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Nollywood, le cinéma nigérian à la conquête du monde
Publié le 31/05/2013 17:56
Mis à jour le 03/06/2013 07:54
Né dans un pays longtemps très pauvre, le cinéma nigérian, connu sous le nom de Nollywood, est aujourd'hui devenu une industrie majeure. 200.000 à 300.000 personnes, tous métiers confondus, travaillent dans ce secteur.
Il est ainsi le second employeur du pays après l'agriculture et la quatrième activité économique du pays, représentant 5 à 10 % du PIB. Des millions de Nigérians consommeraient les films de Nollywood. Et son chiffre d’affaires est estimé à près de 500 millions d’euros par an. Pour la première fois, la France accueille à Paris un festival de films de Nollywood, du 30 mai au 2 juin 2013
Sous la dictature d’Ibrahim Babangida (1985 à 1993), le pays est confronté à une violence endémique. La vie sociale se réduit peu à peu comme peau de chagrin.
Les rues, les bars, les lieux de culture, et donc les rares cinémas sont désertés.
Les gens se calfeutrent chez eux où ils regardent des vidéos importées d'Inde et des Etats-Unis. Dans ces conditions, la production locale de films, incapable de lutter contre la concurrence d’Hollywood et de Bollywood, s’arrête. (AFP PHOTO/XAVIER HARRISPE)
En 1992, un certain Okey Ogunjiofor écrit l’histoire d’un homme qui, après avoir rejoint une secte, et sacrifié sa femme pour de l'argent, est hanté par le fantôme de la défunte.
Au départ, il ne trouve personne pour réaliser son film. Mais la chance lui sourit et le long-métrage sera finalement réalisé (en langue igbo avec sous-titres en anglais) par Chris Obi Rapu.
Le film Living in Bondage mis en boite, Kenneth Nebue, un vendeur de matériel électronique, accepte de le produire. Mais avec l’insécurité qui règne dans les rues, l’équipe décide de ne pas le commercialiser sur grand écran.
Copié sur VHS et distribué dans des kiosques, il trouve très vite son public. Le succès est énorme, 500.000 exemplaires sont vendus. (NEK)
Living in Bondage marque ainsi la naissance du nouveau cinéma nigérian.
Se produit ainsi Une révolution culturelle, technologique, économique et commerciale qu’un journaliste du New Yorker baptisera quelques années plus tard, en 2002, Nollywood, contraction de Nigeria et Hollywood.
Aujourd’hui, des dizaines de magasins sont consacrés au 7e art dans le quartier d’Idumtao Market à Lagos, la capitale. On peut parfois y rencontrer de nombreuses stars adulées dans toute l’Afrique tels Stephanie Okereke, Omotala Jalade Ekeinde, Emeka Ike, Ramsay Noah ou Geneviève Nnaji. (Nollywood Week)
Le développement de Nollywood s’est fait au départ de façon totalement anarchique. Seules la créativité et une bonne dose de système D ont permis de concrétiser les idées de films.
Pas de syndicats, pas de textes juridiques pour encadrer les projets. Et encore moins de majors, ces multinationales du secteur.
Dans le même temps sont arrivées des matériels simples d’utilisation et bon marché : ordinateurs, logiciels grand public, petites caméras numériques. Les apprentis cinéastes ont alors pu contrôler toute la chaîne de fabrication, du «Attention moteur» au «Final cut» du montage.
Ce qui a permis au plus grand nombre de se lancer dans cette aventure culturelle en devenant scénaristes, acteurs ou réalisateurs. Un peu à la manière des punks britanniques de l’ère Thatcher, qui en l’espace de quelques semaines apprenaient la guitare, composaient des chansons, montaient sur scène et au final enregistraient un disque.
Les films sont distribués de façon informelle, vendus entre un et trois dollars dans les rues de Lagos, assurant ainsi leur diffusion. Et leur succès. (AFP/Am Pictures / The Kobal Collection)
Toutes les maladresses techniques tant au niveau de l’image, du son ou encore de la narration, ont permis de façonner une esthétique particulière avec sa propre symbolique.
Si Nollywwod est avant tout un cinéma de distraction, tous les drames sociaux y sont abordés, que ce soit la prostitution, le sida, la guerre des gangs, la religion, la réussite sociale, sans oublier les histoires d'amour tragiques.
