Qui est Abubakar Shekau, le chef fanatique de Boko Haram ?
Le commandant du groupe terroriste qui a revendiqué l'enlèvement de plus de 220 lycéennes au Nigeria est l'un des jihadistes les plus recherchés d'Afrique. Mais aussi l'un des plus secrets.
C’est l’une de ses armes préférées. Abubakar Shekau, le dirigeant de Boko Haram, le groupe terroriste qui a revendiqué l'enlèvement de plus de 220 lycéennes au Nigeria, est apparu dans une nouvelle vidéo, diffusée lundi 12 mai. Comme à son habitude, le leader du mouvement islamiste y expose ses vues longuement, sourire aux lèvres, habillé d'une tenue militaire, une kalachnikov appuyée sur l'épaule. Cet homme est l'un des jihadistes les plus recherchés d'Afrique. Mais aussi l'un des plus secrets.
Un fumeur de marijuana endoctriné
Abubakar Shekau, décrit comme "grand" et "mince" par Paris Match, est enveloppé d'une aura de mystère. Selon le département de la Justice américain, il serait né en 1965, ou 1969, ou 1975. Une certitude : il voit le jour dans le nord-est du Nigeria, dans un village d'agriculteurs et d'éleveurs de l'Etat de Yobe, une région frontalière avec le Cameroun, le Tchad et le Niger, avance Jeune Afrique.
Il grandit dans un quartier défavorisé de Maiduguri, la capitale régionale de l'Etat de Borno, et le fief de Boko Haram. "Il traîne dans la rue, fume de la marijuana", raconte l’hebdomadaire. Et "comme beaucoup de jeunes du coin, il est fasciné par Mohamed Yusuf". Cet imam fondamentaliste est un prêcheur charismatique et virulent. Il est surtout le fondateur de Boko Haram, en 2002 .
A cette époque, Boko Haram, à la fois mosquée et école coranique, a pignon sur rue, relate le magazine. Mohamed Yusuf y séduit la jeunesse désœuvrée en accusant les valeurs occidentales, instaurées par les colons britanniques, d'être responsables de la corruption rampante et de l'immense pauvreté de la majorité de la population.
Shekau rencontre Yusuf par l’entremise d’un ami commun, poursuit la BBC. Et il se lance à ses côtés dans la lutte armée pour la création d'un Etat islamique appliquant la charia, la loi islamique, dans le nord du Nigeria, majoritairement musulman. Jusqu’à devenir son bras droit.
Un chef terroriste extrêmement violent
En 2009, après une série d’attaques contre les forces de sécurité, le gouvernement nigérian décide de mettre un terme aux activités du mouvement islamiste armé. Une opération de grande envergure est lancée. Mohamed Yusuf est capturé et abattu quelques heures plus tard par la police. Abubakar Shekau, lui, est blessé par balle. Les autorités nigérianes annoncent sa mort, rapporte Ouest France. En réalité, il se cache dans le désert entre le Tchad et le Soudan. Un an plus tard, il réapparaît, à la surprise générale, dans une vidéo postée sur internet. Il s’y proclame chef de Boko Haram.
Ses disciples le surnomment "l’imam" ou "Darul Tawheed", ce qui signifie le spécialiste du Tawheed, une doctrine qui affirme l’unicité de Dieu, la pierre angulaire de l’islam. Mais Shekau "n’a ni le charisme, ni l’art oratoire, ni l’éducation religieuse de son tuteur", analyse le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos, dans une note de Sciences Po (PDF). Il s'impose donc "par la violence", explique au Point ce spécialiste du Nigeria et de Boko Haram.
Sous sa direction, le mouvement bascule dans la clandestinité et la fureur. Attentats à la voiture piégée et massacres s'enchaînent. En août 2011, il passe à un stade supérieur en commettant un attentat-suicide au cœur de la capitale nigériane, Abuja, contre le quartier général des Nations unies, symbole de l’Occident honni. "Sa première action hors de sa zone habituelle", indique Le Figaro.
