Stella Nyanzi, l'Ougandaise qui nargue le président Museveni avec ses mots crus
Son langage sans fard est l'arme qu'elle utilise contre le dirigeant ougandais, à la tête du pays depuis plus de trois décennies. Le verbe haut, Stella Nyanzi s'inscrit dans une longue tradition de défiance politique.
"Que devient (la justice) dans notre pays ?", s'interrogeait le Dr Stella Nyanzi le 1er août 2019, la veille de sa condamnation à dix-huit mois de prison - une peine en partie purgée - pour cyberharcèlement envers le chef de l'Etat ougandais, Yoweri Museveni.
Pourquoi utilisons-nous la loi pour oppresser les citoyens et protéger les dictateurs ?
Dr Stella Nyanzipendant son procès le 1er août 2019
L'activiste ougandaise Stella Nyanzi a encore démontré qu'elle n'avait peur de rien. Y compris de la mort. Au tribunal, au détour d'une conversation avec la juge Gladys Kamasanyu à qui elle demande de disposer au plus tôt d'une copie de son jugement, elle lance : "Je pourrais aller en prison et mourir. Je suis une personne très pragmatique".
Le 2 août 2019, l'universitaire a exprimé une nouvelle fois sa défiance envers le régime du président Museveni qu'elle qualifie de "dictature". Elle s'est littéralement armée de ses seins, tenus à pleines mains après les avoir dévoilés, pour protester contre le fait d'avoir été obligée d'assister au prononcé de son verdict.
Ce n'est pas la première fois que l'anthropologue, spécialisée dans les questions sexuelles, se dénude en signe de protestation. En conflit avec sa hiérarchie, elle s'était déjà dévêtue en 2016 pour dénoncer le fait qu'elle n'avait plus accès à son bureau à la très réputée université de Makerere à Kampala, la capitale ougandaise, où elle était chercheuse associée à l'Institut de recherche sociale. Ses ennuis judiciaires lui ont finalement coûté son poste dont elle avait été suspendue à l'époque. "La nudité est l'arme des impuissants", pouvait-on lire autour d'elle, alors que la militante était interviewée par la chaîne ougandaise NTV en 2016 à la suite de l'incident.
Le "radical rudeness" revisité par Stella Nyanzi
Mais les combats de Stella Nyanzi ne se limitent plus depuis longtemps à sa seule personne. "Je ne suis pas juste une féministe. Je suis une féministe homosexuelle radicale", revendique l'activiste. Les femmes, les jeunes filles scolarisées qui ne peuvent pas se procurer de produits d'hygiène menstruelle et la cause LGBTQ+ sont quelques-uns de ses engagements. Ses séjours à la prison haute sécurité de Luzira, à Kampala, ont ajouté une revendication supplémentaire qui explique son absence au tribunal lors de l'énoncé de son verdict, celle d'une infrastructure pénitentiaire plus salubre, notamment pour les femmes.
Cependant, la plus âpre de ses batailles est celle qu'elle mène contre le "dictateur" Yoweri Museveni. En Ouganda, elle s'inscrit dans une longue tradition politique baptisée le "radical rudeness" (impolitesse radicale) qui remonte aux années 1940. Dans un article publié dans The Conversation, la chercheuse Kylie Thomas explique que les Ougandais avaient choisi ce mode d'expression cru et ordurier pour s'opposer aux colons britanniques avec qui ils entretenaient au quotidien des rapports policés. Ce militantisme verbal frappe encore les esprits dans une société ougandaise conservatrice.
En 2017, Stella Nyanzi compare ainsi le chef d'Etat, président autoritaire depuis plus de trente ans, à une "paire de fesses (Pair of Buttocks)" sur sa page Facebook. Ce qui lui vaut d'être arrêtée et inculpée pour cyberharcèlement et propos offensants envers le dirigeant. Cela ne l'empêchera pas de récidiver quelques mois plus tard, alors qu'elle est déjà sous le coup d'une procédure judiciaire.
Le 16 septembre 2018, au lendemain de la célébration de l'anniversaire de Yoweri Museveni, elle poste un poème sur Facebook où elle décrit en long et en large comment elle aurait aimé que le fœtus du président soit détruit par les entrailles de sa mère, la défunte Esteri Kokundeka Nganzi. "J'aurais souhaité que les maudits organes génitaux d'Esiteri (sic) libèrent un mort-né monstrueusement verdâtre et bleuâtre", résume-t-elle dans les dernières lignes de son texte.
Elle a d'ailleurs expliqué son envolée lyrique durant son procès. "En me retrouvant sans rien le jour où il célébrait son anniversaire", déclarait-elle le 1er août 2019 tout en soulignant que le président Museveni ne savait pas quand il était né, "je me suis demandé ce qu’une femme ougandaise sans emploi, sans voix (…) sans argent (…) pouvait faire" (et) "en tant que femme qui veut apprendre à ses enfants ce qu’ils doivent faire, j'ai fait entendre ma voix". "J’ai utilisé le vagin d’une femme morte pour m’adresser au pouvoir et il a écouté", a-t-elle ajouté au tribunal. Ce "vagin sans vie" est "un outil de défiance".
