Qui sont les islamistes nigérians qui retiennent le prêtre français ?
La secte Boko Haram affirme détenir Georges Vandenbeusch, kidnappé jeudi au Cameroun.
Les islamistes nigérians du mouvement Boko Haram détiennent bien le prêtre catholique Georges Vandenbeusch, kidnappé jeudi dans le nord du Cameroun. Une source au sein de l'organisation l'a annoncé, vendredi 15 novembre.
En février, la secte avaient pour la première fois enlevé des ressortissants français. Sept personnes dont quatre enfants avaient été détenues pendant 60 jours. Retour en cinq questions sur cette secte mal connue en France.
Quand Boko Haram voit-il le jour ?
Le mouvement se constitue au début des années 2000 dans la région du Borno, dans le nord-est du Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique (plus de 160 millions d'habitants). La zone est frontalière du Niger, du Tchad, du Cameroun et proche de la République centrafricaine.
Boko Haram n'est qu'un surnom donné au mouvement islamiste par la population. "Boko" signifie "livre" en pidgin (un mélange de langues locales et d'anglais) et "haram", "interdit", en arabe. Ce qui correspond à "l'éducation occidentale est un péché". Mais le groupe signe ses communiqués de Jama'atu Ahlis-Sunnah Lidda'awati Wal Jihad, soit les "disciples du prophète pour la propagation de l'islam et de la guerre sainte".
Lorsqu'il crée sa secte, Ustaz Muhammad Yusuf a une trentaine d'années. L'ancien étudiant de Médine, en Arabie saoudite, s'oppose à l'islam de la confrérie tidjaniyya et réclame l'instauration stricte de la charia, explique le chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans un article de la revue Questions internationales. "Pour [Muhammad Yusuf], l’application stricte de la loi islamique exprime un idéal de justice conforme aux préceptes du prophète. Il refuse la participation aux élections, ainsi que les marques-phares de l’industrie agroalimentaire nigériane - du cube Maggi aux berlingots de lait Dairy Milk", ajoute le journaliste Alain Vicky dans le Monde diplomatique.
Dans quel contexte émerge-t-il ?
Foreign Policy (en anglais) rappelle que le mouvement n'a pas surgi du néant. Dès les années 1970, un prêcheur camerounais fonde une école islamique et parvient à séduire de nombreux étudiants du nord du pays, majoritairement musulman, par ses diatribes contre le gouvernement laïque. Son mouvement s'attire les foudres des autorités et le prêcheur est tué en 1980.
Vingt ans plus tard, d'anciens membres de ce groupe resurgissent et décident de se faire appeler talibans nigérians. Ils ont pour objectifs de lutter contre la culture occidentale et d'imposer de façon stricte la charia. Le mouvement est dissous en 2004, après avoir été durement frappé par la police.
Comment le mouvement s'est-il radicalisé ?
Boko Haram vit une transformation radicale en 2009. Le groupe, qui mène des actions contre des banques, des casernes ou les forces de sécurité, exaspère les autorités. Son leader est arrêté et froidement exécuté. Après une série d'émeutes, la secte se disperse et tente de nouer des liens avec d'autres organisations à l'étranger.
C'est le bras droit de Muhammad Yusuf qui lui succède. L'imam Shekau, qui apparaît dans la vidéo de jeudi, est pourtant supposé mort. Dans une région où les frontières sont poreuses, il dirigerait la secte depuis l'étranger, circulant au Tchad et au Cameroun.
Le nouveau chef spirituel n'a pas le charisme de son prédécesseur. Il peine à s'imposer, mais décide de changer de stratégie : il engage une série d'attaques-suicides contre les forces de sécurité, des assassinats, des attentats contre les chrétiens, mais aussi contre des civils considérés comme de "mauvais musulmans". Ce qui ne fait pas l'unanimité au sein de l'organisation morcelée. "Abubakar Shekau n'est pas forcément respecté de toutes les factions de Boko Haram, car beaucoup de groupes ne partagent pas sa doctrine", explique Marc-Antoine Pérouse de Montclos. Il existe aussi une "dérive mafieuse depuis quelques années" dans le mouvement, qui peine à se financer, ajoute-t-il.
Est-il lié à Al-Qaïda ?
Les liens entre Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) font peu de doutes. Comme le rappelle Laurent de Castelli sur le site affaires-stratégiques.info, "l'élément le plus troublant est l'enlèvement revendiqué par Aqmi de l’ingénieur allemand Edgar Fritz Raupach, en janvier 2012 à Kano (Nigeria). L'otage était en réalité détenu par des membres de Boko Haram et sera exécuté par ces derniers lors de l'intervention de l’armée nigériane quelques mois plus tard". Plusieurs articles ou témoignages ont aussi fait état de Nigérians présents au Mali, ou tentant de s'y rendre.
"Des membres de Boko Haram se sont entraînés dans le nord du Mali dans des camps jihadistes, ils partagent des armes, de la formation. Ils sont en contact, mais cela ne veut pas dire qu'il y a subordination", explique à francetv info Laurent de Castelli. "D'autant qu'Aqmi ne partage pas les objectifs de Boko Haram", qui sont avant tout nationaux, loin du jihad mondialisé d'Al-Qaïda. Enfin, il existe encore "de nombreuses divergences doctrinaires avec le modèle wahhabite d'Al-Qaïda", ce qui "ne plaide pas non plus en faveur de la thèse d'une internationalisation du mouvement", pointe Marc-Antoine Pérouse de Montclos.
Est-il en train de changer de stratégie ?
Boko Haram est tenu pour responsable de la mort de centaines de personnes au Nigeria. Mais c'est la toute première fois que le mouvement revendique l'enlèvement d'étrangers. "Ils peuvent avoir de petits problèmes financiers", remarque Laurent de Castelli.
Mais il avance une autre hypothèse. "Depuis quelques temps, ils ont de gros problèmes de communication, avec des déclarations contradictoires." Ansaru, groupe nigérian qui détient un autre otage, a pris ses distances avec Boko Haram. "Ansaru veut s'attaquer d'abord à l'Occident et a une idéologie plus proche de celle d'Aqmi. Peut-être que le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, se dit qu'il est en train de perdre la main. Quoi qu'il en soit, il y a du changement."
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