Depuis 2011, ses hommes prennent pour cible des églises chrétiennes et des mosquées jugées trop permissives, des symboles du pouvoir mais aussi des écoles, des universités et des dortoirs, massacrant des étudiants dans leur sommeil. Boko Haram établit aussi des "connexions" occasionnelles avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), souligne l'analyste Laurent de Castelli sur le site Affaires stratégiques. Le nombre de ses victimes ne cesse d'augmenter. Depuis 2009, pas moins de 3 000 personnes ont perdu la vie, selon Human Rights Watch (en anglais), dans les attaques de Boko Haram et les représailles des autorités nigérianes.
Avant la mort de Yusuf, Shekau l'accusait déjà "d'être trop modéré", relève l'ONG International Crisis Group (ICG) dans un récent rapport. "Avec Shekau aux commandes, Boko Haram est devenu beaucoup plus impitoyable, plus violent et plus destructeur." "Shekau est beaucoup plus dangereux que Yusuf. (…) Il n’a pas de ligne rouge et attaquera dès qu’une opportunité se présentera", confirme Martin Ewi, un expert de la région, auprès de France 24.
Le mouvement apparaît tellement extrémiste et violent que certains de ses anciens alliés islamistes coupent les ponts. Ansaru, une faction du groupe islamiste qui a notamment revendiqué des enlèvements d'étrangers et diffusé des vidéos de leur exécution sur internet, a ainsi décidé de "prendre ses distances avec Boko Haram parce qu'il désapprouve les massacres à l'aveugle et le manque de tact de Shekau", analyse ICG.
"Le plus fou de tous les commandants"
Dans ses vidéos de propagande, Shekau vocifère, s'agite et profère des menaces. Mais à d'autres moments, il semble déconnecté de l'actualité, menaçant des personnalités mortes, telles l'ex-Première ministre britannique Margaret Thatcher, ou l'ancien pape Jean-Paul II.
Autres traits de son caractère : son "hygiène personnelle" et son "rejet de tout confort" sont poussés à l’extrême, confie au Guardian (en anglais) un ex-responsable de la sécurité du mouvement. Shekau "est le plus fou de tous les commandants de Boko Haram. Il croit vraiment que c’est normal de tuer tous ceux qui ne sont pas d’accord avec lui", prévient cette source. "J'aime tuer quiconque Dieu me demande de tuer, de la même manière que j'aime tuer des poulets et des moutons", confirme Shekau dans une de ses vidéos datant de 2012.
"Il ne craint rien", assure à la BBC Ahmad Salkida, un journaliste qui connaît bien Boko Haram. Et certainement pas la mort. En août 2013, l'armée nigériane une fois encore le croit mort et annonce son décès. L'information est démentie quelques jours plus tard par une nouvelle vidéo dans laquelle Shekau apparaît bien vivant.
Résultat : "Quand Abubakar Shekau dit quelque chose, ça crée un véritable effet de panique dans tout le pays." Car "Boko Haram est connu pour mettre ses menaces à exécution", prévient Martin Ewi, chercheur à l’Institut pour les études de sécurité à Pretoria, dans une interview à France 24.
Un jihadiste "doublé d’un gangster"
Sous sa direction, l'organisation connaît aussi une "dérive mafieuse", observe Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Ne bénéficiant pas du financement traditionnel des groupes terroristes de la région, notamment celui d'Aqmi, Boko Haram attaque des postes de police pour se procurer des armes et se finance en pillant des banques, "au prétexte que l’islam interdit la thésaurisation et l’usure", explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
Shekau lance également Boko Haram dans le juteux business des prises d’otages. C’est lui qui est derrière l’enlèvement de la famille française Moulin-Fournier, libérée en avril 2013 après deux mois de détention au Cameroun, ou encore celui du prêtre français Georges Vandenbeusch, libéré en décembre après près de deux mois également de captivité. Le terroriste est "doublé d’un gangster", résume la BBC.
Ces faits d'armes valent désormais à Abubakar Shekau de figurer en 8e position sur la liste des "Most Wanted", les terroristes les plus recherchés par la justice américaine. Il est considéré comme un "terroriste à l'échelle mondiale" par les Etats-Unis, qui ont mis sa tête à prix pour 7 millions de dollars (5,3 millions d'euros).
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