Chez Stella Nyanzi, lutte contre le régime Museveni et féminisme se rejoignent souvent. "Museveni est un patriarche irresponsable, un misogyne, un agresseur, un homme qui hait les femmes (et) qui a même eu l'audace de promettre aux jeunes filles démunies qui vont à l'école des serviettes hygiéniques (...). Museveni est un voleur parce qu'il a dérobé les votes de pauvres hommes et femmes, les parents d'enfants qui ne peuvent pas s'offrir des produits d'hygiène menstruelle et qui lui ont donné leur voix en espérant qu'il tiendrait sa promesse (de leur en fournir)", indiquait-elle en juin 2018 à la télévision kényane, KTN News.
Une maman militante
Celle qui "maudit" la naissance du président Museveni a vu le jour le 16 juin 1974 et a trois enfants. Stella Nyanzi, qui a indiqué en janvier 2019 avoir fait une fausse couche pendant sa détention, a rappelé à maintes reprises que ses responsabilités de mère ne constituaient pas une entrave à son militantisme. Au contraire,"mes enfants saluent mes actions de protestation", a-t-elle fait savoir lors de son procès.
"La prison est un grand honneur pour ceux d’entre nous qui sont envoyés ici pour leur dissidence contre le dictateur M7 (Museveni) (...). Imagine, le dictateur lit mes posts sur Facebook ! Je continuerai à écrire contre l'impunité jusqu'à ma mort. Je ne suis ni repentante, ni pleine de remords", écrivait Stella Nyanzi à sa fille Baraka en novembre 2018 alors que cette dernière célèbrait son quatorzième anniversaire en l'absence de sa mère emprisonnée.
Stella Nyanzi, elle-même, a de qui tenir. "Notre mère (qu'elle a perdu en 2015, un an après son père) nous a éduqués de façon à ce que nous soyons forts et résilients", confiait-elle à la télévision ougandaise NTV.
"J'ai l'intention de détruire le dictateur"
La force du Dr Stella Nyanzi réside dans ses mots qu'elle qualifie d'"arme de destruction de la dictature". "J’ai l’intention de détruire le dictateur", clamait-elle il y a quelques jours. Et s'adressant à ses "camarades ougandais", elle a lancé : "The regime has to go (On doit mettre fin à ce régime) !" .
"Ma voix est l'ultime arme qui m'a été laissée, a plaidé l'anthropologue devant sa juge.(...) Je ne les laisserai pas me prendre ma voix (...). Je ne peux pas quitter le territoire ougandais (...). Ils ont porté atteinte à ma liberté de mouvement qui est un droit constitutionnel (...). Museveni m'a ôté tout pouvoir". L'activiste fait l'objet d'une interdiction de sortie du territoire depuis qu'elle a notamment traité Janet Museveni, la Première dame et ministre de l'Education, de "cerveau vide".
Il n’y a rien que l’on puisse me faire que je n’ai déjà subi.
Dr Stella Nyanzipendant son procès le 1er août 2019
Pour l'activiste, "l’immoralité" dont elle a été accusée pour s'être adressée de manière crue au président serait plutôt de rester "silencieuse" face à "un dictateur". Aussi tient-elle sa revanche depuis la fin de son dernier procès. Elle s'est en servie comme d'une tribune, une "opportunité" rare pour les militantes, a-t-elle noté au passage en remerciant la juge Gladys Kamasanyu, qui a par ailleurs reçu une bouteille lancée à travers la salle d'audience le 2 août 2019, et en lui confimant qu'elle était en représentation. "Mon silence était une performance. Mon impolitesse était une performance. Mes absences étaient une performance". "Votre tribunal a permis à un post (dont je suis fière) d'être largement diffusé."
Pour les militants des droits de l'Homme, les démêlés judiciaires de l'universitaire sont une nouvelle atteinte à la liberté d'expression en Ouganda. "Stella Nyanzi a seulement été poursuivie en justice en raison de ses métaphores créatives et de propos susceptibles d’être jugés offensants qu’elle a tenus pour critiquer l’exercice du pouvoir par le président Museveni", a réagi la directrice du programme Afrique de l’Est, Corne de l’Afrique et Grands Lacs à Amnesty International, Joan Nyanyuki.
Stella Nyanzi, qui garde vaillamment le sourire, sait qu'elle mange son pain noir. Elle n'attendait pas que justice soit faite lors de son procès, a-t-elle écrit, sur sa page Facebook mais le lieu de "piquer l'anus du léopard". Au terme de cette procédure judiciaire dont l'enjeu est avant tout "politique", selon elle, l'activiste a exprimé sa satisfaction d'avoir remporté cette bataille-là. Notamment dans un pays où les citoyens sont obligés, estime-t-elle, de faire de la politique parce qu'ils n'appartiennent pas à la minorité qui "mange une si grosse part du gâteau ougandais".
Pour l'heure, quand Yoweri Museveni n'est pas "harcelé" par Stella Nyanzi, il est "importuné" par Bobi Wine, l'autre bête noire du régime qui a apporté son soutien à l'universitaire à maintes reprises. L'opposant et candidat déclaré à la présidentielle a été récemment accusé de "ridiculiser" le dirigeant ougandais.
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