L’adhésion du grand public s’explique aussi par un savant mélange d’ingrédients de la culture populaire comme le théâtre ambulant yoruba, la juju music ou la Onithsa Market Literature (littérature populaire des années 50-60) avec des clins d’œil aux séries télévisées américaines et au cinéma indien.
Le tout saupoudré de sorcellerie et de magie, souvent noire, mise en scène avec des effets spéciaux bon marché.
(Onithsa Market Literature)
Si certains critiques africains reprochent à ces films de donner une image caricaturale du Nigeria, d’autres au contraire pensent que ce cinéma en donne une vision plus réaliste que les films formatés du marché international.
Nollywood est parfois moqué pour sa dramatisation excessive et ses scènes théâtralisées à outrance. Aussi est-il intéressant de voir enfin des Africains raconter des histoires africaines. (Creative Commons Attribution-ShareAlike 3.0 License. & Attribution 2.5 License.)
Les temps et les coûts de tournage ainsi que la post-production (montage, mixage, étalonnage) sont optimisés au maximum. Un tournage ne dépasse pas douze jours et son budget n’excède pas 15.000 dollars. Aujourd’hui, les films sont majoritairement tournés en anglais, langue officielle du Nigeria.
Il n’existe aucun plateau de tournage dans le quartier de Surelere où l’on trouve pourtant tous les bureaux de production, toutes les salles de montage et tous les entrepôts pour le matériel nécessaire. Tous les films sont donc réalisés en extérieur.
Cette obligation de tourner en décor naturel pose un problème spécifique au cinéma nigérian. Car les réalisateurs sont souvent obligés de payer les chefs de bandes des quartiers pour avoir le droit de s’installer sur leurs territoires.
Autre difficulté, le retard et l’absentéisme, fréquents chez les acteurs. Non professionnels pour la très grande majorité, ceux-ci n’hésitent pas à accepter de jouer dans différents films à la fois, ce qui fait perdre temps et argent à la production. (Am Pictures / The Kobal Collection)
Mais toutes ces contraintes n’empêchent pas Nollywood d’être une industrie florissante qui rapporte 250 millions de dollars par an.
Avec environ 2000 films par année et 200 millions de DVD diffusés dans le monde, cette industrie est devenue la seconde plus importante production cinématographique du monde (en nombre de films), derrière Bollywood mais devant Hollywood. Un film peut être tiré entre 50.000 à 100.000 copies, en fonction de son succès.
Le film le plus cher du cinéma nigérian a coûté 89.000 dollars. Une somme dérisoire face aux 4 millions de dollars d’« Autant en emporte le vent », réalisé en 1939, ou aux 460 millions de dollars d’Avatar (2010).
Cette réussite reste exemplaire. Mais elle ne peut évidemment pas se comparer au géant californien, qui génère un bénéfice de 51 milliards de dollars par an, et son homologue indien, qui rapporte plus de 1 milliard. (DR)
Le piratage des films est un problème international. Mais pour Nollywwod, c’est un manque à gagner considérable. Ce cinéma à la popularité grandissante a certes réussi, au fil des années, à franchir les frontières du Nigeria en gagnant des pays comme le Ghana, le Libéria ou encore la Zambie (pays africains anglophones). Mais il ne vit pratiquement qu’exclusivement de ses ventes DVD.
La rentabilité des productions est également assurée par les jeunes Nigérians vivant aux Etats-Unis et en Europe.
Une preuve de plus que Nollywwod n’est plus un cinéma de seconde zone, folklorique. (AFP/ PIUS OTOMI EKPEI)
Les bénéfices assurés par les projections en salle restent infimes, car seulement 0,5 % des films y sont diffusés. Mais Nollywood opère peu à peu sa mue pour les salles obscures.
Aujourd’hui, le cinéma nigérian participe à des festivals aussi prestigieux que Cannes ou Berlin. Des réalisateurs comme Tunde Kelani, Charles Novia, Jeta Amata ont une réputation internationale.
« Ijé », réalisé en 2010 par Chineze Anyaene, qui traite de la violence faite aux femmes en Afrique, a gagné plusieurs prix à l’étranger. Au Nigeria, il a fait plus d’audience que les blockbusters américains Avatar ou The Avengers.
De plus, d’innombrables chaines de télévisons, consacrées exclusivement à la production de Nollywood, ont vu le jour en Afrique et dans le reste du monde.
Nollywoodmovies et Nollywood TV en sont quelques exemples. (Nollywood TV)
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