente une menace globale. C'est pour cela que la mobilisation internationale est relativement limitée. Les occidentaux, les Français et les Américains, soutiennent les armées locales qui luttent contre Boko Haram, notamment en termes de renseignements et d'équipements, mais pas plus. C'est une menace mais une menace vraiment localisée.

Les autorités peuvent-elles quelque chose et font-elles quelque chose pour lutter contre Boko Haram ?

Oui, parce que le président Buhari, au pouvoir depuis plus de 5 ans et réélu en février, est originaire du nord et il est très concerné par rapport à ce qu'il se passe avec Boko Haram, contrairement à ses prédécesseurs. Il a mobilisé l'armée mais le problème c'est que cette armée du Nigeria a mauvaise réputation parce qu'elle commet beaucoup de dégâts collatéraux. Il y a beaucoup de bombardements, de répression et il y a des estimations qui ont été faites et qui montrent qu'il y a beaucoup de victimes parmi les civils qui sont imputables à l'intervention de l'armée. C'est un cercle vicieux. Boko Haram mène les attaques, l'armée intervient mais en intervenant elle tue un certain nombre de civils et donc quelque part elle draine vers Boko Haram d'autres recrues. C'est pour cela aussi qu'il y a une intervention d'autres pays frontaliers qui essaient de structurer l'action contre Boko Haram.

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